Oran : Le CDES souffle sa soixantième bougie

17/06/2023 mis à jour: 06:47
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Après-midi artistique, jeudi dernier, au CDES, à l’occasion de son soixantième anniversaire d’existence ( photo : El Watan)

Le centre de documentation économique et sociale, scindé à présent en deux antennes l’une non loin du siège de la wilaya et de la rue Mouloud Feraoun (CDES Ibn Khaldoun) et l’autre à la rue Labri Ben Mhidi (CDES Sophia) a soufflé, jeudi dernier, sa soixantième bougie en présence d’un public nombreux, constitué pour l’essentiel d’abonnés, d’amis et de compagnons de route de cette institution culturelle ô combien emblématique à Oran, notamment pour le monde universitaire.

C’est en 1963, c’est-à-dire un an à peine après l’indépendance du pays, que le CDES a vu le jour. «Je ne vais pas me lancer ce soir dans un historique du CDES depuis 1963. J’avais tenté l’opération à l’occasion du 50e anniversaire que nous avons fêté d’une manière plus solennelle. Nous avons choisi ce soir la modestie et la rencontre entre amis» a déclaré Janicot Bernard, directeur de ce centre, qui a préféré axer son discours sur trois images, s’apparentant à des cartes postales et revenant sur les «moments forts» de cette institution.

La première image se situe autour des années 1980, époque où on appelait encore le CDES «Bedo» (du nom de l’ancienne appellation de la rue dans laquelle il se trouve).

Le centre était alors beaucoup plus réduit qu’il ne l’est aujourd’hui, avec une salle contenant à la fois la bibliothèque et ses quelques milliers d’ouvrages mais aussi le bureau d’accueil, la machine à écrire et une photocopieuse «première génération». «La recherche bibliographique se faisait dans ce temps-là grâce aux milliers puis aux dizaines de milliers de fiches cartonnées, - qu’on mettait dans des tiroirs puis des boîtes particulièrement encombrantes et sans cesse à reclasser -. Une autre pièce à côté permettait aux lecteurs de lire et de rédiger.

Je peux parler alors d’artisanat dans le sens noble du mot», se rappelle-t-il. Le CDES était géré, en ces années, par trois ou quatre personnes et le nombre d’adhérents ne dépassait pas les trois cents, parmi lesquels on trouvait de nombreux coopérants étrangers, des enseignants universitaires et un bon nombre de jeunes professeurs algériens. «Nous étions à un moment, - les années 1980 -, de grandes effervescences intellectuelles.

Avec le CRIDSS, le CDES était un des pôles où les thèses se réfléchissaient, où les articles destinés à Algérie Actualité se testaient», se souvient Janicot Bernard qui souligne aussi que le CDES se targuait d’être un espace «d’émulation intellectuelle».

Une décennie après, soit en 1994, les choses avaient beaucoup changé, et malheureusement pas qu’en bien. On était alors en pleine tragédie nationale, et l’intégrisme islamiste faisait des ravages. «En 1994, le CDES s’est profondément métamorphosé», informe Janicot Bernard, qui souligne que paradoxalement, les années 1990, de la terreur en Algérie, «étaient aussi celles où le CDES recevait le plus grand nombre de lecteurs».

Un engouement qu’on peut notamment expliquer par le fait qu’à l’époque, la plupart des bibliothèques et centres où se regroupaient les étudiants avaient fermé à cause de l’insécurité et des menaces de mort. «Nous avons alors dépassé les 2000 adhérents et les structures se révélaient bien trop petites et mal adaptées à une telle affluence». Pour y remédier, décision fut prise, dès 1991, de transférer les rayons de philosophie et d’Histoire, «relativement autonomes», dans l’ancienne église du Saint-Esprit, mais cela a été inopérant.

De fait, une seconde «idée folle» avait germé : «Agrandir les locaux du CDES en construisant, sur la cour de l’immeuble, ce qui est maintenant la salle d’économie». Au cours de la même décennie, le CDES a été l’un des pionniers en se lançant dans l’informatisation de ses fichiers, grâce au logiciel «Maktaba», toujours fonctionnel à l’heure actuelle. «Peu à peu, nous avons supprimé les fichiers-carton au profit de ce système informatique. L’accès à plusieurs dizaine de milliers d’ouvrages fut ainsi grandement facilité, et beaucoup d’espace dégagé.

Nous avons atteint jusqu’à 2300 inscrits et il fallait jouer des coudes pour avoir accès au CDES», dit Janicot Bernard qui souligne que ce centre fut, en ces années de la décennie noire, «un oasis de paix». «Les différentes équipes ont tenu bon, y compris dans les moments les plus tragiques, comme l’assassinat de M. Fardeheb puis de Pierre Claverie. Epoque d’un ‘vivre- ensemble’ y compris dans le danger, où l’équipe devint majoritairement algérienne.

Les responsabilités se partagèrent, les contacts avec les Universités devinrent plus étroits. Le 40e anniversaire du CDES, en 2003, manifesta bien cela». Il a également abordé l’époque actuelle, difficile à décrire du fait que nous ayons encore «le nez dessus», mais qui se caractérise, néanmoins, selon lui, par une baisse du nombre de lecteurs et d’abonnés, étudiants comme enseignants.

Cela peut être expliqué, dit-il, par la crise sanitaire de 2020 à 2022, qui a vu le CDES, à l’instar de beaucoup d’autres institutions, soumis à une fermeture prolongée, mais encore à l’utilisation massive d’Internet par les étudiants. Ces deux points ont en effet accentué la baisse d’abonnés, un phénomène, du reste, constaté depuis plusieurs années déjà. Cela dit, il dira aussi que cette même période jouit d’un meilleur professionnalisme du fait d’une équipe de travail plus resserrée.

A cela, le CDES organise, ces dernières années, périodiquement (pour ne pas dire mensuellement), ce qu’il appelle «les cafés», qui ont lieu généralement les lundis et les jeudis. «Café littéraire, café débat, café thèse, café artistique», dira-t-il, «ce sont autant d’interventions suivies de débats dans un cadre chaleureux» qu’organise le CDES en présence d’un public fidèle. En guise de conclusion, Janicot Bernard a rappelé la réflexion, -q ui l’avait marqué -, faite il y a une dizaine d’années de cela par le regretté professeur universitaire Abdelkader Lakjaa qui lui avait dit, à propos du CDES : «Vous faites ici œuvre de militantisme culturel.»

Il dira enfin qu’il y aura toujours, au sein de l’université, des étudiantes et étudiants, des enseignantes et enseignants qui, ne succombant pas totalement à l’âge de l’informatique et d’Internet, trouveront quelque plaisir à prendre un livre entre leurs mains et perpétueront alors ce «militantisme» des études bien faites, loin du chemin de la facilité qu’offre en illusion ce qu’on appelle communément la Grande toile.

«Quoique l’on puisse dire, argue-t-il, rien ne remplacera le livre pour se construire une envergure universitaire, au-delà du bricolage. Ceux qui savent utiliser intelligemment Internet sont aussi ceux et celles qui, dans leurs cursus, ont acquis les fondements, les bases d’une compétence intellectuelle, scientifique, dans les livres, lus et relus».            

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