Pour la réussite de leur nouvelle stratégie sécuritaire au Sahel, les Etats-Unis comptent beaucoup sur l’Algérie, avec laquelle ils partagent la même approche.
L’intérêt des Etats-Unis pour le Sahel s’est accru ces dernières mois. Cela est bien perceptible dans les interminables va-et-vient de délégations américaines dans les pays de la région. Les hauts fonctionnaires aux départements d’Etat, de la Défense et du Trésor qui ont séjourné deux jours à Alger, les 5 et 6 juin, ont fait, depuis octobre 2022, sept pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest : Niger, Mali, Mauritanie, Côte d’Ivoire, Bénin, Togo et Burkina Faso.
Leur voyage en Algérie, comme l’a souligné Gregory LoGerfo, qui est chargé de la lutte contre le terrorisme au Département d’Etat, est de renforcer le partenariat algéro-américain dans la lutte antiterroriste pour mieux aider les pays du Sahel à faire face aux défis sécuritaires que leur imposent la préoccupante situation actuelle.
Selon l’Indice mondial du terrorisme 2023, publié par l’Institut australien d’économie et de paix, les attaques terroristes ont augmenté de 2000% au cours des 15 dernières années dans cette région. Le même think tank a indiqué que quatre des dix pays les plus touchés par le terrorisme dans le monde se trouvent au Sahel.
Autre donnée qui confirme cette explosion d’actes terroristes dans cette partie du continent africain est le classement du Burkina Faso comme le deuxième pays le plus touché par le terrorisme dans le monde après l’Afghanistan. Il y a aussi le Mali, avec lequel l’Algérie partage une frontière de 1329 km, qui vient en quatrième position.
Les Américains, qui ont encore en tête leur triste expérience en Afghanistan, prennent ainsi au sérieux cette recrudescence des attaques terroristes dans ce vaste territoire qui fait plus de cinq fois la superficie de la France.
Si Washington a longtemps laissé l’initiative à d’autres pays alliés pour résoudre les problèmes sécuritaires auxquels est confronté le Sahel, ce ne semble plus être le cas aujourd’hui. L’échec de la stratégie sécuritaire de la France dans la région avec le départ de la force «Barkhane» en novembre 2022 du Mali a fini de convaincre les Américains de l’urgence de reprendre les choses en main en mettant en place une nouvelle approche qui tient compte des menaces et facteurs connexes.
Les sources profondes du terrorisme
Pour la réussite de leur nouvelle stratégie sécuritaire au Sahel, les Etats-Unis comptent beaucoup sur l’Algérie, avec laquelle ils partagent la même approche exhaustive, qui va de l’aspect militaire à celui de l’aide au développement en faveur des populations afin de réduire l’expansion et l’influence des groupes terroristes dans la région. Mais pas seulement. Les Américains s’appuient également sur d’autres pays de la région.
C’est le cas du Niger qui a reçu, pour la première fois, la visite du secrétaire d’Etat Antony Blinken le 16 mars 2023. Le déplacement de M. Blinken au Niger, où les Etats-Unis ont installé une base de drones pour la surveillance du Sahel, est intervenu au moment où l’influence des alliés des Américains dans la région, à leur tête la France, s’érode.
Le secrétaire d’Etat américain s’est rendu auparavant au Kenya, au Nigeria et au Sénégal. Les Américains craignent avec l’exacerbation du conflit au Soudan qu’il y ait une faillite sécuritaire au Sahel qui affecterait les zones côtières de l’Afrique de l’Ouest. Il s’agit donc pour eux de continuer le travail de prévention entamé à travers le programme Partenariats pour la paix (P4P), qui vise la réduction de la vulnérabilité à l’extrémisme violent en Afrique de l’Ouest.
Outre son aide militaire, l’administration américaine cherche à renforcer l’action préventive des Etats de la région à travers le financement d’opérations de «déradicalisation» et d’aide socioéconomique aux populations locales. Il s’agit donc d’agir sur les sources profondes du terrorisme. Pour ce faire, le Département d’Etat a sollicité des fonds supplémentaires pour la lutte contre le terrorisme. Les Etats-Unis ont déjà promis, lors de la visite de la vice-présidente américaine, Kamala Harris, au Ghana en mars dernier, 100 millions de dollars d’aide aux Etats de l’Afrique de l’Ouest pour renforcer leur résilience face aux défis sécuritaires.
«Les Américains veulent agir sur les sources profondes du conflit et de la radicalisation. Au Sahel, les Américains ont scindé la problématique en deux. Il y a la problématique de la lutte contre le terrorisme, avec des militaires qui visent l’élimination des cibles. Et il y a la question en amont de la prévention de l’extrémisme violent», estime Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute-African Center for Peace Studies, dans un entretien accordé en 2021 à TV5 Monde.
Outre la lutte antiterroriste, le regain d’intérêt des Etats-Unis pour le Sahel s’explique par l’accentuation de la guerre géopolitique qui l’oppose à l’ancien bloc de l’Est, incarné essentiellement par la Russie et la Chine. En effet, le déclin de l’influence des traditionnels acteurs occidentaux dans la région au profit de nouvelles puissances comme la Chine ou encore la Russie ne laisse nullement indifférent Washington.
La rivalité historique entre les Etats-Unis et la Russie se joue aussi dans cette partie de l’Afrique, où le groupe paramilitaire russe Wagner est déjà présent à travers des troupes opérationnelles au Mali et en Centrafrique. L’ambition affichée par la Chine de devenir un acteur majeur dans la région, avec une base déjà opérationnelle à Djibouti et une autre, navale, envisagée en Guinée équatoriale, est vue d’un mauvais œil par les Américains qui cherchent ainsi à renforcer leur présence au Sahel à travers des partenariats ciblés avec les principaux acteurs régionaux.