Pour l’expert financier Mostefa Zerouali, la dynamique d’innovation et de créativité des produits et services en fonction des besoins et des attentes des clients est là. Les efforts sont à poursuivre, estime t-il soulignant que les améliorations réglementaires et procédurales vont améliorer l’efficacité et l’efficience des solutions proposées par la finance islamique. Ce qui permettra aux guichets et aux banques concernées de mieux maîtriser les coûts et les frais de leurs produits et de leurs prestations.
- - Quelle lecture faites-vous des derniers chiffres de la Banque d’Algérie concernant le développement de la finance islamique en Algérie ?
Le dernier rapport de la banque d’Algérie sur les indicateurs et les agrégats économiques, commerciaux, financiers et bancaires arrêtés au 31.12.2023 fournit une image assez précise des activités et des performances du système bancaire national, dont les principaux indicateurs de performance de la Finance Islamique.
A ce titre, il est nécessaire de rappeler que plusieurs aménagements fiscaux et textes d›application portant sur le traitement fiscal des produits et services de la finance islamique ont été promulgués et/ou modifiés en 2022 et en 2023. Ce qui est un élément important à prendre en considération dans l’analyse des résultats du secteur du banking et de la finance islamique.
Aussi, il me paraît pertinent d’indiquer que toutes les banques publiques sont en plein mise en place de procédures et de mécanismes organiques et réglementaires de pilotage des activités de la finances islamiques :
- Séparation des comptabilités (procédures et IT)
-Séparation des ressources et des emplois (Comptable et réglementaires)
-Construction des mécanismes de refinancement adaptés (plusieurs pistes de réflexion)
-Mise en place des comités Charaïques ou leur mise en conformité aux textes réglementaires.
-Construction ou acquisition de solutions SI/IT adaptées,
- Dépôt de plusieurs dossiers d’agrément de produits et services bancaires auprès de la Banque d’Algérie,
Malgré ces multiples chantiers lancés, notamment pour les nouveaux arrivés sur le marché des finances islamiques, les principaux indicateurs de cette activité affichent des niveaux d’évolution positifs et dépassant ceux de la finance traditionnelle à la fois en ressources, en emplois, en innovations, en niveau de rendement et en coûts des risques. Ceci dénote de l’intérêt que les consommateurs portent à cette forme de finance et de l’attachement de nombreux concitoyens aux valeurs éthiques véhiculés et promu par la finance islamique.
Il y a lieu de noter que les banques islamiques Al Baraka Bank et Al Salam Bank continuent à dominer le marché des financements et des emplois, malgré les percées significatives réalisées par les guichets dédiés par les banques traditionnelles sur le volet de la collecte des ressources, notamment les guichets des banques publiques.
- Comparativement à d’autres pays de la région, où en est l’Algérie ?
L’Algérie n’apparaît toujours pas dans le top 5 des pays les plus performants dans l’activité de finance islamique, ni en valeur des actifs sous gestion, ni en volume des flux gérés, ni en valeur des revenus générés ni en attractivité pour les capitaux internationaux issus de la finance islamique. Cependant, ceci est une conséquence tout à fait logique de plusieurs facteurs objectifs :
- Le cadre réglementaire, notamment fiscal, n’a évolué que récemment pour s’aligner sur les Best Practices en la matière,
- Le cadre institutionnel des Sukuk n’a pas encore dit son dernier mot ni affiché son potentiel,
- La faible internationalisation des ressources et des emplois de cette activité et don cantonnement aux activités et aux clients domestiques.
- L’intérêt de la finance publique aux solutions proposées par la finance islamique n’est pas encore exprimé de façon franche.
- Les fintechs et les Startups morales, régionales et internationales ne s’intéressent pas encore à la finance islamique en Algérie.
Cependant, à mon avis, le marché algérien de la finance demeure l’un des marché les plus prometteur au monde, après celui de l’Arabie Saoudite, de la Malaisie et celui de l’Égypte, pour ces mêmes raisons susmentionnées, en terme d’opportunités, de dynamisme et de niveau de rendements.
- Qu’en est-il à votre avis de l’engouement pour les produits de la finance islamique ?
Les consommateurs sont à la recherche de produits d’abord et fondamentalement conforme à leurs convictions. Ensuite, ils sont à la recherche de produits et services adaptés à leurs besoins réels et accessibles de façon simple et pragmatique. Enfin, ils sont à la recherche de produits et services à des coûts supportables et modérés.
Aujourd’hui, sur les 12 nouveaux produits agréés par la Banque d’Algérie en 2023, selon ce rapport, 7 sont des produits et services introduits et créés par la finance islamique. Donc, la dynamique d’innovation et de créativité des produits et services en fonction des besoins et des attentes des clients est là. Les efforts de déploiement de solutions IT/SI spécifiques et de mise en place de mécanismes de refinancement adaptés vont encore améliorer les capacités des guichets des banques publiques à proposer des produits et services meilleures.
Aussi, les synergies et les améliorations réglementaires et procédurales vont améliorer l’efficacité et l’efficience des solutions proposées par cette finance. Ceci permettra aux guichets et aux banques concernées de mieux maîtriser les coûts et les frais de leurs produits et de leurs prestations.
D’un autre côté, il est nécessaire de noter que les produits et services liés aux cycles d’exploitation, aux opérations purement commerciales et à la consommation dominent les portefeuilles des banques et guichets islamiques. Les investissements et le financement du haut du bilan des entreprises est toujours le canard boiteux de cette finance, de part justement la nature de leurs ressources.
Cependant, à mon avis, les finalisations des opérations de construction de l’écosystème et le déploiement par les guichets des banques publiques de leurs gammes de produits de financement va inévitablement améliorer le niveau de financement des investissements et du hait de bilan des entreprises (Moucharaka et Moudaraba).
- Quels sont les produits les plus utilisés et qu’en est-il de l’émission des Sukuk ?
D’après les statistiques délivrées par les services de la Banque d’Algérie, arrêtées à fin 2023, comme je l’ai fait remarquer dans ma réponse précédente, les produits des opérations purement commerciales, liées aux cycle commercial de l’entreprise ou à la consommation des ménages constituent l’essentiel des produits distribués et acquis par les consommateurs et les clients de la finance islamique.
Même si les opérations IJARA (location-vente ou leasing islamique) représentent une part importante dans les portefeuilles des banques et des guichets de la finance islamique en 2023 (avec 100 Mds sur 458 Mds DZD), les opérations Mourabaha, essentiellement commerciale et Salam, essentiellement sur les stocks et le trade constituent les deux produits fondamentaux que cette finance commercialise en 2023 avec 327 Mds DZD d’encours sur un total de 458 Mds DZD.
Ceci dit, il est nécessaire de rappeler là également la prédominance des banques privées, notamment pour la collecte des ressources (80% des ressources) malgré les percées réalisées par les guichets des banques publiques (20% des ressources en 2023 contre 13% en 2022).
Je tiens juste à faire remarquer que les banques publiques n’ont pas encore déployé totalement leur process de financements islamique, ce qui explique leur faible part de marché en matière d’engagements et d’emplois (5% de parts de marchés) contre 95% pour les banques privés.
Quant aux Sukuk, je précise que les pouvoirs publics travaillent sur des textes juridiques et une adaptation fiscale pour compléter le cadre de régulation des Sukuk et supprimer tous les frottements qui pourraient entraver ou constituer des blocages significatifs à l’émergence de cette industrie. Par ailleurs, à mon avis, les Sukuk portent sur des participations dans des opérations d’investissement et de financements du haut du bilan dont le niveau des risques est élevé.
Donc, il me paraît plus judicieux de commencer par des émissions de Sukuk souverains et institutionnels, de préférence en mobilisant des ressources internationales et en devises.
Ensuite, je recommande de passer aux Sukuk des institutions financières et des banques islamiques et enfin les élargir, en dernier, aux opérations de levées de fonds via la bourse en faveurs des entreprises économiques publiques pu privées et en faveur des Startups.
- Quid de l’utilisation de ces ressources ?
Effectivement, vous avez bien fait d’évoquer la fait marquant de 2023 pour ces statistiques fournies par les Banques d’Algérie concernant l’industrie des finances islamiques.
L’activité de guichets de finances islamiques des banques publiques collecte des ressources financières importantes qu’elle n’emploie pas de façon optimale pour diverses raisons. Je vais essayer ici d’apporter les explications à l’origine de cette situation et les solutions possibles pour que la situation s’améliore rapidement mais sans prise de risques démesurées :
Les contraintes procédurales et les exigences réglementaires et éthiques imposent aux guichets de finances islamiques de mettre en place des process de comptabilité, de gestion et d’affectation des ressources des finances islamiques séparés et indépendants des activités de ma finance traditionnelle.
Ces contraintes imposent également la désignation de comités Charaïques internes et le passage par des visas préalables délivrés par l’Autorité Charaique Nationale pour tous les produits mis sur le marché.
Ceci à fait apparaître des contraintes exogènes et indépendants de la volonté de ces guichets et que les autorités devaient prendre en charge. Aussi, l’acquisition et la mise en place d’outils comptables, informatiques et des ressources humaines qualifiées nécessitent beaucoup de temps.
Donc, l’émergence de produits et de services de financements et d’engagements à tardé à s’enclencher pour toutes ces raisons, malgré le succès impressionnant de la collecte des ressources.
Personnellement, pour parer à cette situation et apporter une solution radicale mais commerciale et adaptée, il est peut-être temps de réfléchir à :
1- Créer des circuits de prise de décision spécifiques et indépendants des circuits de la banque traditionnelle aux produits et aux services de financement et d’engagement dédiés entièrement aux guichets avec leurs propres politique des risques.
2- Filialiser entièrement ces guichets pour en faire de véritables personnes juridiques complètes indépendantes des banques qui les ont créés.
3- Créer une seule Banque Islamique Nationale publiques vers laquelle ces ressources seront transférées et qui sera chargée de développer l’industrie des finances islamiques et de conseiller l’état et l’accompagner dans sa stratégie d’inclusion financière et de développement des Sukuk.
4 Mettre en place rapidement des mécanismes de refinancement des produits et instruments financiers des investissements et du financement islamiques de haut du bilan ainsi que le financement des startups.
5- Modifier quelques textes réglementaires relatifs aux garanties réglementaires et exigées dans les opérations de crédits en prenant en considération la nature réelle des actifs de la finance islamique dans les règles prudentielles et les textes juridiques des garanties.