Mois du patrimoine : Rencontres pour cerner l’avis des architectes

11/05/2023 mis à jour: 03:02
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L’architecte français Gilles Marchand (à droite)

Les rencontres sur l’architecture et l’urbanisme suscitent toujours des débats passionnés et le conflit entre la ville rêvée et la ville réelle, qui est universel, qui n’est donc pas propre à l’Algérie, n’est pas près d’être résolu. 

C’est encore une fois ce qui ressort de la rencontre, autour de l’architecte français Gilles Marchand, au sujet de la réédition, près de 37 ans après, du guide architectural d’Oran. Ce document polycopié, à l’origine réservé aux initiés universitaires, est devenu presque introuvable au fil du temps, d’où l’idée de sa réédition par une nouvelle équipe de l’USTO mais dans le cadre des activités indépendantes de la revue spécialisée Madinati. 

Une réédition actualisée, la ville d’Oran ayant entre temps quelque peu changé de visage. «Certains bâtiments ont disparu, d’autres ont vu le jour», prévient Djilali Tahraoui, principal animateur qui, avec deux de ses collaborateurs ont initié et réalisé le projet. Pour situer les choses, Gilles Marchand a enseigné l’architecture à Oran entre 1980 et 1986 et c’est durant ce séjour, avec deux autres contributeurs, que le guide initial a été réalisé. Il faut juste se mettre à l’idée que l’USTO de cette époque-là n’est pas celle située sur site qu’on connaît aujourd’hui mais sur celui qui deviendra par la suite l’IGMO (pour le génie civil, le génie mécanique et maritime). 

Ainsi, à titre illustratif, l’œuvre architecturale du Japonais Kenzo Tange ne figure donc pas sur le document original mais a été insérée dans le deuxième. «Quand je suis venu à Oran en 1980 dans le cadre de la coopération, pour passer mon service national, c’est le choix que j’ai fait, le département d’architecture venait d’ouvrir il y avait à peine deux ans et le projet de la nouvelle université sortait encore de terre (l’USTO Bir el Djir a ouvert officiellement la saison 1986/1987, ndlr)», explique l’architecte français aujourd’hui retraité précisant qu’il a passé une belle période de sa vie durant ce séjour et que, aujourd’hui encore, il a été agréablement surpris de l’accueil qu’on lui a réservé. Il a en outre et en effet rencontré pas mal de ses anciens étudiants qu’il retrouve bien intégrés dans la vie professionnelle et il s’en réjouit. 

Cette parenthèse émotionnelle, mise à part, il faut également se mettre dans le contexte de l’époque pour savoir que ce genre de publications était rare mais que la réédition actuelle s’intègre dans un lot d’autres publications ayant trait à la ville d’Oran et elles sont désormais relativement nombreuses même si cela reste insuffisant pour faire le tour de la question. «Quand Gilles Marchand a quitté Oran, nous (ses étudiants), n’avons plus eu de contacts et, quand l’idée de rééditer ce guide nous est venue, mon équipe actuelle et moi, la moindre des choses était de demander l’avis des anciens auteurs ne serait-ce que pour avoir l’autorisation», explique Djillali Tahraoui, estimant que la technologie Internet a facilité les choses. 

Pour ce qui est du guide en question, il a été précisé que le choix des bâtiments n’est pas exhaustif, mais permet de cerner l’évolution de la ville et les tendances qui caractérisent son architecture. Une édition augmentée avec un changement de format pour la rendre plus digest et accessible à un plus grand nombre, en dehors du cadre strict de l’université. Près de quatre années ont été nécessaires pour accoucher de ce nouveau-né. Il fallait effectuer les repérages nécessaires, refaire les photographies en essayant d’adopter le même angle de vue, en proposer d’autres, etc. 

Les rencontres autour du patrimoine architectural se déroulent à l’USTO au profit des étudiants et des universitaires mais aussi à l’IFO pour un public plus large. C’est dans le même contexte de la célébration du Mois du patrimoine et dans les mêmes lieux que Maya Ravéreau a été reçue pour parler de l’œuvre de son père, André Ravereau, plus ancien et qui, lui aussi, a eu à prendre des fonctions en Algérie après l’indépendance. «Il était curieux de tout et  pas arrêté, tout le long de sa vie, d’observer d’analyser, de prendre des notes, d’élaborer des croquis sur tout ce qu’il voyait, etc.», indique la fille qui, avec ses parents, a également vécu quelques années à Ghardaïa dont elle garde un souvenir d’enfance. 

Des milliers de documents de son père et les photographies de sa mère Manuelle Roche ont été légués au Mucem (le musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée de Marseille). Dans son intervention il était beaucoup question de génie et de savoir-faire des anciens (pas seulement en Algérie) que peuvent se réapproprier les architectes modernes. 

A titre illustratif, sur un plan économique mais aussi esthétique, les similitudes entre la manière de concevoir des colonnes (rétrécies vers le bas) qui soutiennent la structure d’une mosquée du M’zab et les pilotis réalisés pour soutenir l’immeuble la Radieuse (pas celui d’Oran, ndlr), une des œuvres de Le Corbusier, à Marseille, incitent réellement à la réflexion. Des solutions imaginées par les anciens pour résoudre des problématiques liées au climat sont également d’une actualité poignante aujourd’hui en termes d’économie d’énergie et c’est cette réflexion sur ce qui est moderne ou pas qui est mise en avant. 

André Ravéreau, qui a eu un lien particulier avec l’Algérie a également conçu des logements sociaux dans le sud du pays. Ceux-ci ont subi des transformations. Ainsi, lors des deux rencontres, la citation attribuée à Le Corbusier selon laquelle grosso modo, «face aux usagers, les architectes ont toujours tort», a été évoquée. En Algérie, il a été dit qu’en termes de logement, le souci légitime de la quantité a souvent pris le dessus sur la qualité et la nécessité de rénover l’ancien. 

De manière générale, les conjonctures historiques, le développement économique, le passage ou pas de la révolution industrielle, etc., sont autant de facteurs qui influent sur le développement des villes. Ajouter à cela les caractéristiques physiques et géographiques des lieux d’implantation et on aboutit à l’idée selon laquelle il n’existe pas de villes modèles et que «l’évolution se fait avec tout le monde mais souvent contre la volonté de chacun.»   
           
 

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