Mohammed Harbi analyse le tragique et sanglant événement : Le 8 Mai 1945, précurseur du 1er Novembre 1954

09/05/2023 mis à jour: 07:05
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L'historien Mohammed Harbi - Photo : El Watan

Mohammed Harbi a publié dans Le Monde Diplomatique une contribution sur les événements du 8 Mai 1945 sous le titre : «La guerre d’Algérie a commencé à Sétif».

D’emblée, Mohammed Harbi rappelle l’inadéquation des termes «événements» ou «troubles du Nord-Constantinois», préférant l’expression «les massacres du 8 Mai 1945 dans les régions de Sétif et de Guelma», «rétrospectivement considérés comme le début de la guerre algérienne d’indépendance». Dans son développement, le militant et historien algérien remonte aux sources de cet épisode, qui «appartient aux lignes de clivage liées à la conquête coloniale».

Ainsi, affirme-t-il, «chaque fois que Paris s’est trouvé engagé dans une guerre, en 1871, en 1914 et en 1940, l’espoir de mettre à profit la conjoncture pour réformer le système colonial ou libérer l’Algérie s’est emparé des militants. Si, en 1871 en Kabylie et dans l’Est algérien et en 1916 dans les Aurès, l’insurrection était au programme, il n’en allait pas de même en mai 1945. Cette idée a sans doute agité les esprits, mais aucune preuve n’a pu en être avancée, malgré certaines allégations». Historiquement, la défaite de la France en juin 1940 avait modifié «les données du conflit entre la colonisation et les nationalistes algériens».

Deux ans plus tard, en novembre 1942, «avec le débarquement américain, le climat se modifie. Les nationalistes prennent au mot l’idéologie anticolonialiste de la Charte de l’Atlantique (12 août 1942) et s’efforcent de dépasser leurs divergences. Le courant assimilationniste se désagrège. Aux partisans d’un soutien inconditionnel à l’effort de guerre allié, rassemblés autour du Parti communiste algérien et des ‘‘Amis de la démocratie’’, s’opposent tous ceux qui, tel le chef charismatique du Parti du peuple algérien (PPA), Messali Hadj, ne sont pas prêts à sacrifier les intérêts de l’Algérie colonisée sur l’autel de la lutte antifasciste».

C’est dans cet esprit que la fin de la guerre et la Fête de la victoire, claironnée le 8 mai 1945, s’avérera pour les nationalistes un moment de bascule : «Alors, l’histoire s’accélère. Les gouvernants français continuent à se méprendre sur leur capacité à maîtriser l’évolution. De Gaulle n’a pas compris l’authenticité des poussées nationalistes dans les colonies.»

En ce moment où la tension coloniale s’avère en bout de course, il fallait passer des belles intentions de discours gaullistes lénifiants, intentions largement insuffisantes, à une phase d’actes forts. «L’ouverture de vraies discussions avec les nationalistes s’imposait. Mais Paris ne les considère pas comme des interlocuteurs», souligne Mohammed Harbi, qui donne des détails édifiants à ce sujet dans l’article du Monde Diplomatique. «L’unité des nationalistes se réalise au sein d’un nouveau mouvement, les Amis du Manifeste et de la liberté (AML).

Le PPA s’y intègre en gardant son autonomie. Plus rompus aux techniques de la politique moderne et à l’instrumentalisation de l’imaginaire islamique, ses militants orientent leur action vers une délégitimation du pouvoir colonial. La jeunesse urbaine leur emboîte le pas. Partout, les signes de désobéissance se multiplient. Les antagonismes se durcissent. La colonie européenne et les juifs autochtones prennent peur et s’agitent.»

Mai 45 : au congrès des AML, le mot d’ordre d'indépendance est majoritaire

La situation était mûre pour un mouvement qui ne demande qu’à s’amplifier : «Au mois de mai 1945, lors du congrès des AML, les élites plébéiennes du PPA affirmeront leur suprématie (…). La majorité optera pour un Etat séparé de la France et uni aux autres pays du Maghreb et proclamera Messali Hadj ‘‘leader incontesté du peuple algérien’’. L’administration s’affolera et fera pression sur Ferhat Abbas pour qu’il se dissocie de ses partenaires.» «L’enlèvement de Messali Hadj et sa déportation à Brazzaville, le 25 avril 1945, après les incidents de Reibell, où il est assigné à résidence, préparent l’incendie.»

Arrive alors le 8 mai de la défaite allemande qui annonce celle de la France coloniale. «Le Nord-Constantinois, délimité par les villes de Bougie, Sétif, Bône et Souk Ahras, et quadrillé par l’armée, s’apprête, à l’appel des AML et du PPA, à célébrer la victoire des alliés. Les consignes sont claires : rappeler à la France et à ses alliés les revendications nationalistes, et ce, par des manifestations pacifiques. Aucun ordre n’avait été donné en vue d’une insurrection. On ne comprendrait pas sans cela la limitation des événements aux régions de Sétif et de Guelma. Dès lors, pourquoi les émeutes et pourquoi les massacres ?»

La place nous manque pour reprendre intégralement le développement de Mohammed Harbi. Il affirme que «la guerre a indéniablement suscité des espoirs dans le renversement de l’ordre colonial. L’évolution internationale les conforte. Les nationalistes, PPA en tête, cherchent à précipiter les événements». En face, «chez les Européens, une peur réelle succède à l’angoisse diffuse. Malgré les changements, l’égalité avec les Algériens leur reste insupportable. Il leur faut coûte que coûte écarter cette alternative».

Quant au bilan de ce moment de barbarie, «si on connaît le chiffre des victimes européennes, celui des victimes algériennes recèle bien des zones d’ombre», mais «les conséquences du séisme sont multiples. Le compromis tant recherché entre le peuple algérien et la colonie européenne apparaît désormais comme un vœu pieux». Avec l’idée que la lutte armée est le seul moyen d’en finir avec le colonialisme. «Les activistes du PPA imposent à leurs dirigeants la création d’une organisation paramilitaire à l’échelle nationale. Le 1er Novembre 1954, on les retrouvera à la tête d’un Front de libération nationale. La guerre d’Algérie a bel et bien commencé à Sétif le 8 Mai 1945», conclut Mohammed Harbi. Entre 1945 à 1954, il suffisait d’inverser les chiffres du millésime.

 

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