- L’école algérienne semble un peu oubliée ces derniers temps par les autorités. Quelles en sont les causes, selon vous ?
A mon propre avis, il y a un grand écart entre la communauté éducative et la tutelle. Cela signifie que les décisions prises dans la haute sphère du secteur sont loin du terrain. Le fonctionnement pédagogique de l’école est déstabilisé. La preuve, les conseils de classes ne sont plus tenus de manière régulière comme avant.
La tutelle sur tous les niveaux n’intervient plus dans ce sens. Tous les acteurs dans la vie pédagogique de l’école ont perdu leur valeur, à commencer par l’enseignant, l’élève et le poids de son parent.
Les enseignants se sont transformés en exécutants des directives. Ils n’ont plus cette liberté de proposer et de s’impliquer réellement dans la vie scolaire des générations qui passent par leurs classes. Ils ont été transformés en fonctionnaires loin de leur rôle pédagogique et éducatif.
C’est un constat que nous voyons tous les jours. La crise sanitaire n’a fait qu’aggraver les choses, qui existaient déjà. Il y a eu la volonté en 2020 de sauver la scolarité par le numérique. Dans l’absence d’une vision et d’objectifs clairs sur le long terme, cela n’a pas fonctionné comme cela devait se faire.
- En parlant de décalage entre les volontés et la réalité, où est, dans tout cela, la loi d’orientation de l’éducation nationale censée être la charte de fonctionnement du secteur ?
Cette loi est un chef-d’œuvre sur tous les plans, notamment pédagogique. Comme toute loi, elle fait référence à des textes d’application qui malheureusement n’ont pas été édités dans leur ensemble. Il y a eu quelques textes, tels que les statuts des établissements scolaires dans les différents paliers, mais ils restent insuffisants.
Elle renvoie également vers des arrêtés et des circulaires qui n’ont jamais existé. Il y a une pauvreté en matière de textes, mais aussi de bonnes pratiques. Pire, nous nous sommes accrochés à des théories qui n’ont pas prouvé leur efficacité dans l’élaboration des programmes.
D’ailleurs, il n’en est rien de l’approche par compétences qui devait être la solution à tous les problèmes pédagogiques rencontrés sur le terrain. La raison de cet échec est l’absence d’expérimentations nécessaires pour la mise en application et des évaluations pour la période d’après.
Le grand absent dans tout cela est la formation initiale de l’enseignant. On a recruté à bras-le-corps sans former. C’est la plus grande faille du secteur de l’éducation. Notamment que les livres dits de 2e génération exigent que les enseignants soient des experts des programmes, qui sont faits d’une manière très complexe, les rendant hors de portée de l’enseignant lambda sans formation.
- L’école algérienne en subit aujourd’hui les conséquences. N’est-ce pas ?
Effectivement. Le résultat est déjà palpable. L’objectif est devenu d’assurer la présence physique qui n’atteint pas les objectifs pédagogiques et scolaires escomptés. L’école fait du gribouillage. Si aujourd’hui l’école a disparu du débat public et du discours politique, c’est à cause de cela.
Mais pas que. L’Etat n’écoute que les syndicats qui sont essentiellement transporteurs de revendications socioprofessionnelles. La pédagogie a été délaissée. L’élève a été oublié. L’école algérienne fait aujourd’hui référence à la désolation. Les décisions prises à grande et petite échelle sont d’ordre administratif, loin de la pédagogie.
La preuve : dans les conseils des classes, il n’y a plus lieu de faire de la remédiation qui pourtant est incluse dans les différentes correspondances de la tutelle. Le manque de compétences nécessaires est constatable à tous les niveaux. Beaucoup de postes à grande et petite échelle sont vacants. Donc c’est un ensemble de dysfonctionnements qui déstabilisent et continuent à déstabiliser le secteur.
- Est-il trop tard pour agir afin de sauver l’école ?
Il vaut mieux tard que jamais. Le pessimisme et le défaitisme ne vont servir personne. Il est toujours possible de faire quelque chose tant que nous continuons d’accueillir les générations d’élèves dans nos établissements.
Il faut remédier à tous les problèmes cités, à savoir la formation des enseignants qui est le maillon fort et essentiel de la structure pédagogique. Il faut aussi sortir du dialogue administratif et exclusivement dédié aux revendications syndicales. Il faut aussi redonner confiance à l’élève et à ses parents en l’école publique et les programmes.
Revaloriser l’enseignant et l’élève dans l’enceinte pédagogique sont également essentiels dans la remise sur les rails de l’école. Cela ne peut se faire qu’en donnant la parole aux pédagogues et aux experts du secteur et en optant pour une approche collaborative sur le terrain loin des discours sans application.