Vérité au-delà, erreur en deçà !» En paraphrasant ainsi la célèbre pensée : «Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà», selon laquelle «ce qui vaut pour un peuple ne vaut pas nécessairement pour un autre», Me Abderrahmane Boutamine, un ténor du barreau algérien, sait de quoi il retourne.
A la protestation de l’Algérie contre l’arrestation et la mise sous mandat de dépôt, vendredi dernier, d’un fonctionnaire consulaire algérien exerçant au consulat d’Algérie de Créteil en France, pour «enlèvement, arrestation, séquestration ou détention arbitraire suivie de libération avant le 7e jour, en relation avec une entreprise terroriste», de l’influenceur algérien Amir Boukhors , qui vit depuis 2016 en France et y a obtenu l’asile politique en 2023, des sources diplomatiques ont invoqué l’«indépendance de la justice».
Une façon «surprenante» d’éluder «la question au vu des positions de certaines autorités françaises gouvernementales, médiatiques et diplomatiques quand il s’est agi du cas de Boualem Sansal, ressortissant algérien, déféré devant la justice algérienne pour délit de droit commun, où, à l’unisson, ces autorités avaient ''exigé'' de l’Algérie sa libération immédiate, oubliant au passage le principe de l’indépendance de la justice d’un Etat souverain», estime Me Boutamine.
Son constat ne souffre aucun doute. Y voyant «un apartheid des principes généraux du droit», l’avocat pénaliste juge que «les formes prévues par la Convention de Vienne sur les relations consulaires, notamment en son article 42, relatif aux notifications, n’ont pas été respectées. L’Etat de résidence (en l’occurrence la France), a obligation de prévenir au plus tôt soit le chef de poste consulaire concerné, soit l’Etat d’envoi (en l’occurrence l’Algérie) par la voie diplomatique».
Cette obligation n’ayant pas, selon lui, été respectée, «il s’ensuit que l’Etat de résidence, la France, n’a pas respecté ses obligations internationales issues d’une convention internationale et relatives à l’inviolabilité personnelle des agents consulaires consistant à ne pas porter atteinte à leur liberté ou à leur dignité. Il s’ensuit que les mesures prises à l’encontre du fonctionnaire consulaire algérien sont frappées d’illégalité en ce que les prescriptions des traités et conventions internationaux priment sur les lois internes», nous explique Me Boutamine.
Sur le fond de cette affaire qui a brutalement écourté la désescalade entre Alger et Paris, après des mois de brouille conduisant les deux voisins au bord du divorce diplomatique, «l’Algérie a relevé que le Parquet national antiterroriste français s’est fondé sur le seul fait que le téléphone de l’agent consulaire aurait été borné (enregistré) autour de l’adresse du domicile du nommé Boukhors Amir». Et a qualifié cet argumentaire de «vermoulu et farfelu, fragile et inconsistant».
Ce qui pose problème, d’après l’avocat également spécialiste en droit public, «c’est d’abord le non-respect, par les autorités françaises concernées, des dispositions de l’article 42 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963 relatives à l’obligation de notifier par voie diplomatique l’Etat d’envoi (l’Algérie) de toutes mesures de poursuite pénale engagée à l’encontre d’un agent consulaire, de son arrestation et/ou de son emprisonnement».
Ensuite, poursuit-il, «au fond, l’arrestation et l’emprisonnement de cet agent consulaire s’est faite sur le fondement de l’exception de l’article 41 de la Convention de Vienne qui autorise la mise en état d’arrestation et de détention préventive d’un fonctionnaire consulaire en cas de ‘’crime grave’’». Cependant, «qualifier les faits d’enlèvement, séquestration, détention arbitraire d’une personne, de crime grave n’est pas en discussion».
Pour lui, ce qui l’est, en revanche, est «l’imputation de ce crime grave à cet agent consulaire sur le seul fait que son téléphone aurait été ''borné'' (enregistré) autour de l’adresse du domicile du nommé Boukhors Amir». Lequel motif, par «son extraordinaire légèreté», ne peut, à lui seul, «autoriser l’interpellation de l’agent consulaire en pleine voie publique, encore moins sa mise en détention, cela en vertu des dispositions de la Convention de Vienne qui impose à l’Etat de résidence de ne pas attenter à la liberté et à la dignité des fonctionnaires consulaires. En tout cas, pas sur la base d’un indice qui aurait servi, tout au plus, à l’ouverture d’une information judiciaire», tranche-t-il.
La qualification par l’Algérie de cet argument du Parquet national antiterroriste français, «argumentaire vermoulu et farfelu, fragile et inconsistant», semble être, aux yeux de Me Boutamine, «une qualification appropriée». Autant dire que le tout nouveau chapitre de l’interminable saga diplomatique témoigne du génie français dans l’art de la mise en scène.
En l’amplifiant de manière aussi ubuesque, Paris a fini par faire de l’histoire Amir DZ, la «marionnette de son inconscience», l’envers d’un spectacle qui promet de faire grincer des dents au Quai d’Orsay comme à la place Beauvau. Naima Benouaret