Miloud Hakim. Poète et traducteur : «Mohammed Dib est plus poète que romancier»

06/04/2025 mis à jour: 08:34
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Photo : El watan

Il a traduit les œuvres poétiques complètes de Mohammed Dib, son livre Tlemcen ou les lieux de l’écriture, des récits et des textes tirés de L’arbre à dire, de ses romans et recueils de nouvelles. Miloud Hakim, né en 1970 à Tlemcen, est professeur d’université et auteur, entre autres, de recueils de poésie Femmes, à tous les vents  (El Ikhtilef, 2002),  Plus qu’une tombe (Barzakh, 2003) et Encore une histoire maman (Rue du monde, Paris 2008).

Propos recueillis
Par Chahredine Berriah

Pourquoi ce choix de traduire les œuvres de Mohammed Dib ?

Mon choix vient premièrement du fait que je suis poète, avant tout, et de mon intérêt pour la poésie sous toutes ses formes et transformations. J’ai déjà traduit des poèmes de grands poètes comme : René Char, Yves Bonnefoy, Edmond Jabès, et autres.

La Deuxième raison émane de mon désir de faire connaître aux lecteurs algériens et arabes des textes de nos écrivains qui écrivent en langue française et de rapprocher ces expériences de la génération actuelle des lecteurs, en particulier ceux qui ne lisent pas d’autres langues.

Un autre point concerne la redécouverte de Mohammed Dib en tant que poète, car il est plus connu comme romancier, alors qu’il est un grand poète et que son œuvre poétique mérite l’attention, en raison de sa profondeur, de sa grande sensibilité esthétique et de l’innovation qui s’y observe, ainsi que de ses dimensions culturelles qui expriment le dialogue incessant entre l’Orient et l’Occident. L’œuvre de Mohammed Dib représente une expérience exceptionnelle et un sommet de la poésie universelle.

Lors d’une communication que vous aviez présentée à la bibliothèque principale publique de Tlemcen, vous aviez rappelé que, je cite : «Mohammed Dib est plus considéré comme poète que comme, réalité que la majorité des lecteurs ignore…», j’avoue que cela m’a intrigué…

En réalité, l’importance de Mohammed Dib en tant que poète est plus grande que son importance comme romancier, selon mon point de vue, parce qu’il est essentiellement poète, et il a écrit de la poésie dans ses débuts.

Mais malheureusement, la majorité le connaît en tant que romancier, et cela pour plusieurs raisons. L’une d’elles est l’adaptation de sa première trilogie en une série télévisée intitulée L’Incendie, qui a eu un grand succès auprès des Algériens.

Ensuite, il y a l’absence de critique qui n’a pas suivi l’ensemble de la création de Mohammed Dib, en particulier dans la dernière période. De plus, Mohammed Dib a choisi une vie de solitude loin des médias et des cercles clos des intellectuels occidentaux qui te demandent de vendre tes principes et ton âme pour une reconnaissance douteuse.

Il y a également une raison profonde : Mohammed Dib est un écrivain expérimental par excellence, très moderne, ce qui fait que ses textes sont caractérisés par l’ambiguïté et une sorte d’ésotérisme, ce qui rend difficile leur lecture et les rend inaccessibles au lecteur ordinaire qui ne se donne pas la peine de chercher et de creuser.

Nous trouvons cela particulièrement dans sa poésie qui se caractérise par une ambiguïté transparente, issue d’un choix esthétique difficile, qui traite la langue, les images, les rythmes et la rhétorique avec une sensibilité moderne et une expérimentation sans limites.

Un mot sur la littérature algérienne de façon générale, les romanciers algériens, toutes langues confondues, qui ont «le vent en poupe» avec des distinctions internationales…

La littérature algérienne a connu des transformations importantes depuis la génération des fondateurs qui cherchaient encore à établir une littérature nationale à travers le choix d’une approche engagée et enracinée dans le questionnement des problèmes en relation avec la colonisation, l’identité, les blessures symboliques et la confrontation avec les soucis de la modernité et de la place de notre pays dans le monde après l’indépendance, et ensuite il y a eu plusieurs générations d’écrivains qui ont développé ces thématiques et ajouté d’autres pierres à l’édifice, en relation avec les changements du vécu et de la vision du monde. 
La richesse qui caractérise cette littérature vient de la pluralité des langues dans lesquelles elle s’exprime : l’arabe, amazighe, français, dialectes algériens, et d’autres langues encore.

Cela lui confère une grande ouverture sur des conceptions esthétiques et des possibilités créatrices riches, ainsi qu’une profonde racine dans la culture algérienne composée d’une mosaïque culturelle ancienne diversifiée. L’écrivain ici se trouve face à une pluralité énorme de références et d’approches, ce qui lui permet de se renouveler et de diversifier son expérience. Un écrivain du Sud n’est pas comme un écrivain du Nord, et un poète touareg n’est pas comme un poète des Hauts-Plateaux.

Tout cela confère une grande richesse à cette littérature, à condition que nous sortions des faux problèmes et conflits liés à des raisons linguistiques, idéologiques ou identitaires et que nous nous ouvrions à toutes les expériences dans leurs richesses et leur diversité. Il y a, en effet, des expériences qui méritent l’attention, certains sont connues et célèbres, d’autres encore méconnues.

Cela me pousse à souligner la nécessité d’une politique culturelle adoptée par l’Etat pour promouvoir et s’intéresser à la culture véritable et aux vrais écrivains pour qu’ils puissent exprimer librement leur approche de l’Algérie qui est plus grande que toutes les contraintes. Et il est nécessaire que la critique académique, journalistique et autre sorte de son état de stagnation et suive les transformations qui se produisent dans le paysage créatif et culturel algérien.

 

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