Meziane Meriane. Pédagogue et ancien syndicaliste : «On doit introduire des méthodes qui permettent à l’enfant de penser par lui-même»

19/09/2023 mis à jour: 01:45
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Photo : D. R.

Dans l’entretien accordé à El Watan, Meziane Meriane revient sur les réformes engagées par la tutelle. Il évoque la question des rythmes scolaires. «Notre enfant se repose plus que les autres enfants des autres pays qui ont entre 36 et 40 semaines de travail alors que notre enfant travaille moins de 30 semaines par an.» S’agissant de la révision du statut particulier sur lequel s’est exprimé le président Tebboune, il fait remarquer : «Après des années de lutte, les syndicats de l’éducation ont arraché la décision de réviser ce texte (promulgué en 2012, ndlr) pour corriger les bavures. Une commission mixte ministère-syndicats s’est penchée sur le dossier qui est finalisé mais qui sommeille depuis plusieurs années. J’espère qu’avec l’exigence du président de la République, il sera appliqué.»

- Les élèves ont repris le chemin de l’école aujourd’hui. Dans un précédent entretien à El Watan, vous avez relevé que cette rentrée devrait intervenir plus tôt d’autant que le risque de «décrochage» des élèves est important après de très longues vacances ?

Les vacances constituent un besoin primordial pour le bien-être et l’équilibre des enfants. Elles permettent au cerveau de l’enfant de se reposer pour améliorer son quotient intellectuel et sa créativité. Les vacances scolaires optimisent également le bien-être des enfants. Les enfants doivent réellement se reposer pour pouvoir entamer la rentrée scolaire dans de bonnes conditions mentales.

Maintenant, singulièrement pour ceux qui sont issus des milieux défavorisés, on doit penser aux colonies de vacances avec différentes sessions prises en charge par l’Etat pour le bien-être des enfants. Cela va renforcer les liens sociaux entre les enfants mais sans oublier bien sûr leur scolarité, qui est aussi bien ou plus importante que leurs vacances. Ce qui m’amène à dire que la seule chose qui doit compter c’est donc de veiller à la rythmicité des temps de repos et de travail, en respectant rigoureusement les recommandations des rythmes scolaires.

Chez nous, la rythmicité du temps de repos et celle du travail sont totalement déséquilibrées ! Notre enfant se repose plus que les autres enfants des autres pays qui ont entre 36 et 40 semaines de travail alors que notre enfant travaille moins de 30 semaines par an, ce qui m’a amené à dire que l’inadéquation entre les deux rythmicités et la surcharge des programmes risquent de créer un décrochage chez nos enfants. 

- Que faudrait-il faire pour «remettre dans le bain» les élèves?

Le retour à l’école après les vacances s’avère souvent difficile. En effet, les jours de repos et de décompression engendrent un ralentissement des rythmes et cela ne favorise guère l’envie de reprendre la routine habituelle avec ardeur.

A la fin des vacances, l’enfant aussi peut ressentir, paradoxalement, plus de fatigue et de démotivation. Un de nos rôles en tant qu’enseignant consiste à remotiver les élèves, afin d’augmenter leur intérêt, leur implication et leur rendement. Il s’agit de communiquer avec les élèves sur les méthodes de travail, indiquer clairement ce que l’enseignant attend de ses élèves et encourager l’enfant à avoir de l’autonomie dans l’apprentissage en lui apprenant, par exemple, comment faire des recherches sur internet.

- Dans une circulaire datée du 14 septembre, le ministère de l’Education nationale a décidé de revoir la grille des programmes hebdomadaires. Que pensez-vous de ces nouvelles mesures ?

Il y a une reforme qui est appliquée aujourd’hui sur le terrain. Tout ajout ou toute modification doit faire l’objet d’une étude approfondie par les spécialistes des sciences de l’éducation. La révision de la grille des programmes doit être le résultat de l’expertise de la reforme mise en application depuis 2003.

Mais une remarque s’impose d’elle-même : le volume horaire de travail ne permet pas de finir le volume du programme, s’il y a ajout avant l’ajustement, on ne fera que déséquilibrer davantage l’équation. On doit donc corriger en premier lieu certains dysfonctionnements de l’environnement pédagogique. L’introduction du sport à l’école primaire nécessite des terrains conformes à la pratique sportive. Nos écoles ne sont pas construites avec cet objectif au préalable ! 

- L’allégement des programmes éducatifs est l’une des exigences des parents d’élèves et des enseignants. Le ministre Abdelkrim Belaabed, lui-même, a indiqué, en mai dernier, que le Conseil national des programmes (CNP) s’attelle à adapter les programmes «aux mutations que connaît la société algérienne, et aux développements scientifiques et technologiques effrénés». Quelles sont vos propositions ?

La société est traversée par différents courants idéologiques et politiques, c’est légitime que les parents d’élèves s’intéressent à la scolarité et l’apprentissage de leurs enfants mais cela doit se faire sans ingérence dans le travail des spécialistes des sciences de l’éducation. Le contenu des allégements doit être la remédiation, qui est elle-même déterminée après expertise de certains objectifs pédagogiques assignés dans la reforme et qui ne sont pas atteints.

Le monde change, la technologie et la recherche s’accélèrent avec une très grande vitesse. Pour ne pas rester au bord du quai, on ne doit pas rester statiques et se suffire du taux de scolarisation et ne pas se remettre en cause.

On doit prendre des mesures en fonction de nos besoins et des moyens financiers dont on dispose, on ne doit pas placer la barre là où il nous est impossible de l’atteindre et on doit penser aussi à l’amélioration de la formation de l’enseignant, gage de réussite de toute reforme. On doit penser à introduire des méthodes qui vont permettre à l’enfant d’apprendre et de penser par lui-même et à communiquer avec autrui. Par conséquent, il faut avoir une politique des langues claire et apprendre à l’enfant comment maîtriser quelques outils informatiques qui donnent accès à d’autres savoirs. D’ailleurs, la nécessité de la maîtrise de l’outil informatique s’est fait sentir avec la pandémie de la Covid-19 où les élèves étaient privés d’enseignement pendant plus de 8 mois.

- Le président de la République a exigé la révision du statut des enseignants avant la fin de l’année (2023). Qu’est-ce qui a retardé la prise en charge de cette revendication par la tutelle ?

Je ne pense pas que ce soit la tutelle (ministère de l’Education nationale, ndlr) qui a retardé son application, la tutelle ne fera que s’exécuter une fois le texte finalisé. Il y a un travail qui doit s’effectuer en amont et en aval par la Fonction publique, par le ministère du Travail, par le ministère des Finances en fonction de la loi de finances et de la masse salariale exigée par le changement. Il faut signaler au passage que ce statut particulier a été promulgué en 2012 avec beaucoup d’injustice et de bavures. Il a fait l’objet de plusieurs luttes pour sa révision.

- Justement, quelles sont les revendications socioprofessionnelles les plus saillantes de vos anciens collègues enseignants ?

Les principales revendications sont la carrière de l’enseignant, sa retraite. C’est une aberration d’avoir une retraite calculée sur 32 ans de service et en exercer 40 ! Le pouvoir d’achat est érodé par inflation galopante et incontrôlée qui a ingurgité toutes les augmentations arrachées par des années de lutte des syndicats autonomes.

D’où la nécessité d’avoir une prime variable qui va permettre la sauvegarde des augmentations et le pouvoir d’achat des enseignants. Après la promulgation du statut particulier en 2012, on a constaté beaucoup d’incohérences. Après des années de lutte, les syndicats ont arraché la décision de réviser ce texte pour corriger les bavures. Une commission mixte ministère-syndicats s’est penchée sur le dossier, qui est finalisé mais qui sommeille depuis plusieurs années. J’espère qu’avec l’exigence du président de la République, il sera appliqué.

 

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