Météo/ La nature n’aime pas le cinéma algérien (ou l’inverse)

11/02/2024 mis à jour: 06:06
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Vengeance : extrait du tournage Terre de vengeance. Un ciel bleu et un soleil dur qui semblent vouloir se venger d’un réalisateur qui se gratte la tête. Tout le cinéma algérien.

La mer souvent plate, le ciel toujours bleu, pas de pluie ou presque, de grisaille, de brume et encore moins de neige, comment faire des films d’auteur où les nuances de gris sont si importantes ? Début de réponse à Mostaganem pour le début du tournage de Terre de vengeance d’Anis Djaad.

 

La terre se venge-t-elle de ses habitants ? Non, elle ne fait que se construire, par nature, se déconstruire et se reconstruire, la vengeance est humaine, même pas animale ou végétale, et ce sont les humains qui se vengent, souvent des humains d’ailleurs. 

La sentence étant déclarée, si pour un spectateur un beau temps, pratiquement toute l’année, est une bénédiction, pour un cinéaste, ce n’est pas forcément bon. Dans beaucoup de films, la pluie a ce pouvoir de rendre des scènes plus intenses à travers une gamme de sentiments et d’instaurer une ambiance particulière, la pluie ne tombant rarement par hasard dans une œuvre cinématographique. 

Bien sûr, Singing in the rain ou The revenant aux conditions climatiques très dures selon Leonardo Di Caprio, mais aussi Pluie noire de Imamura, Taxi driver, Seven ou Matrix qui contiennent d’importantes scènes de pluie mettant en scène les émotions comme pour la mort de Mozart dans Amadeus de Milos Forman. 

En Algérie, c’est plus difficile, comme sur cette route de Mostaganem et Stidia où le méridien Greenwich passe, il est même tracé sur le goudron de la RN11, longitude zéro mais latitude 35, ce qui explique déjà le climat. A quelques enjambées, c’est déjà le front de mer des Sablettes et face à la mer, belle comme un film de prospectus touristique, une cigarette à la bouche et l’œil inquiet de l’agriculteur, Anis Djaad attend la pluie, protestant contre ce soleil assassin. 

Après plusieurs courts et son long métrage, La vie d’après (2021), il revient avec sa mélancolie dans Terre de vengeance, son nouveau film, qui a commencé son tournage le 5 février. 

Dans les petites dunes des Sablettes, il aura fallu attendre le lever de soleil pour prendre quelques moments d’émotion autour de Samir El Hakim, personnage principal du film, dénouant sa solitude au milieu de la brume flouttant une mer (un peu) démontée. Le jour levé, tout est devenu plat, calme et brillant, du soleil, quelques nuages et la pluie artificielle comme dans Kindil el bahr (2016) de Damien Ounouri avec le concours des pompiers de Gouraya et leurs lances à eau, n’est pas au programme. 

Non, il n’y a pas de films algériens sous la neige, sous la pluie et sans ciel bleu. Sur la route de Mostaganem, passée la grande station de dessalement d’eau de mer de Mersat El Hadjdadj, parce qu’il ne pleut pas assez, c’est encore soleil chaud, ciel bleu et terres déssechées comme dans Interstellar de Chrisopher Nolan (2014), les milliers de mouettes qu’on appelle ici belaredj, désignant en réalité la cigogne parce qu’il n’y a pas de cigognes, crient pourtant que les meilleurs sardines d’Algérie viennent de Mostaganem. 

Pour le meilleur directeur photo, c’est Dieu selon les cinéastes cubains qui travaillent souvent sans moyens. Hamoudi Laggoune, maître de la lumière sur le film et directeur photo, «la nature est bien faite et j’essaie de faire des choses naturelles, Dieu est bien le meilleur chef opérateur, au moins il ne se prend pas pour un chef opérateur, l’inverse n’étant pas forcément vrai». Mais comment faire un film mélancolique sans pluie ni ciel gris ? 

Hamoudi y répond, par «des réglages caméras, lumière légèrement bleutée et désaturée, ce qui donne des couleurs ternes et un peu de mélancolie». Mais tout n’est pas dans l’image mais aussi dans «le cadrage du personnage avec une image toujours coupée en deux qui lui donne le choix de sa destinée, et au fond, avec un paysage qui n’a pas vraiment de rapport avec ces choix parce que la caméra ne bouge pas, c’est un parti-pris».

Alors finalement à quoi sert la pluie ? Si l’on excepte Le vent des Aurès de Mohamed Lakhdar Hamina (1966) où il ne pleut toujours pas, il n’y a pas un seul film algérien où le mot «pluie», «neige» ou «brouillard» apparaît dans le titre, y compris Jours de pluie, un film français sur le massacre des Algériens le 17 octobre 1961 à Paris. Où il pleuvait. 
 

MAIS POURQUOI LE CIEL EST BLEU ?

Pourquoi la mer est-elle bleue, a demandé un poisson à son directeur photo ? Parce qu’elle reflète la couleur du ciel. Oui mais pourquoi le ciel est-il bleu ? Parce que l’atmosphère ne diffuse de la lumière blanche émise par le soleil qui inclut les longueurs d’ondes du domaine visible que la fréquence des bleus. Il s’agit bien d’atmosphère, celle, naturelle, et celle que tente de recréer le cinéaste. Quand le ciel est bleu, la pluie absente, 

En attendant les hirondelles, film de Karim Moussaoui (2017), signe que le printemps est déjà là, il est toujours difficile de faire un film mélancolique. Pour Luis Bunuel, réalisateur, scénariste et acteur espagnol marxiste surréaliste qui a longtgemps travaillé avec Dali et Breton : «C’est la pluie qui fait les grandes nations.»

Surnommé le peintre des contrastes violents, l’auteur de l’étrange Un chien andalou, co-écrit avec Salvador Dali, exprimait ici ses influences, relief rocailleux, paysages désertiques et caractère rugueux des habitants de la région de son enfance marquant durablement le futur artiste. Rattrapé par son passé climatique, il aura fui la censure de son pays, alors dirigé par les généraux franquistes qui n’aiment pas le cinéma, pour finir au Mexique, là où il fait toujours chaud. En Algérie, a-t-on une nature trop sèche pour en faire des films ? 

Dans Inland (2009), un film d’auteur autour des grands espaces, Tariq Teguia filme un ciel gris, laiteux, ce qui dans le désert est assez rare, «mais c’était comme ça, on ne l’a pas choisi», avait-il expliqué à l’époque, signe, du ciel, qu’il faut aussi travailler avec le hasard, même si statistiquement, le ciel est toujours bleu. Le désert étant un décor à la mode dans le cinéma contemporain, souvent filmé comme un espace mort ou cadré sur l’idée de sa propre solitude, quand le réalisateur Amin Sidi Boumediene l’associe dans Abou Leïla (2019) aux désordres intérieurs de ses personnages, Tariq Teguia se contente de prendre le parti de son anti-héros, un  topographe rigoureux qui traduit les espaces en chiffres. Et pour Terre de vengeance, est-ce une histoire de moyens ? 

Fatah Rabia, assistant réalisateur du film, épaulé du jeune cinéphile Youcef Kareche qui a souvent le matin la tête d’un mauvais temps, est également président de l’association des techniciens du cinéma, avec toute la technique du monde, on peut faire des mauvais films, et si les œuvres algériennes sont souvent mélancoliques, «ce n’est pas une histoire de moyens, le réalisateur est influencé par son environnement et vice-versa». Balle au centre, soleil en haut, horizon au loin. 

Début 2024, la sécheresse est tombée sur le cinéma algérien, va-t-il pleuvoir ou faudra-t-il de la pluie artificielle ?

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