Mémoires de Lakhdar Bentobbal, tomes 1 et 2 : Une œuvre de salubrité publique

14/05/2022 mis à jour: 17:15
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Lakhdar Bentobbal, Mémoires de l’intérieur, Chihab Editions octobre 2021

Il est colossal ce travail qui aurait pu tenir en quatre volumes plutôt qu’en deux auxquels il a été réduit si ses caractères d’impression avaient été choisis à une taille appropriée pour une lecture plus confortable. 

Ce choix est certainement à mettre au compte de la nécessité de rendre l’œuvre accessible aux bourses les moins garnies, un choix amplement justifié s’agissant d’une œuvre manifestement voulue de salubrité publique tant les mémoires de Lakhdar Bentobbal vont contribuer à dépolluer la mémoire et l’histoire d’un segment historique essentiel dont sa/ses vérité(s) ont été altérées à des fins politiciennes. 

En ce sens, l’abattage accompli par Daho Djerbal est colossal pour être allé avec Bentobbal au détail du détail dans la restitution des faits. A ce propos, et contrairement à certaines assertions, disons le tout net, si les mémoires sont celles de Bentobbal, l’ouvrage qui en est tiré a tout aussi indubitablement pour auteur Djerbal. 

Cet ouvrage, un formidable coup de pied dans une fourmilière

Sa contribution ne peut censément être réduite à celle d’un scribe, d’autant que sa simple signature lui confère une dimension qui dépasse de loin les limites d’un récit mémoriel qui s’ajoute à d’autres qui l’ont précédé. 

Car tout habitué de l’écriture longue, à partir d’un récit oral, on ne peut manquer de relever la rare densité du texte sur lequel il a débouché tant le travail a été de très loin, celui d’une simple mise en forme ou d’une tâche de secrétariat. En effet, et au-delà, il y a tout le travail d’intervieweur qui fait l’interviewé et qui engage la crédibilité du spécialiste de l’histoire contemporaine qu’est le professeur Djerbal.

(Lakhdar Bentobbal, La conquête de la souveraineté, Chihab Editions mars 2022)
 

Dans cette coopération des deux sparring-partners, Bentobbal apparaît non comme un homme de pouvoir, même s’il ressort qu’il a été en tant que dirigeant de la Révolution d’une sacrée habileté manœuvrière, mais plutôt comme un patriote sans concession et un homme d’Etat. 

Et s’il ne cache pas ses griefs à l’endroit d’autres compagnons de la Révolution, les formulant parfois brutalement, il ne leur fait pas porter l’entière responsabilité des revers de cette révolution. Il n’oublie jamais de contextualiser les faits, rappelant des conjonctures faites de terribles adversités, et ne ramène pas les actes des uns et des autres à une histoire de bons et de méchants. 

L’autocritique est également collective, celle d’un collectif dont il ne soustrait pas sa responsabilité, manifestant ainsi un désir d’objectivité. De la sorte, l’ouvrage constitue un formidable coup de pied dans une fourmilière constituée de nageurs en eaux troubles qui, sans aucune autorité académique où légitimité historique, dissertent sur des questions très sensibles comme en particulier, pour ne considérer qu’un exemple, celle de la double primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur, une exigence issue du congrès de la Soummam.

En effet, cette primauté extraite de son contexte historique et plaquée sur la réalité du pouvoir en place depuis l’indépendance, paraît si évidente de justesse alors qu’au regard des faits d’alors, en 1958 au moment de son adoption, elle est bien problématique. C’est dire si les mémoires de Bentobbal sont à lire pour un salutaire inventaire sur un glorieux passé qu’un pernicieux révisionnisme s’efforce de flétrir. 

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