Mehdi Sofiane Haddadou, fils du linguiste Mohand Akli Haddadou : «Le dévouement de mon père pour sa langue maternelle a fait qu’il se dédie corps et âme à la cause berbère»

19/02/2022 mis à jour: 18:17
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Mehdi Sofiane Haddadou

Un livre inédit du défunt chercheur en linguistique, Mohand Akli Haddadou, vient de paraître aux éditions Berti : Dictionnaire encyclopédique des Berbères. 

Dans l’entretien qu’il a accordé à El Watan, son fils Mehdi parle de cette œuvre posthume dont son père avait entamé l’écriture bien avant que son état de santé ne se dégrade. Il n’omet pas d’évoquer l’apport de sa mère qui «a remué ciel et terre pour réaliser son vœu». 

Annonçant le projet de réédition de l’œuvre de l’éminent auteur, Mehdi annonce la publication d’un second dictionnaire, achevé par son père qui a cette habitude heureuse de travailleurs sur plusieurs «chantiers». Le Dictionnaire encyclopédique des Berbères sera disponible lors de la 25e édition su Salon international du livre d’Alger (Sila) qui se tiendra du 24 au 31 mars prochain.

 

Propos recueillis par  Nadir Iddir

 

-Les éditions Berti viennent de publier à titre posthume le Dictionnaire encyclopédique des Berbères de votre père, le linguiste, Mohand Akli Haddadou, décédé en 2018. Pourriez-vous nous en parler davantage ?
 

Mon défunt père avait entamé l’écriture de ce dictionnaire bien avant que son état de santé ne se dégrade. Comme vous le savez, il n’avait pas l’habitude de travailler sur un seul projet, mais sur plusieurs «chantiers», comme il nous le disait souvent, à la fois. Avant qu’il ne nous quitte à jamais, il avait déjà presque achevé deux dictionnaires, dont celui-là. Quelques jours avant son décès, je l’ai aperçu attristé dans son lit, je lui ai demandé : «Qu’est-ce qui te tracasse papa.» Il a poussé un grand soupir et m’avait dit : «J’ai peur de mourir avant que je puisse publier ces deux bouquins.» Il nous répétait souvent à ma défunte maman, à ma sœur et moi qu’il voulait tellement les voir édités. Après son décès, ma défunte mère a remué ciel et terre pour réaliser son vœu. Elle a contacté le professeur Moussa 
Imarazene pour nous assister dans cette démarche ardue. Il n’a pas hésité une seconde à le faire même, si ma regrettée mère lui avait demandé l’impossible. 
 

-Justement, vous dites que c’est grâce à votre défunte mère que ce travail a vu le jour. Vous précisez que l’acharnement, l’engagement et le dévouement de votre maman envers son époux ont fait que ce dictionnaire paraisse… 
 

Oui, je vais vous dire une chose que peut-être peu de gens savent : ma défunte maman avait passé son permis de conduire à l’âge de 36 ans rien que pour pouvoir être au chevet de son époux. Depuis 2003, c’est elle qui l’emmenait enseigner à Tizi Ouzou jusqu’à sa dernière année en 2018. Parfois, quand elle était malade ou occupée, je l’emmenais moi-même, je remarquais bien qu’il aurait préféré que ça soit elle. Tout cela pour vous dire à quel point ils étaient liés. Elle était toujours présente pour lui et lui pour elle. Après son décès, elle nous a consultés ma sœur et moi à propos de l’édition de ses livres, nous avons cherché les livres dans son laptot. Nous savions qu’il avait terminé deux dictionnaires dont l’Encyclopédique des Berbères. Elle avait demandé au professeur Imarazene de les revoir, puis à M. Gaci des éditions Berti de les publier. Malheureusement, elle a été atteinte de la Covid durant la 3e vague qu’a connue l’Algérie et a été rejoindre son défunt compagnon avant que ce dictionnaire voie le jour. 
 

-L’œuvre du professeur Haddadou, chercheur reconnu par ses pairs, est immense. Le chercheur acharné qu’il était s’est intéressé principalement à la linguistique et au patrimoine berbères. Comment est née cette vocation malgré tous les obstacles rencontrés par l’enfant de Chemini ?
 

Oui, il avait connu des obstacles durant sa vie, notamment la perte de sa jambe. Il avait vécu une enfance difficile, même à Alger. Son dévouement pour sa langue maternelle a fait qu’il se dédie corps et âme à la cause berbère. Il a dû soutenir son 3e cycle en France. Il voulait le faire ici à Alger, mais il n’en a pas eu la possibilité. En 1990, à l’ouverture du département des langues et culture amazighes, il n’a pas hésité une seconde à le rejoindre et depuis, il s’est dédié à l’enseignement et à l’écriture. Ceci dit, avec tous ses engagements, je tiens à préciser que nous n’avons manqué de rien. Il était toujours là pour nous. Pour ma part, il est mon exemple, mon héros. 
 

-Les travaux de M. Haddadou ont porté également sur l’islamologie, sa traduction du «grand livre de l’interprétation des rêves» d’Ibn Sirin, entre autres, est beaucoup appréciée…
 

Oui, il s’intéressait également à l’islamologie, à l’islam en général. C’était quelqu’un de spirituel. Il tenait à montrer la réelle image de l’islam. Il s’est aussi intéressé au Saint Coran et aux sciences qu’englobe le Livre sacré. Il avait même écrit un livre dans ce sens. 
 

-Certaines des œuvres du défunt auteur sont épuisées. Y a-t-il un projet de réédition ?
 

En effet, nous avons songé à prendre attache avec les principaux éditeurs avec lesquels mon papa avait le plus collaboré. Si Dieu le veut, nous allons rééditer la majorité des livres qui sont épuisés, voire tous. Pourquoi pas. Notre ultime but, qui était aussi celui de ma maman, n’est que le partage du savoir, comme nous l’a enseigné papa. Que le Tout-Puissant les accueille en Son Vaste Paradis, ensemble. 
 

-Votre défunt père a-t-il laissé d’autres textes que vous comptez publier ?
Oui, un autre dictionnaire. Nous avons l’intention de prendre attache avec deux maisons d’édition, l’une à Alger, l’autre à Tizi Ouzou. Espérons que cela se fera rapidement vu les circonstances particulières que traverse notre chère patrie.

 

 

 

Mohand Aki Haddadou à El Watan :  «Ni le handicap ni la maladie qui m’ont frappé n’ont affecté mon moral»

Né le 24 novembre 1954 à Chemini (Béjaïa), Mohand Aki Haddadou perd à 4 ans une jambe dans un bombardement de l’armée coloniale. Il quitte avec ses parents le village natal pour Alger. Inscrit au lycée Emir Abdelkader (ex-Bugeaud), il décroche son baccalauréat lettres-philosophie en 1973, et une année plus tard, le baccalauréat français. 

Après un cursus réussi à Tizi Ouzou, il part à Aix-en-Provence (France) où il obtient un doctorat en linguistique sur les «Structures linguistiques et significations en berbère» (1985). De retour au pays, il préfère rester au lycée, où il était PES titulaire, jusqu’à 1990, année de l’ouverture du département amazigh à Tizi Ouzou, où il a continué à enseigner. 

En 2003, il obtient le doctorat d’Etat en linguistique amazighe. «Le premier soutenu en Algérie», nous apprend-il. Dans un entretien qu’il a accordé à El Watan (édition du 9 novembre), Mohand Akli Haddadou nous donne une leçon de vie : «Si je vais toujours de l’avant (…), c’est d’abord par amour pour l’éducation. Ensuite, c’est une sorte de défi, pour conjurer le handicap qui m’a privé de ma jambe. Ni le handicap ni la maladie qui m’ont frappé par la suite n’ont affecté mon moral.» 

Auteur prolifique, il publie une vingtaine de livres traitant de linguistique berbère mais aussi d’islamologie. Il nous a annoncé en primeur ses projets : «A l’hôpital, où j’ai passé une partie de l’été, j’ai achevé deux ouvrages que j’ai commencés avant mon admission. D’abord un Dictionnaire des Berbères, populations, tribus antiques et modernes, personnages historiques et légendaires (…). Enfin, dans le domaine de l’islamologie, c’est un grand ouvrage, Ce que les musulmans ont apporté à la civilisation, Dictionnaire du patrimoine du monde de l’islam.»


 

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