- Le dernier Conseil des ministres s’est penché sur la révision de l’accord d’association avec l’Union européenne. Cette révision était attendue et semble désormais inéluctable. Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur cet accord ?
L’accord d’association est un accord entre l’Union européenne et un pays tiers créant un cadre de coopération entre eux. Les domaines couverts par ces accords concernent notamment le développement de liens politiques, commerciaux, sociaux, culturels et sécuritaires. Il est important d’avoir une idée globale sur cet accord signé à Valence (Espagne) en avril 2002. Ceci pour dire qu’il a été signé dans un contexte politico-économico-historique différent et fort heureusement totalement dépassé.
Il y a aussi dans cet accord, quelque chose qui me semble paradoxal. Il tient au fait que l’Algérie et les autres partenaires de l’UE - signe en fait avec plusieurs entités ; l’Union européenne d’une part en tant qu’entité et les Etats membres de l’UE en tant qu’Etat. Cela ressort clairement de l’article 1.1 de l’accord qui stipule : «Il est établi une association entre la Communauté et ses Etats membres, d’une part, et l’Algérie, d’autre part.»
Cette multitude de membres engendre des difficultés techniques de mise en œuvre de cet accord. Les difficultés de compréhension d’interprétation et d’exécution d’un accord, d’un contrat, d’un traité, augmentent, proportionnellement, avec le nombre des parties impliquées.
- Quelles sont d’après vous les raisons qui motivent ou justifient la révision de l’Accord d’association ?
Fondamentalement, les différences entre le contexte historique économique et politique dans lequel l’accord a été conclu et le contexte actuel. L’accord est entré en vigueur en 2005 période où l’Algérie était économiquement prise au piège de sa dette extérieure et politiquement fragilisée par ses difficultés économiques et par un isolement international lors de ce qu’on appelle la décennie noire.
La dette extérieure en Algérie a atteint son sommet historique au troisième trimestre de 2010, la dette avait entamé sa courbe ascendante en 1994 à 1997 une légère stabilisation et a atteint son record bas au troisième trimestre de 2022. Ceci pour démontrer les différentiels des deux périodes. Les choses ne sont plus ce qu’elles étaient, il est naturel que l’accord d’association soit remis sur la table.
- Voulez-vous dire que l’Algérie était en position de faiblesse et avait donc accepté un accord défavorable ?
En effet ! On soutient ici et là que les échanges entre les deux entités sont déséquilibrés et on avance des chiffres qu’il n’est pas nécessaire de reprendre ici. Ces déséquilibres des échanges sont avancés comme un motif fondamental pour justifier la nécessité de révision de l’accord.
Il faut préciser que l’inégalité des échanges provient de l’inégalité des parties dans les Accords d’association de l’UE. Cette inégalité est de nature institutionnelle et se trouve être consubstantielle à l’accord lui-même. L’inégalité et le déséquilibre ne sont pas spécifiques à l’Algérie mais concernent tous les pays du Sud ayant signé un accord semblable.
Un pays ne peut pas négocier, sur un même pied d’égalité, avec un continent. Les Etats de développement des parties en présence accentuent davantage le déséquilibre des échanges que l’Algérie dénonce maintenant à juste titre. Cet Accord d’association n’aurait pas du être signé en l’état, car les conséquences inégalitaires étaient inévitables.
- Que peut-on reprocher au juste à cet accord ?
D’abord une critique méthodologique dans la rédaction : l’Accord d’association est une sorte de convention type établie par une partie qui se veut centrale et les Etats qui la composent avec des pays du Sud qui ouvrent leurs marchés à tous les pays du continent. Il n’est pas concevable d’avoir une même convention avec des pays ayant des économies différentes. Cette façon de rédiger une convention internationale est une simplification qui se fait au détriment de la complexité technique du ou des terrains.
Il aurait été sans doute plus judicieux d’établir des conventions casuistiques négociées à part et que chaque pays adapte l’exemplaire qu’il signe. Malheureusement, les choses ne se sont pas faites comme ça. L’Union européenne a vendu sa convention aux pays du Sud. Elle a confectionné un accord à sa mesure pour ouvrir les marchés des pays du Sud aux entreprises européennes.
L’expérience est là pour le dire. Les conventions multilatérales de libre-échange et de la liberté d’investissement ont été conçues par les pays exportateurs de marchandises et de capitaux pour l’ouverture des espaces pour leurs productions, leurs marchandises et leurs investissements. D’autre part, il est dangereux pour un pays d’ouvrir tous ses espaces à des productions plus performantes avant de préparer ses propres industries et espérer établir une égalité des échanges. Il semble aussi que l’état d’esprit des rédacteurs de l’accord soit quelque peu mal orienté.
Le préambule de l’accord d’association avec l’Algérie affiche, dès le départ, un sous-entendu paternaliste. Nous y lisons : «Tenant compte de la volonté de la communauté d’apporter à l’Algérie un soutien significatif à ses efforts de réforme et d’ajustement au plan économique, ainsi que de développement social.» Par ces termes, l’UE se présente comme un assistant et l’Algérie comme une assistée.
En invoquant l’ajustement, le préambule porte un jugement de valeur négatif sur l’économie algérienne qui a besoin d’être ajustée. Nous trouvons aussi la terminologie du programme d’ajustement structurel de sinistre mémoire que les créanciers imposaient aux pays endettés pour leur accorder le rééchelonnement de la dette.
Enfin, l’accord semble être complètement dépassé par l’histoire. Par un de ses articles, la communauté européenne semble vouloir négocier avec l’entité maghrébine et non avec des Etats séparés. Cette revendication semble être paradoxale dans la mesure où la communauté semble vouloir imposer un partenariat intramaghrébin et réserver un traitement identique à tous les pays du Maghreb.
Cette vente concomitante d’un même accord à des pays qui sont dans des situations géopolitiques différentes constitue une restriction à la prise en charge de spécificités de chaque pays et aussi une atteinte à la souveraineté des Etats, en imposant un partenariat maghrébin qui était une utopie, même dans le contexte historique où l’accord a été signé.
- En tant que spécialiste de l’arbitrage, avez-vous eu connaissance de différends, de litiges, d’affaires d’arbitrage ou de contentieux relatifs au respect ou à la mise en œuvre de cet accord ?
Non. Il n’y a pas eu des affaires d’arbitrage. L’Espagne et l’UE avaient annoncé l’engagement d’une procédure arbitrale suite à la décision algérienne de suspendre les importations espagnoles. Elles ne sont pas allées jusqu’au bout de leur mise en demeure et semblent être revenues à une démarche de conciliation.
L’affaire de la pâte à tartiner algérienne El Mordjene qui a fait l’objet de mesures d’interdiction ou de restrictions de commercialisation en France. Cette décision a été fondée sur le réglement n°2202/2292 de l’UE concerne notamment les produits alimentaires contenant des dérivés de lait et a abouti à la retenue de la dernière cargaison à Marseille. Cette affaire aurait dû, à mon avis, donner lieu à une procédure arbitrale.
- Quels sont les principaux atouts que l’Algérie peut faire valoir dans cette négociation pour rééquilibrer l’accord en sa faveur ?
La position stratégique, la porte de l’Afrique, le centre du Maghreb, des ressources énergétiques classiques - en voie d’être dépassés - à bon marché, mais aussi l’énergie solaire, 1200 km de côtes poissonneuses et un potentiel touristique, une grande manne de marchés publics, un marché de consommation vu les ressources financières de l’Etat et de la population. Un immense Sahara qui n’est pas seulement un réservoir de ressources énergétiques fossiles et renouvelables, mais aussi et surtout de terres arables propices à de grands partenariats agricoles.
- Comment évaluez-vous l’impact de l’accord d’association sur le commerce extérieur de l’Algérie, notamment en termes d’importations et d’exportations avec l’UE ?
Il me semble très limité et a fonctionné plutôt à sens quasi unique vu les différences entre capacités d’exportations des parties en présence. En outre, il y a eu plus de flux de marchandises depuis l’Europe que de flux d’investissements. La situation n’est pas équitable. Il est difficile de parler de liberté d’échange quand la circulation des marchandises est encouragée, mais celle des personnes et des capitaux reste restreinte.
- En tant qu’expert en droit des affaires, quelle est votre vision pour l’avenir des relations économiques entre l’Algérie et l’Union européenne après 2025, suite à la révision annoncée ?
Les accords d’association de l’UE sont contestés par de nombreux pays, et leurs résultats sont loin des attentes. L’Algérie a déjà exprimé sa volonté de réviser cet accord clause par clause, mais les intérêts divergents rendent cette tâche difficile.
La résolution du Parlement européen du 23 janvier 2025 sur le cas de Boualem Sansal en Algérie a été considérée par l’Algérie comme une ingérence inacceptable. Cette maladresse européenne pèsera sans doute sur le climat des négociations lorsqu’elles seront engagées. Il est établi que la politique européenne vis-à-vis de l’Algérie a toujours été déterminée par la France.
Cet élément est défavorable à un avancement conséquent des négociations. Il devient évident que la rupture est la meilleure option. L’accord actuel est inamendable et ne correspond plus aux ambitions industrielles de l’Algérie. Une dénonciation totale semble aujourd’hui la seule voie pour préserver la souveraineté économique nationale.
Bio express
Nasr-Eddine Lezzar est titulaire de la licence en droit depuis 1981. Après trois années comme juriste d’entreprise (1981 – 1987). Il s’inscrit au barreau d’Annaba puis a rejoint le barreau d’Alger. En même temps, il a occupé le poste d’enseignant à l’université de la formation continue. De 2006 à 2009, il a été expert long terme de l’Union Européenne (UE) dans un programme de réforme de la justice.
Missions d’arbitrage commercial :
- En 2003 Nasr-Eddine Lezzar est membre fondateur du centre de conciliation et d’arbitrage de la Chambre algérienne de Commerce et d’Industrie CCI et a été, pendant onze (11) ans, Membre du comité d’arbitrage du centre.
- Gestion du centre de médiation de conciliation et d’arbitrage de la chambre algérienne de commerce et d’industrie depuis 2003 à 2014.
- Coordination d’un groupe de travail sur l’amendement du règlement d’arbitrage du centre de médiation, conciliation et d’arbitrage de la chambre algérienne de commerce et d’industrie.
- De 2010 à 2013, Vice-président du tribunal arbitral des sports (TAS) en Algérie – (organe de règlement des litiges sportifs du comité olympique algérien).
- De 2009 à 2018 il a été Membre de la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale de Paris.
- Nasr Eddine Lezzar a été trois fois arbitre et trois fois avocat devant la Cour internationale d’arbitrage de Paris.
- Il est, aussi, intervenu comme expert juridique devant la Cour permanente d’arbitrage (la Haye).