- Y a-t-il des restrictions légales sur l’utilisation des espèces dans les transactions commerciales ?
Une loi, assez ancienne, n’a pas été suivie concernait l’obligation de faire passer par les banques de transactions supérieures à 50 000 DA. Cette obligation a connu des résistances et a été abandonnée sans avoir jamais été respectée effectivement. La loi de finances 2025 a pris des dispositions de nature à réduire l’informel en imposant le canal bancaire pour toutes les transactions dans les secteurs de l’immobilier, l’automobile et les assurances.
Cette offensive contre l’informel est mentionnée dans le chapitre « dispositions diverses », Art 202. La loi précise que cette obligation concerne les transactions immobilières, qu’il s’agisse de biens bâtis ou non bâtis, les opérations de ventes réalisées par les concessionnaires et distributeurs de véhicules et engins, l’achat de yachts et de bateaux de plaisance et les polices d’assurance obligatoires.
Il y a lieu de noter que la LF 2025 ne fixe aucun seuil à partir duquel le paiement en espèce est interdit ce qui permet de déduire que toutes les opérations quel que soit leur montant doivent passer par le canal bancaire. Le texte ne précise pas non plus s’il s’agit uniquement des ventes ou si le terme transactions vise aussi les locations, l’absence de nuance du texte laisse supposer que toutes les transactions vente location, hypothèques doivent être exécutées par le canal bancaire.
- Les institutions financières algériennes sont-elles suffisamment encadrées et outillés par la loi pour encourager la bancarisation de l’économie ?
Il n’y a aucune raison pour qu’elles ne le soient pas ! Beaucoup de secteurs sont passés à la numérisation et d’une Façon satisfaisante. Il y a un effort pédagogique à consentir et quelques mesures règlementaires. Mais il y a aussi un effort logistique notamment la dotation des différentes institutions de TPE (Terminal de payement électronique) qui est un investissement un peu lourd.
La technologie offre d’autres techniques moins couteuses notamment le payement mobile qui est une méthode de paiement moderne et sécurisée qui permet de régler des achats ou d’effectuer des transactions financières en utilisant un appareil mobile, tel qu’un smartphone ou une montre connectée.
Il y a même une loi algérienne sur le commerce électronique qui autorise (sans imposer) le payement électronique effectué à travers des plates-formes de paiement dédiées, mises en place et exploitées exclusivement par les banques agréées par la Banque d’Algérie et Algérie Poste et connectées à tout type de terminal de paiement électronique via le réseau de l’opérateur public de télécommunications. Le paiement des transactions commerciales transfrontalières s’effectue exclusivement à distance par voie de communications électroniques.
- Pensez-vous que la bancarisation de l’économie est un remède efficace contre l’informel ?
Je souhaite d’abord nuancer ! Il n’est pas pertinent, à mon avis, de lier la bancarisation à l’existence d’un secteur informel. On peut se trouver dans une économie formelle bancarisée, c’est-à-dire un système bancaire performant et où le secteur formel agit totalement ou quasi exclusivement via les banques mais qui coexiste avec un à secteur informel qui évolue dans un underground, un espace parallèle.
Par contre on peut se trouver aussi dans une économie non bancarisée ou plutôt à faible bancarisation et où dominent les transactions par la monnaie liquide mais où n’existe pas une activité informelle. Cependant, la bancarisation est un moyen intéressant mais non suffisant pour juguler l’informel. Une opération bancarisée échappe à l’informel et la bancarisation est un moyen et un indice de réduction de l’informel.
- La circulation monétaire hors banques est-elle un facteur important dans le blanchiment d’argent en Algérie ? Quelles sont les lois pour lutter contre ce phénomène ?
Absolument. Le blanchiment d’argent consiste à dissimuler l’origine de fonds obtenus illégalement afin qu’ils paraissent être issus de sources légitimes. Il s’agit en fait d’une insertion dans le secteur bancaire, formel de sommes d’argent provenant d’activités illicites et opaques. Ainsi la possibilité du blanchiment de l’argent sale est une sorte d’encouragement des activités informelles auxquelles on octroie une opportunité de régularisation et d’amnistie. Mais d‘un autre côté on peut soutenir qu’un dinar blanchi est retiré à l’informel et gagné par le circuit bancaire.
Les lois ou les mesures anti blanchiment sont, à la limite un encouragement et un facteur de croissance du secteur informel. Je pose une véritable problématique, un dilemme cornélien. Est-il souhaitable de lutter contre le blanchiment et de laisser l’argent sale grossir? Ou bien est-il préférable d’ouvrir la voie au blanchiment et d’insérer l’argent sale dans un circuit propre tout en veillant à ce qu’il n’en sorte jamais ?
- Quels sont les principaux défis juridiques liés à la lutte contre les activités criminelles financées par des liquidités hors banques ?
Le plus grand défi est d’ordre culturel. Il y a des personnes ou des catégories sociales qui depuis toujours ont activé dans l’informel qu’ils ne peuvent concevoir une inscription au registre de commerce et le payement des impôts. Les jeunes trabendistes dépensent plus d’argent dans les passes droits que ce qu’ils paieraient aux impôts, ils se sont accommodés à cette situation et ne se remettent jamais en cause. Ils n’envisagent pas de régulariser leur situation et ne réfléchissent même pas à la question.
Ils se complaisent dans une activité clandestine avec ses risques, pertes et fracas et ne se rendent pas compte des avantages et la sérénité qu’ils auraient en régularisant leur situation. Les commerçants « informels » « criminalisent » en quelques sortes des activités qui pourraient être légales pour peu qu’on s’inscrive au registre de commerce. Les administrations concernées par la création d’un registre de commerce ont un rôle déterminant à jouer.
Le centre national de registre de commerce doit simplifier autant que possible la création des registres et mettant au point la procédure de création du registre en ligne. On avait annoncé, à un moment donné, le lancement d’une application électronique permettant aux consommateurs d’obtenir des informations sur les commerçants ambulants et les artisans pour bénéficier de leurs marchandises et prestations. Il me semble que cela, n’a pas été fait.
Les APC devraient aménager des espaces publics de vente et les réserver aux « marchands ambulants inscrits au registre. Le centre national du registre de commerce ainsi que l’administration fiscale pourraient multiplier les journées portes ouvertes pour informer sur les simplifications et facilitations existantes. Un grand travail pédagogique doit être consenti pour l’insertion des « informels» dans le secteur légal.
- Quels mécanismes juridiques pourraient encourager une transition volontaire des acteurs Informels vers l’économie formelle ?
Il est peut être approprié de promulguer des lois et des règlements, qui imposent le payement de certaines transactions par le canal bancaire. Nous avons cité plus haut, les nouvelles dispositions prévues dans la loi de finances 2025. Il est souhaitable de les généraliser ou plutôt élargir le champ d’application de ces dispositions à d’autres transactions. Par exemple imposer le payement bancaire à toutes les opérations qui dépassent un certain seuil quelque soient leur natures.
Bio express
Nasr-Eddine Lezzar est titulaire de la licence en droit depuis 1981. Après trois années comme juriste d’entreprise (1981 – 1987). Il s’inscrit au barreau d’Annaba puis a rejoint le barreau d’Alger. En même temps, il a occupé le poste d’enseignant à l’université de la formation continue. De 2006 à 2009, il a été expert long terme de l’Union Européenne (UE) dans un programme de réforme de la justice.
Missions d’arbitrage commercial :
-En 2003 Nasr-Eddine Lezzar est membre fondateur du centre de conciliation et d’arbitrage de la Chambre algérienne de Commerce et d’Industrie CCI et a été, pendant onze (11) ans, Membre du comité d’arbitrage du centre.
-Gestion du centre de médiation de conciliation et d’arbitrage de la chambre algérienne de commerce et d’industrie depuis 2003 à 2014.
-Coordination d’un groupe de travail sur l’amendement du règlement d’arbitrage du centre de médiation, conciliation et d’arbitrage de la chambre algérienne de commerce et d’industrie.
- De 2010 à 2013, Vice-président du tribunal arbitral des sports (TAS) en Algérie – (organe de règlement des litiges sportifs du comité olympique algérien).
- De 2009 à 2018 il a été Membre de la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale de Paris.
- Nasr Eddine Lezzar a été trois fois arbitre et trois fois avocat devant la Cour internationale d’arbitrage de Paris.
-Il est, aussi, intervenu comme expert juridique devant la Cour permanente d’arbitrage (la Haye).