Défenseur des causes sahraouie et palestinienne, Maître Gilles Devers, du barreau de Lyon, mène, depuis 2009, une rude bataille judiciaire pour faire condamner les dirigeants israéliens par la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes de guerre, contre l’humanité et le génocide commis à Ghaza. Au bout de la troisième plainte déposée le 9 novembre 2023, il se déclare «optimiste», parce que toutes les étapes de la procédure «ont enfin abouti» après «des rejets, du déni et du mépris». Dans l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder, il revient sur les obstacles, la méfiance, le désespoir qui ont marqué plus d’une décennie de lutte juridique, mais aussi sur son «prochain combat», devant la CPI, pour le droit de retour de plus de 5 millions de Palestiniens à Jérusalem-Est, leur capitale, reconnue comme telle par le droit international.
- Vous affirmez être optimiste quant à l’aboutissement de votre plainte déposée auprès de la CPI le 9 novembre dernier. Comment expliquez-vous cet optimisme alors que votre plainte a été déposée depuis plus de trois mois ?
Je suis optimiste pour ces procédures lancées depuis janvier 2009. Je mesure l’avancée du dossier avec le recul, certes sur un terrain qui n’est pas neutre, avec des outils juridiques qui n’ont pas été créés pour la Palestine, des acteurs institutionnels qui ne sont pas du tout avec la cause palestinienne.
Que nous arrivions ou pas, je mesure le progrès par un raisonnement logique, sur le rappel des faits, le travail sur la jurisprudence, etc. Et je vois que durant la dernière période, non seulement nous ne reculons pas, mais au contraire nous accélérons la cadence. Nous n’avons jamais été dans de meilleures conditions de coopération avec la Cour.
- Mais vue de l’extérieur, cette accélération n’apparaît pas. Bien au contraire, il y a eu des polémiques sur le refus d’ouverture d’une enquête sous prétexte que la Palestine n’était pas un Etat ; sur le retard enregistré, puisque votre première plainte date de 2009, soit près de 15 ans ; et sur l’ex-procureure de la CPI, Mme Bensouda, et son successeur actuel. Quelle explication avez-vous à donner ?
Je ne veux pas rester dans une vision simpliste avec une position de mendiant de justice qui attend le procureur qu’il fasse tout et moi en face en train de le regarder, comme s’il s’agissait d’un match de football. Je suis acteur de la procédure. Je suis là pour défendre les droits des peuples.
Ma voix et mon travail doivent porter quelle que soit la personnalité du procureur. Le droit appartient à tous. Il n’appartient pas à une caste. Je n’attends pas ce que va faire le procureur. Je suis très actif. Je prends des initiatives. Avec mes confrères, nous travaillons beaucoup sur les jurisprudences, les preuves, la mission de la justice, etc.
Le procureur est là en vertu d’un statut, alors nous agissons à ce niveau en fonction de ce que prévoit ce statut. Nous prenons toutes les jurisprudences en lien avec l’affaire et nous poussons à chaque fois, un peu plus. Je ne m’intéresse pas à la personnalité du procureur, mais je crois que nous avons réussi à le bousculer, mais aussi à bousculer le gouvernement de la Palestine.
- Que voulez-vous dire ?
Lors du dépôt de la première plainte en janvier 2009, nous n’avions personne avec nous. Il a fallu que nous demandions au ministre de la Justice de la Palestine de nous faire au moins un document qui nous mandate. Il avait fait sa première déclaration, mais finalement, le dossier a été enterré.
En 2014, il y en a eu une deuxième durant laquelle nous avions déposé une autre plainte. A l’époque le ministre de la Justice ghazaoui était un avocat. Il m’a donné le mandat d’agir pour le gouvernement, mais sans aviser ce dernier. Avec ce mandat, j’ai foncé pour saisir la CPI alors que Ghaza était sous les bombardements.
Evidemment, le ministre des Affaires étrangères a réagi et déclaré que le gouvernement n’a pas été avisé. Mais le résultat a été que cette affaire a complètement popularisé, auprès des Palestiniens, le recours à la justice internationale. Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a dû se raviser.
Il a déclaré, au mois de septembre, avoir retiré cette plainte parce que le ministre de la Justice ne nous a pas informés, mais précisé que maintenant soit, en fin d’année, nous avons la reconnaissance de l’Etat de la Palestine comme Etat membre de l’Onu, soit nous allons ratifier le traité.
Tout le monde disait qu’il ne le fera jamais. Le 1er janvier 2015, Abbas a ratifié le traité. Le rappel de ces événements est nécessaire pour vous montrer que mon optimisme est lié à des points concrets. Nous avions une Palestine qui a ratifié le traité. Elle ne l’a pas fait comme Autorité palestinienne qui, d’ailleurs, est sortie du jeu.
C’est cela mon optimisme. C’est-à-dire qu’avec la lutte armée, le peuple palestinien était sorti de l’oubli. Après un consensus autour de son massacre en 1948, il a réussi à se faire reconnaître par l’Onu comme peuple, puis comme mouvement de libération nationale et bientôt être reconnu comme Etat.
A ce moment, les Etats-Unis et le clan occidental ont opéré une grande manipulation en défendant ce qu’ils estimaient de meilleur, à savoir des négociations avec Israël, pour signer un traité. Ils ont tout fait pour y arriver et le résultat nous le voyons aujourd’hui : la colonisation, la destruction de la Palestine et l’asservissement des Palestiniens.
Pour moi, en tant que juriste, la structure d’Oslo visait à pousser les Palestiniens à rompre avec tous ce qu’ils étaient en train d’arracher, c’est-à-dire un peuple souverain acteur du droit international qui accède à tous les traités et toute la protection du droit international, etc., et opter en contrepartie à une sorte d’Autorité, qui dépend d’un traité bilatéral qui t’enferme totalement dans une relation avec Israël.
C’est une négation de l’histoire parce que c’est la Palestine qui existait avant Israël, et non pas l’inverse. Du coup, il n’y avait plus de traité, vu que l’Autorité était une créature de cette convention qu’elle a signée. Aujourd’hui, nous sommes en train de rompre avec toute cette logique. C’est-à-dire qu’aussi bien pour la CPI que pour la CIJ, il n’y a plus d’Autorité palestinienne. Pour les deux juridictions, c’est l’Etat de la Palestine dont il s’agit.
Le jour où Mahmoud Abbas a ratifié le traité, il l’a fait en tant qu’Etat de la Palestine, pas en tant qu’Autorité. Evidemment, cela ne change pas la vie des Ghazaouis, dès le lendemain. Mais nous constatons que la logique d’Oslo a été cassée, puisque nous sommes passés d’un système de déni à celui d’une solution internationale. Ensuite, aucun des 120 pays, qui sont parties à la CPI n’a osé protester.
Ils ont exercé des pressions énormes pour que la Palestine n’accède pas à ce statut, mais en vain. C’est là que nous mesurons notre force d’action. Si je prends en compte les discours sur les droits de l’homme aussi bien des pays que des ONG, la logique aurait été que ce pays qui est taxé de violence, de terrorisme et qui annonce subitement sa volonté de se soumettre avec toutes ses factions – le Hamas, le Djihad islamique et le FPLP – à une juridiction internationale, devrait être applaudi. Mais cela n’a pas été le cas.
Aucun pays occidental n’a publié une ligne pour saluer le fait que Mahmoud Abbas vient d’inscrire la Palestine dans le droit international, alors qu’avant, il y a eu une bataille dure et féroce pour l’en dissuader.
- Donc la plainte a été déposée juste après la signature du traité…
Mahmoud Abbas n’avait pas déposé plainte, juste après avoir ratifié le traité. Vous devez savoir qu’il y a une différence entre ratifier le traité et déposer la requête. A l’époque, le procureur a dit, d’accord la Palestine a ratifié le traité et constate qu’il y a un blocus et des faits qui ressemblent à des crimes de guerre, mais Abbas n’avait pas déposé plainte.
Je veux bien culpabiliser le procureur, mais quand vous avez la victime, principale intéressée qui ne dépose pas plainte, pourquoi va-t-il ouvrir une enquête ? Ce qui fait que le dossier est resté durant trois ans en stand-by.
- Mais dans le statut de la CPI, le procureur est habilité à s’autosaisir lorsqu’il voit des faits qui ressemblent à des crimes de guerre, comme vous le dites. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ?
C’est vrai, mais avec le manque de moyens et la fragilité de l’Etat palestinien, à l’époque, le Président Abbas ne voulait pas de plainte. L’accord de coopération sécuritaire avec Israël était toujours sur la table. Il était en train de négocier. Il ne voulait que nous nous occupions de cela. Depuis, nous avons beaucoup progressé dans le dossier…
- Est-ce par méconnaissance du droit international, manque de volonté politique, pression d’Israël et ses alliés, ou est-ce en raison des divergences internes ?
Je pense qu’il y a une méfiance profonde vis-à-vis de la justice internationale. Ils n’admettent pas encore qu’un juge puisse faire quelque chose pour la Palestine. A ce jour, malgré tout ce qui est arrivé, la Palestine n’a toujours pas désigné un interlocuteur judiciaire au niveau de la CPI.
C’est le ministre des Affaires étrangères qui vient. Alors, le procureur doit être mis à mal par cette situation. Il a en face un pays qui est en sang, des morts, la famine, une plainte pour génocide, il devait s’attendre à voir arriver le procureur général, qui représente l’Autorité de poursuite et qui devrait être son interlocuteur en tant que procureur.
Mais, c’est le ministre des Affaires étrangères qui vient le voir ! Cela veut dire que l’Autorité est sur une logique politique et non pas juridique. Il n’y a pas d’interlocuteur. C’est flagrant.
- A ce jour ?
Oui, à ce jour, c’est toujours le ministre des Affaires étrangères qui traite l’affaire. Cela retarde le traitement du dossier, mais malgré tout, en mai 2018, il y a eu une seconde plainte qui fait suite à la marche du retour et au fait que j’ai travaillé avec les Ghazaouis.
J’avais déposé 3000 dossiers de citoyens de Ghaza, tués ou blessés par les Israéliens. Chacune des victimes, a fait une demande à la procureure pour poursuivre les auteurs. Finalement, la Palestine a déposé la plainte en mai 2018, trois ans après avoir ratifié le traité, en 2015.
Ce sont des victoires inestimables. Une fois la plainte de la Palestine déposée, la procureure ne peut rien faire d’autres que la ratifier avec ses 3000 dossiers et ratifier, une deuxième au nom de 40 syndicats et associations de Ghaza qui représentent une grande partie de la composante de la société, les pêcheurs, les agriculteurs, les médecins, les enseignants, les commerçants, etc., et qui portait sur le blocus.
Devant cette plainte globale de la Palestine, la procureure a ouvert le dossier en disant qu’il y a manifestement de quoi faire une enquête pour crime de guerre, mais avant, elle nous dit, qu’elle doit vérifier, à travers un débat international, si la Palestine est un Etat et si la ratification à la base était valable.
Elle va organiser ce débat qui va durer dix mois. J’ai déposé un mémoire au nom des victimes de Ghaza, mais il y a eu un grand nombre de lobbyistes pro-israéliens dont le Français Robert Badinter (décédé le 9 février, ndlr) que tout le monde pleure en France.
Il avait pris position en disant qu’il n’y avait pas de peuple palestinien et que ce dernier ne pouvait pas avoir accès à la justice internationale. En fait, il a défendu, le point de vue de Netanyahu. Le 5 février 2021, la Cour a rendu un arrêt dans lequel elle dit que la Palestine est un Etat, qui a une compétence souveraine sur la Cisjordanie, Ghaza ainsi que Jérusalem-Est et qu’elle pouvait transférer sa compétence.
Le dossier progresse parce qu’il y a eu toutes ces étapes déjà faites, alors qu’en 2009, il n’y avait rien. Lorsque j’ai déposé la plainte en novembre dernier, le procureur savait déjà que l’Etat de la Palestine, qui avait ratifié le traité, il ne lui manquait qu’une autorité judiciaire qui va l’aider.
Mais tout cela est secondaire devant le contexte actuel marqué par une guerre violente contre Ghaza. A partir du moment où nous avons saisi la Cour de manière fracassante, ce que je reconnais, cette juridiction se retrouve devant deux options.
Soit elle ne fait rien du tout, soit elle se saisit, devient Cour et va devoir déblayer tout ce brouillard qui l’entoure. Je fais le pari qu’elle optera pour la seconde option. Les autres ne l’ont pas fait, avant. Quand il y a eu les autres agressions est-ce que les autres procureurs qui ont précédé l’actuel ont fait quelques chose ?
Non. Rien du tout. Ils attendaient que le Conseil des droits de l’homme désigne une mission d’enquête, qui met trois ans pour rendre son rapport, et après tout le monde oublie et ils passent à autre chose. C’est ce qu’à fait la procureure Fatou Bensouda, qui a précédé Karim Khan, alors que ce dernier a déjà mis en place une équipe pour le dossier de la Palestine, pendant que l’opération militaire se poursuivait à Ghaza. Nous l’avons rencontré à trois reprises, et c’est la première fois qu’un procureur se montre coopératif.
- Durant ces trois rencontres, avez-vous vraiment senti qu’il y a du concret ?
Déjà, nous avons senti qu’il existe. Les autres fois, nous étions évincés en tant qu’avocats et représentants de Ghaza. L’ex-procureure, Mme Bensouda, passait son temps avec les ONG. Après 2014, j’ai fait un acte précis. A Ghaza, il y a un procureur général de Ghaza.
Qu’il vous plaise ou non, deux millions de personnes dépendent de lui. C’est un fait que vous ne pouvez pas changer. A Ghaza, il n’y a pas de guerre civile, Daech n’y a jamais mis les pieds et malgré toutes les frustrations de la population, c’est une ville apaisée où le taux de personnes en prison est le plus faible au monde.
Ce procureur général de Ghaza ne peut pas se déplacer, vu le blocus, mais il veut coopérer. Je présente une plainte avec 40 avocats de Ghaza. J’envois une lettre à la procureure l’informant que le procureur général de Ghaza se met à la disposition de la Cour, mais, vu qu’il ne peut pas se déplacer, je suis prêt à faire l’intermédiaire dans l’intérêt de l’enquête. Je n’ai jamais eu de réponse.
- Depuis presque quatre ans que l’actuel procureur est en poste. Qu’a-t-il fait de concret dans le traitement de vos deux plaintes de 2018 et de 2023 ?
Déjà pour la première fois, il y a une équipe qui enquête, alors que le crime est en cours. C’est du jamais vu pour la Palestine.
- N’est-ce pas parce que ces crimes se passent en direct sur les chaînes de télévision et les écrans de nos téléphones ?
L’été 2014, il y a eu six semaines de guerre que la procureure suivait sur les chaînes de télévision et certainement sur l’écran de son portable. Mais lorsqu’elle a reçu notre plainte, elle l’a jetée à la poubelle. Aujourd’hui, il y a une réaction. Ensuite, nous avons un procureur qui est réceptif et répond aux sollicitations.
Il reçoit les avocats et nous demande de l’aider à présenter des preuves pour accélérer la procédure. Il faut savoir que toute personne peut saisir la CPI et le procureur brasse toutes les pièces présentées et s’en saisit. C’est lui qui est habilité à décider s’il faut ouvrir une enquête ou non. Il prend toutes les informations, les étudie puis décide.
Rappelez-vous l’affaire du bateau turc Marmara, attaqué par l’armée israélienne, en mer. Nous avions déposé une plainte contre Israël, et la procureure nous l’a rejetée, en disant que les faits n’étaient pas graves. Nous avions fait appel et la Chambre a exigé d’elle de revoir sa position, du fait que nous avions présenté des éléments importants qui concernent dix civils tués en haute mer.
Elle a réexaminé l’affaire, mais n’a pas donné suite. Nous sommes allés à la Cour d’appel de la CPI qui lui a encore une fois demandé de revoir sa décision. Elle a refusé. Le statut de la CPI dit que c’est le procureur qui décide de l’enquête. Pour nous, comme il y a l’ancienneté du travail, nous sommes reçus aussi bien par le bureau du procureur que par celui des victimes.
Nous sommes dans la position d’avocats qui aident le travail du procureur et demain nous serons dans celle d’avocats qui aident le juge, des deux côtés. C’est-à-dire que nous ne bloquerons aucune enquête. Même en ce qui concerne les accusations contre la résistance armée, dont les dirigeants ont bien déclaré qu’ils assumeront les mandats d’arrêt s’il y en aura, et qu’ils se défendront.
- Vous vous attendez à des décisions contre la résistance ?
Sur les mandats d’arrêt, nous verrons ce qu’ils vont reprocher à la résistance. A mon avis, ils vont évoquer le lancement des roquettes sur des civils. Cela va passer à côté. C’est vrai que lancer des armes militaires indiscriminées qui peuvent toucher des civils est un crime de guerre basique, mais si vous le mettez dans la proportion de la riposte, ce crime sera vu autrement.
Tous les matins, il y a 150 à 200 morts et à côté, une roquette qui part c’est vraiment disproportionné. Le seul point indiscutable à mon avis, est celui des otages civils. Je reste persuadé que ces derniers n’étaient pas dans le plan des groupes armés.
L’objectif initial était de prendre des militaires, mais comme ils n’ont pas trouvé de gardes ni de grande résistance, ils ont pris tout le monde. Ils risquent d’être poursuivis pour un crime de guerre, qui mis en balance avec le génocide devient relatif.
- Votre plainte concerne-t-elle les crimes de guerre, contre l’humanité et de génocide ?
Devant la CPI vous n’avez pas le choix. Il y a des définitions qui sont bien précises, et nous avons un document annexe qui définit les éléments constitutifs de chaque crime. C’est-à-dire que la marge de manœuvre est modeste. De l’autre côté, il y a les crimes de viols.
- Jusqu’à présent, il n’y a aucune preuve sur ces allégations. Même en Israël, des enquêtes ont montré qu’ils n’ont pas pu trouver de victimes de ces agressions…
J’ai toujours entendu parler des règles basiques en matière d’agressions sexuelles, dans d’autres pays confrontés à ces crimes. Il y a d’abord la constatation des faits par des médecins légistes, les prélèvements de spermes s’ils existent, de traces de l’agression, des prélèvements biologiques.
En bref, tout un dossier médico-légal qui n’existe pas. Il y a dix jours, le secrétaire général de l’Onu a évoqué la mise en place d’une mission, pour enquêter sur ces allégations. La mission a demandé à voir les éléments biologiques, mais elle n’a rien reçu.
Donc, lorsqu’Israël ramènera les prélèvements de traces de violences, d’ADN, de sperme, etc., à ce moment-là, nous parlerons. Je n’ai aucun problème avec Israël. Par contre, j’ai un vrai souci avec la force militaire occupante.
A chaque fois, je leur rappelle ce que le général de Gaulle avait déclaré après le premier attentat : «Il est absolument normal de tuer les Allemands occupants qui sont à Paris, et s’ils ne veulent pas être tués, ils rentrent en Allemagne.» Rentrez chez vous, libérez les colonies, Jérusalem-Est, les prisonniers politiques et après vous verrez que nous n’aurons plus de choses à dire à Israël.
- Les avis divergent par rapport à la décision de la CIJ. Certains la trouvent historique, d’autres estiment qu’au lieu d’un cessez-le-feu, la Cour a donné à Israël un mois de sursis pour poursuivre ses actes génocidaires. Que représente cette sentence pour vous ?
En fait, demander un cessez-le-feu à la CIJ n’était pas propice. Peut-être qu’ils ont fait le parallèle avec l’affaire Ukraine-Russie, où effectivement la Cour a ordonné le cessez-le-feu. Dans cette affaire, la Cour avait raison de le faire, parce que l’Ukraine et la Russie sont deux Etats parties au litige.
Les gens confondent entre les parties au litige et les parties au conflit. Si la CIJ avait décidé un cessez-le-feu, elle l’aurait imposé à Israël, et pas à l’autre partie, qui risque de poursuivre ses actions. Si c’était un litige Palestine-Israël, cela serait plus plausible de décider cette mesure. Mais ce n’est pas le cas, parce que ce sont les groupes armés qui sont en guerre avec Israël, et non pas la Palestine. La CIJ n’a de compétence que sur les Etats.
- Ces décisions constituent-elles une avancée, comme l’affirment de nombreux experts du droit international ?
Elles constituent une avancée considérable pour le dossier palestinien. Nous avons une plainte déposée le 29 décembre, une audience est programmée pour le 11 janvier, et une décision tombe le 26 du même mois, publiée le jour même en français et en anglais.
Combien de juridictions dans le monde examinent-elles des plaintes dans un délai aussi court ? En termes de stratégie de procédure, elle est au stade conservatoire où juridiquement, elle n’avait pas le droit de dire qu’une partie est coupable de génocide ou pas, parce qu’elle n’a la compétence que lors de l’examen au fond, où elle ouvre le débat à tous les signataires. Ce qui est important, c’est qu’un crime de génocide est plausible, et décide des mesures pour l’arrêter et empêcher qu’il survienne.
Lorsqu’elle qualifie le génocide, elle retient quatre sur les cinq éléments constitutifs contenus dans la convention sur le génocide. Elle dit aussi qu’il faut mettre fin à cela et ajoute, elle n’était pas obligée de le faire, qu’il faut prendre des mesures pour garantir la libre circulation des convois humanitaires.
- Qu’augurent de telles décisions pour la question palestinienne ?
La CIJ est la juridiction de l’Onu. La CPI est à part. Si vous êtes membre de l’Onu, vous ne pouvez pas dire, je refuse d’exécuter les décisions de la CIJ. A travers ces décisions, je vois des fissures dans le mur érigé par Israël et ses alliés occidentaux.
Nous allons essayer d’élargir ces fissures, surtout que nous savons que pour son avenir, Israël a besoin de la caution des pays occidentaux. Notre travail est de dire à ces derniers de prendre leurs distances.
Toutes ces déclarations du cabinet du président américain, Joe Biden, qui mettent en garde contre une attaque à Rafah, n’auraient jamais été faites s’il n’y avait pas les décisions de la CIJ. Je vois qu’ils sont obligés de prendre des distances vis-à-vis du criminel Netanyahu.
Les manifestations contre Israël se multiplient et deviennent de plus en plus importantes aux Etats-Unis. Pour nous, il est important de travailler à élargir le fossé entre Israël et ses alliés, afin d’isoler les criminels de guerre. La CIJ nous conforte beaucoup. Elle parle de crime de génocide plausible.
Cela veut dire qu’elle a des raisons de le penser. Je vois quand même que la radicalité des pratiques israéliennes amène des gens qui étaient dans la pénombre à s’installer dans la lumière, faute de quoi, ils perdront leur crédibilité.
- Cela va-t-il booster votre dossier à la CPI ?
Absolument. D’ailleurs le dossier que nous avons déposé est basé exclusivement sur des preuves. Il n’y a pas un mot de discussions juridiques. La CIJ a fait une lecture du droit. Nous ne pouvons pas faire mieux. Cela nous convient et nous pousse à nous concentrer sur les preuves.
- Concrètement, quelle est la voie la plus rapide et la plus sûre pour obtenir des résultats ? Est-ce celle de la CPI ou de la CIJ, dont les décisions risquent de ne pas être exécutées faute de moyens ?
Même la CPI n’a pas d’énormes moyens pour faire exécuter ses décisions. Le procureur devra convaincre la Chambre pour obtenir les mandats d’arrêt. La Chambre a déjà délivré 14 décisions de mandats d’arrêt, pourquoi va-t-elle refuser ceux que nous avions demandés ? Et si Netanyahu ne bouge plus de son pays, nous ne pouvons pas les exécuter. Cela est le cas pour tous les juges.
Les décisions de la CIJ sont importantes pour nous, tout comme celles de la CPI. Elles vont nous permettre de resserrer le peuple palestinien autour de l’idée qu’il est considéré comme victime de génocide et qu’il n’y a que la Cour qui considère les Palestiniens comme des citoyens à part entière. Il faut savoir, cependant, qu’avoir des mandats d’arrêt est une chose et juger les personnes en est une autre.
Cela va prendre beaucoup de temps. J’ai donc proposé de laisser ce dossier, qui prendra du temps, de continuer et de se consacrer en parallèle, à la plainte pour Jérusalem. En fait, nous allons profiter de ce vent porteur pour entamer la bataille de Jérusalem, d’autant que nous n’avons plus à affronter les problèmes juridiques. Si nous gagnons, et nous allons gagner, tout le reste tombera.
- Pouvez-vous être plus explicite ?
Dans son arrêt du 5 février 2021 sur la compétence, la Chambre a jugé que Jérusalem-Est fait partie de la souveraineté palestinienne. Pour le crime de colonisation, le problème est déjà plié. Même le Conseil de sécurité, qui est le pire ennemi des Palestiniens, a dit que l’annexion n’a aucune valeur en droit.
Donc, ce sera très facile pour nous de plaider le droit des Palestiniens au retour. Nous avons de la jurisprudence pour le faire haut la main.
Nous n’allons pas juger la Nakba, mais ses conséquences et ses effets. Nous avons une jurisprudence du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), mais aussi de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’affaire entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, et qui consacrent le droit au retour.
Nous allons faire revenir 5 millions de réfugiés palestiniens à Jérusalem-Est, qui est leur capitale légalement reconnue comme telle. La moitié des 350 000 colons, qui ont une double nationale (israélo-européenne), ne pourront plus aller en Europe, parce qu’il y aura des plaintes contre eux pour complicité de crimes.