Massacres du 8 Mai 1945 en Algérie : De Gaulle savait, cautionnait et suivait les opérations …

12/06/2022 mis à jour: 00:45
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Le 8 Mai 1945, quelques instants après les gravissimes incidents ayant émaillé la manifestation de Sétif, le cabinet du gouverneur général d’Algérie met au parfum Adrien Tixier, le ministre de l’Intérieur. 

Ne prenant pas le soin de connaître les tenants et les aboutissants de la tragédie, les rédacteurs du télégramme évaluent le nombre des musulmans «armés» à 8000. Ils désignent Ferhat Abbas et le Dr Saâdane comme principaux responsables des incidents faisant 8 morts et 12 blessés européens, dont le maire et le président du tribunal. Le document élude les pertes des indigènes. On mentionne en outre le vol d’intimidation effectué par l’aviation sur Sétif et Oued Zenati. 

L’autorité militaire avait par ailleurs pris les dispositions pour le maintien de l’ordre(1), dévolues d’habitude à la police. Le général Henry Martin, commandant du 19e corps d’armée, informe quant à lui le ministre de la Guerre (le général de Gaulle) : «Certains agitateurs ont comme prévu profité des manifestations en l’honneur de la victoire pour essayer de créer des désordres dans le département de Constantine (…). Le général (Raymond Duval), commandant la division de Constantine, a envoyé des renforts – Garde républicaine avec des blindés et des unités sénégalaises – sur Sétif (…). Un bataillon marocain de Guercif est prêt à être enlevé si besoin est, partie en avion, partie par voie ferrée.»(2) 

La mise en place de tout une stratégie de guerre pour une «émeute» ne surprend guère le président du gouvernement provisoire, avalisant sans se soucier des gravissimes conséquences d’actualité 77 ans après. En même temps, «le préfet de Constantine, Lestrade Carbonnel, demande, à 15h20, l’accord immédiat au gouverneur général pour passer à l’autorité militaire les pouvoirs de police pour l’arrondissement de Sétif – sauf la ville de Sétif –, mais aussi éventuellement pour cette ville. Le préfet se rend à Sétif et il ne voudrait pas avoir l’air de faire appel lui-même à l’autorité militaire…»(3) 

Le jour même, aux environs de 17h45, la ville de Guelma, située à 180 km à l’est de l’épicentre du volcan, est ébranlée à son tour. Boumaza Abdallah, dit Hamdi, est tué d’une balle de PA. Mohamed SeraÏdi est mortellement blessé avec une baïonnette(4). Benchorba Lakhdar, Benyahia Messaoud et Yalles Abdallah sont blessés par balle(5). L’agent de police Ratto est grièvement blessé(6). 

La situation en Algérie, où l’autorité civile et militaire n’avait pas été prise au dépourvu, était, faut-il le souligner, suivie de près à Paris. Le 11 mai 1945, le gouvernement provisoire présidé par le général de Gaulle prend une série de mesures. «Ayant reçu des informations complètes sur les graves incidents de Sétif et Guelma, le Conseil des ministres, le gouvernement confirment que d’importants renforts militaires partiront dès cette nuit, demain et les jours suivants, par avion et par navire (…) nécessaires au maintien de l’ordre»(7)

Explicite, le document montre clairement l’implication directe du général de Gaulle et de son gouvernement dans la répression. La France d’après guerre, celle qui n’avait pas encore pansé ses plaies, fait de la force le moyen idoine pour le maintien de l’ordre. La responsabilité première et historique incombe au général de Gaulle dans le plus le grand pogrom perpétré par la France coloniale quelques heures après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. 
 

«Réprimer tous les agissements anti-français…»
 

Le document montre clairement que la mobilisation des moyens militaires ne pouvait se faire à son insu et sans son accord. Pour Francoix Billoux, ministre communiste de la Santé dans le gouvernement provisoire, les «affaires» concernant les massacres de Mai 1945 étaient concentrées entre les mains du général. 

Il le dit sans ambages : «L’utilisation des forces armées dépendait uniquement du président du gouvernement provisoire.»(8) Dans un autre télégramme daté du 11 mai 1945, transmis au gouverneur général d’Algérie, le Président de la France libre autorise non seulement tous les dépassements mais occulte les plaies et les blessures des «Français musulmans d’Algérie» : «Veuillez transmettre aux familles des victimes de l’agression de Sétif la sympathie du général de Gaulle et du gouvernement tout entier. 

Veuillez prendre toutes mesures nécessaires pour réprimer tous agissements anti-français d’une minorité d’agitateurs. Veuillez affirmer que la France garde sa confiance à la masse des Français musulmans d’Algérie.»(9) 
 

D’autres témoignages et pas des moindres pointent du doigt la responsabilité directe du général. A l’époque, commandant de l’aviation en Algérie, le général Weiss révèle que le ministre communiste de l’Air, Tillion, «n’a pas de compétences militaires opérationnelles, celles-ci dépendant clairement du ministre de la Guerre (de Gaulle) (…). L’emploi tactique des troupes relève du chef d’état-major général de la défense nationale».(10)

 Evadé des camps de prisonniers, maître Pierre Kaldor, résistant, responsable du «front national des juristes» dans la clandestinité, affirme qu’il disposait de deux avions remis par les Américains pour rapatrier des déportés depuis les camps de concentration d’Allemagne. 

Ces appareils ont été réquisitionnés «sur ordre du général de Gaulle pour transporter des soldats à Sétif, où ils devaient participer aux massacres du 8 Mai 1945».(11) 

Entre-temps, une répression effroyable et disproportionnée fait rage. 

Perpétré à huis clos, le carnage n’échappe pas aux services secrets américains et anglais présents en Algérie. Compromettants, les rapports des alliés frappent aux portes de la Métropole. Les indiscrétions indisposent le gouvernement. Pour étouffer l’affaire, on diligente une enquête. 

Par arrêté gubernatorial du 18 mai 1945, une commission est instituée. Présidée par le général Paul Tubert, ladite commission devait «procéder à une enquête administrative sur les événements qui se sont déroulés dans le département de Constantine le 8 mai 1945 et les jours suivants…». 

Le 26 mai, la commission est dissoute à son arrivée à Constantine, où elle reçoit l’ordre de retourner à Alger. «On a dit que le général de Gaulle en personne a ordonné l’interruption de cette enquête sous la pression des milieux gaullistes auxquels appartenait André Achiary».(12) 

Soulignons que la commission, qui est allée à Sétif, Aïn El Kébira (ex-Perigotville) et Constantine, n’a pu se rendre à Guelma où la terrible chasse à l’Arabe a rayé de la carte des tribus entières. La «chasse» est dénoncée. 

Le gouvernement provisoire est contraint une fois de plus de «couvrir» les crimes commis en son nom. Adrien Tixier arrive en «enquêteur» le 20 juin 1945. Sa tournée englobe Constantine, Sétif, Annaba et Guelma. 

Les autorités civiles et militaires de la dernière ville devaient impérativement effacer toute trace d’un crime presque parfait. Il fallait procéder au nettoyage des dépouilles ensevelies dans les charniers de Kef El Boumba, les déterrer et les brûler dans le four à chaux du milicien Lavie. 
 

Aveux des assassins !
 

La sordide besogne est bouclée quelques heures avant l’arrivée de Tixier. Le ministre arrive le 24 juin 1945 à Guelma, où il interroge le sous-préfet André Achiary, des gendarmes et des miliciens, qui reconnaissent les crimes commis. Consignés dans un procès-verbal, les aveux des assassins n’ont pas été rendus publics. 

Craignant pour le prestige de la France et des récriminations du monde libre, le gouvernement provisoire a non seulement fait barrage à la vérité mais offensé et calomnié des milliers de victimes, tuées une deuxième fois. Informée à temps, l’opinion française n’aurait pas accepté et avalisé le carnage. 

Le gouvernement de Paris et les maîtres d’Alger sous l’emprise d’anciens pétainistes n’avaient donc pas intérêt à mettre au parfum l’opinion internationale sur l’un des pogroms les plus abominables survenu aux premières heures de l’armistice. 

La masse d’informations montre clairement l’implication du général de Gaulle dans les massacres du 8 Mai 1945, la plaie béante qui continue de hanter les esprits des bourreaux, d’alimenter les débats, de raviver les mémoires. 

Si la justice coloniale n’a pas auditionné le général de Gaulle et poursuivi Henry Martin, Yves Chataigneau (le gouverneur général), le général Raymond Duval, le colonel Bourdilla, Lestrade Carbonnel (le préfet de Constantine) et André Achiary (le sous-préfet Guelma), les principaux responsables de l’épisode traumatique, le tribunal de l’histoire est infaillible. 

A quelques semaines du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, les questions mémorielles continuent d’envenimer les relations franco-algériennes. La reconnaissance des crimes commis durant 132 ans de colonisation fait encore et toujours l’objet de surenchères et de pressions. Puisque des hommes politiques de droite font un déni total de ce qui s’est passé durant la colonisation. 

A l’extrême droite, la tentation négationniste est encore plus forte. S’appuyant sur le mensonge, la propagande et les contrevérités, la droite, l’extrême droite, des pieds-noirs (les ultras), une partie de l’armée font de la «résistance», bloquent toute idée d’apaisement des mémoires. 

Les petits pas de certains officiels et anciens présidents, tels Jacques Chirac et François Hollande, n’ont pas dépassé le seuil des «bonnes» intentions. Le moment est venu pour que la France officielle mette un terme au déni et regarde en face sa page coloniale marquée par des crimes et des massacres. 

Un long et difficile travail de vérité et de reconnaissance reste à faire en France, où la question de la reconnaissance des crimes commis en Algérie est otage d’enjeux électoraux.   

 

Références :

[1] FR ANOM (Archives nationales d’Outre-mer /d’Aix-en-Provence) GGA 9H44.
[2] La guerre d’Algérie par les documents/Tome I - L’avertissement 1943-1946 (Shat) (P183)
[3] FR ANOM GGA 9H44.
[4] Redouane Ainad Tabet : 8 Mai 45, le génocide (p. 64)
[5] El Watan, édition spéciale 8 Mai 2005 (p. 9)
[6] Redouane Ainad Tabet : 8 Mai 45, le génocide (p. 64)
[7] Télégramme du ministre de l’Intérieur au gouverneur général, FR ANOM 81F866
[8] François Billoux : Quand nous étions ministres (p. 175)
[9] Dépêche de Constantine du 12 mai 1945
[10] Amar Bentoumi : Crime et infamie, la colonisation vécue par un Algérien 1932-1962 (p. 404)
[11] Idem (p. 404 et 405)
[12]Roger Vétillard : Sétif, Mai 1945, Massacres en Algérie (pp. 523-524)

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