Malika Rahal présente son dernier essai à la librairie l’Arbre à dires à Alger : «L’histoire fait parler le passé et la société d’aujourd’hui dans une dimension critique»

05/07/2022 mis à jour: 11:15
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Photo : D. R.

Tant attendue, l’historienne Malika Rahal a rencontré, pour la première fois, depuis la sortie de son livre Algérie 1962, une histoire populaire, son public algérois, au niveau de la librairie L’Arbre à dires de Sidi Yahia à Alger.

C’est devant une assistance nombreuse que l’historienne et autrice s’est prêtée au jeu des questions du modérateur et journaliste Nordine Azzouz. Malika Rahal a séduit l’assistance par sa simplicité et par son argumentation des plus éclairées concernant son essai intitulé Algérie 1962, une histoire populaire, publié d’abord aux éditions françaises La Découverte et ensuite en février dernier aux éditions algériennes Barzakh.

Dés l’entame de cet essai, le lecteur se laisse emporter par la justesse et le style de l’historienne Celle-ci propose une enquête émouvante autour de l’année 1962 se déclinant sous la forme de témoignages, d’autobiographies, de photographies et films, de chansons et de poèmes. D’emblée, Malika Rahal soutient qu’elle est très émue d’être à Alger pour présenter son livre pour la première fois en Algérie. Pour des raisons de calendrier, elle l’a présenté plusieurs fois en France mais en le présentant à Alger, elle a l’impression de l’apporter aux gens pour lesquels il était écrit au départ.

Mémoire universitaire

«Ce livre, rappelle-t-elle, n’est autre qu’un mémoire universitaire pour lequel on a beaucoup discuté. Je me disais en fait que ces histoires là, elles ont plus de chance de parler aux gens que j’ai en tête au moment de l’écriture.» A la question de savoir pourquoi ce choix de l’histoire, elle reconnaît que ce choix est difficile.

«Parce que, fait-elle remarquer, comme beaucoup de gens qui écrivent des livres et qui s’engagent dans la recherche, on a parfois l’impression que cela nous tombe dessus. Et on ne sait pas comment faire autrement.» Si l’historienne est née et a grandi en France, elle avoue que l’Algérie a toujours été là, à plus ou moins grande distance géographique et émotionnelle.

Comme elle le dit si bien, il y avait ce besoin de discipline qui l’aide à penser cette bizarrerie et cette anomalie d’être algérien en France. «Cette complication de l’histoire qui fait que vous grandissez dans l’ancien pays colonisateur de votre pays d’origine, avec des incohérences entre l’histoire que vous entendez dans votre famille et l’histoire que vous entendez à l’extérieur qui ne correspond pas, voire qui ne se parlent pas du tout» étaye-t-elle.

Dans ses études, il y a eu de l’attraction pour la sociologie et l’anthropologie qui lui paraissaient des disciplines presque plus puissantes en termes d’engagement et de compréhension du monde. Selon elle, l’histoire était plutôt autour d’elle dans les lieux où elle a fait ses études.

«C’est une discipline conservatrice de droite et réactionnaire. Et en même temps, je me disais que j’avais envie de faire de l’histoire, de faire la démonstration, qu’on peut faire une histoire qui n’est pas réactionnaire. On peut, au contraire, être dans une approche de critique sociale et de l’histoire coloniale. On peut-être dans une histoire beaucoup plus innovante et en phase avec sa société que je voyais autour de moi. Mais je ne savais pas trop comment trouver les modèles.

Ces derniers, je les ai trouvés petit à petit, pas forcément durant mes études universitaires, parfois plus tard, au moment de faire une thèse avec des courants qui réveillaient un peu comment l’histoire pouvait être une discipline qui permet d’aller chercher au fond des choses et parler à la fois en même temps du passé et de la société d’aujourd’hui dans une dimension critique», détaille-t-elle.

Sa référence fondamentale est celle d’ Edward Saïd, universitaire, théoricien littéraire et critique palestino-américain. Elle affirme que ce dernier vous explique qu’il y a dans l’orientalisme une production, y compris historienne qui, parfois, nous révèle sur les gens qui écrivent ce qu’ils ont dans la tête que sur les gens sur lesquels ils écrivent. «Vous pouvez commencer par avoir des biais de recherche et qu’on peut appliquer cela à une lecture de notre champ historien. Et dire la façon d’aborder et de poser les questions.»

Malika Rahal est formelle. Il faut réinventer la façon de poser des questions, car selon elle, des fois, on est prisonnier de ces façons qui se sont créées dans l’orientalisme, dans le colonialisme et même dans l’après-colonisation.

On a aussi parfois besoin de dépoussiérer des façons de faire de l’histoire. Une école importante est citée par notre interlocutrice. Il s’agit de l’école subalterne indienne, permettant de donner des outils pour travailler notamment sur l’histoire coloniale. Elle considère que la grosse difficulté, c’est qu’en histoire coloniale, la réalité laisse beaucoup moins de trace de ceux qui sont soumis à la domination coloniale.

«Concrètement, affirme-t-elle, si vous travaillez sur beaucoup de sujets de l’histoire algérienne jusqu’en 1962, vous allez trouver beaucoup plus d’archives qui vont vous parler de la population coloniale que de l’ancienne population colonisée parce que, par exemple, l’administration française, cela ne l’intéressait pas beaucoup d’enregistrer, comme elle le faisait dans les voix françaises, d’enregistrer les voix algériennes. Le subalterne indien nous offre des outils pour permettre d’aller contre nos propres archives.

On continue à les utiliser. C’est peut-être cela le point de départ. C’est le goût d’une histoire qui va être contrariante, qui ne va pas être d’accord avec les enseignements reçus, avec les paroles des professeurs. J’ai toujours été convaincue qu’on pouvait trouver des façons qu’on retrouve dans mon livre, en particulier, mais trouver des voix plus souterraines pour dire, pour moi, ce qui était essentiel, qui n’était pas toujours essentiel pour mes maîtres et pour les gens de qui j’ai appris à faire de l’histoire.».

Malika Rahal a enseigné au département de politique et relations internationales de l’Université de Nottingham, au Royaume-Uni, avant de devenir chercheure au CNRS, avant de revenir à Sciences Po Paris. Elle indique que pour une raison, à la fois de langue et d’expérience, le monde de la recherche anglo-saxon est important.

Il s’est d’ailleurs développé ces dernières années. Toujours, selon notre oratrice, nous avons, aujourd’hui, des gens qui écrivent des livres importants en anglais, avec la difficulté de ces livres qui ne sont pas traduits. «Ils ne sont pas nécessairement connus par le plus grand public algérien, mais il y a des historiens comme Natalya Vince qui travaille sur la question des anciennes combattantes et de leurs mémoires.

Travail de terrain

Elle a fait un formidable travail de terrain au début des années 2000. Pour le moment, le livre n’est pas traduit. Il y a aussi James Doukel qui a travaillé sur la pensée et l’idéologie de l’association des oulémas. Il y a un autre ouvrage qui paraîtra dans quelques mois de l’historien britannique, Jim House, qui a travaillé sur les bidonvilles d’Alger et de Casablanca. Ce sont des gens qui ont une connaissance très intime et qui n’ont pas nécessairement le face-à-face franco-algérien. Du coup, ces gens nous offrent des portes de sortie. Ils nous aident à nous débloquer, notamment dans ce face-à-face franco-algérien». Autre questionnement posé par le modérateur : Est-ce que le livre de Malika Rahal va parler ou encore inspirer d’autres chercheurs.

Elle révèle qu’il y a une petite amorce de traduction en anglais. Ce qui est essentiel pour elle, c’est d’ouvrir autant qu’elle peut dans toutes les langues. Selon elle, «il y a un besoin essentiel pour respirer, se sortir de ce face-à-face assez délétère du point de vue, peut-être diplomatique et médiatique, entre la France et l’Algérie, mais pas toujours fécond du côté de la recherche.

Il y a des productions croisées et il y a des ouvrages essentiels qui sont publiés en France et re-publiés en Algérie ou le contraire, moins souvent. Il y a aussi des incompréhensions qui, sur lesquelles on ne peut manifestement pas se parler où on a un peu la sensation d’étouffer dans la discussion. Peu importe, on attrape ce qu’on peut, mais on ouvre des portes et des fenêtres et cela nous aide à réfléchir» détaille telle. De part son expérience dans l’enseignement, Malika Rahal soutient qu’il y a une attirance pour ce pays nouveau qu’est l’Algérie, pour ses étudiants, sur lequel on ne sait pas grand-chose, mais parle d’une façon plus complexe.

De son avis, le monde vu d’Alger est beaucoup plus complexe et intéressent. «Je trouve que ce sont des opportunités d’enseigner qui sont assez rares et qui permettent de visiter le monde et de voir comment l’histoire de l’Algérie peut-être perçue» dit-elle. Concernant son dernier-né, Algérie 1962, une histoire populaire, l’historienne avoue qu’elle a utilisé tout ce qu’elle pouvait utiliser tels que des entretiens qu’elle avait effectués par le passé - alors qu’elle ne savait pas qu’elle allait travailler sur 1962 - des enquêtes encore en cours, notamment sur les disparus de la bataille d’Alger de 1957.

Elle a également utilisé certains documentaires réalisés par d’autres personnes qui ont pu interviewer d’autres personnes qui sont aujourd’hui décédés ainsi que des ouvrages autobiographiques.

«J’aurai voulu, confesse-t-elle, passer dix ans pour faire cette enquête et faire 300 entretiens. Raconter toutes les vies. Il y a beaucoup d’histoire que j’ai été obligée de laisser de côté, des sources que je n’ai pas pu intégrer. Des histoires passionnantes qui méritent d’être racontées.» Malika Rahal considère que les anecdotes sont politiques. Elles deviennent un matériau historique. Notre universitaire a plein de projets d’écriture en tête dont un sur les militantes communistes qu’elle porte depuis très longtemps.

Elle a aussi d’autres desseins qui lui tiennent à cœur, mais dont le facteur temps fait défaut. C’est pourquoi, elle encourage les étudiants à se jeter à l’eau. 

«Il faut, aussi, qu’il y ait des historiens qui soient assez confiants pour se dire, même si n’avons pas des cartons d’archives, nous sommes capables de travailler. Nous sommes capables d’écrire des histoires qui connecteraient l’histoire coloniale avec l’histoire présente», conclut -elle.

Il est à noter que Malika Rahal est agrégée d’histoire, spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Algérie, chargée de recherche au CNRS. 

Elle dirige, depuis janvier 2022, l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) de l’Université Paris VIII. 

Elle est l’auteure d’Ali Boumendjel. Une affaire française, une histoire algérienne (Belles Lettres/Barzakh, 2011) et de l’ouvrage (issu de sa thèse de doctorat) 

L’UDMA et les Udmistes. Contribution à l’histoire du nationalisme algérien (Barzakh, 2017).

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