Malek Abdesselam. Docteur en hydrogéologie, maître de conférences à l’université de Tizi Ouzou : «Trop d’eau finit en mer…»

23/03/2023 mis à jour: 09:10
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Universitaire présent sur le terrain, Malek Abdesselam, maître de conférences à l’Université de Tizi Ouzou et directeur du laboratoire de recherche sur l’eau au niveau de la même institution, estime qu’avant de parler de «sécheresse», il y a lieu de relever que le manque d’initiatives pour optimiser l’exploitation des ressources disponibles nous fait subir «un assèchement» du potentiel. Il préconise des solutions techniques et peu coûteuses pour faire face à la crise.

 

Entretien réalisé par  Mourad Slimani

 

-Vous intervenez régulièrement sur les réseaux sociaux pour alerter sur la nécessité de capter les eaux fluviales pour limiter les perditions de la ressource hydrique, d’autant que les apports pluviométriques s’avèrent en deçà des espérances... 
 

Oui. On peut dire que, du strict point de vue agricole, le bilan en termes de précipitations est loin d’être mauvais. On a eu quelque chose comme 8 à 10 jours de pluie par mois depuis novembre dernier. Ce n’est pas rien.  Du point de vue hydrologique par contre, il y a de quoi s’inquiéter. Les pluies reçues se sont un peu trop concentrées sur l’étroite bande littorale du pays. Il y a une constante naturelle qui fait que les massifs montagneux plus au sud fonctionnent comme des barrières qui confinent les précipitations au nord. Seules les plaines en première ligne bénéficient des apports, telles que la Mitidja et le Sebaou, même si, ces trois dernières années, ce le fut beaucoup moins. Les disparités par régions persistent également ; l’Est reste plus arrosé que le Centre, et celui-ci plus que l’ouest du pays. Localement également, les pluies ne concernent pas de la même façon les sites et localités. Le Sebaou, par exemple, reçoit plus de pluie que le bassin versant du Taksebt. Donc, vous pouvez avoir l’impression de précipitations importantes, à partir de la ville d’Alger ou d’ailleurs, ce n’est pas pour autant que le cas est valable des kilomètres plus loin.


-Restons sur le cas du Taksebt, que vous suivez particulièrement. Vous pensez que la position du barrage ne favorise pas un captage plus important des précipitations ?
 

Non. Les études pour la réalisation des barrages prennent en compte une série de paramètres et l’adéquation des sites concernés pour recevoir ce genre d’ouvrages et le rentabiliser. Maintenant, il faut optimiser le recueil de la ressource au-delà des écoulements dans les barrages. Vous avez le Sebaou qui reçoit, par exemple, jusqu’à 5 fois plus de pluies que le bassin versant du Taksebt. Pour le seul mois de novembre 2022, 150 mm de pluies y ont été cumulés et  plus de 400 mm en novembre 2021 à Alger-Tizi Ouzou. C’est énorme. Mais, et c’est là que réside le problème, ces quantités finissent dans les oueds côtiers, comme le Sebaou, qui lui-même va se déverser en mer. Cette problématique est d’autant plus sérieuse qu’elle engage, par ailleurs, des effets écologiques sur les sites concernés. 

Les oueds (le Sebaou, la Soummam, le Seybouse …) se sont creusés à cause des crues et des sablières ; vous avez des endroits où la profondeur des lits s’est abaissée et atteint les huit mètres. Des pentes se sont formées également, qui accélèrent le mouvement de déversement vers la mer, ce qui ne permet pas le renouvellement suffisant des nappes alluviales. Bien plus, celles-ci sont vidangées par un effet de transfert vers les oueds à cause des dénivelés créés par les surcreusements.

 Aujourd’hui, nous préconisons au plus vite l’installation de digues, submersibles et perméables, pour freiner l’écoulement, le retarder au maximum, pour protéger les nappes et les réalimenter. Les exploitants agricoles, sur les rives, peuvent y puiser des quantités pour l’irrigation au lieu de solliciter les forages dont le potentiel doit être sauvegardé pour les besoins des exploitations en été. Cela ne coûte pas grand-chose, voire peut générer des gains sur les coûts des produits agricoles. 

Pour l’illustration, entre novembre 2021 et mai 2022, quelque chose comme 600 millions de mètres cubes d’eau sont passés par l’oued Sebaou pour finir au bout du parcours en mer ; depuis novembre dernier, 200 millions de mètres cubes sont passés par le même oued.  La même chose peut être dite pour l’oued El Harrach dans l’Algérois. Il faut absolument multiplier les systèmes de pompage pour capitaliser cette ressource.

Il y a actuellement un système de pompage opérationnel pour le Taksebt à partir du Sebaou. 

 

-Vous estimez que c’est insuffisant ?


Ce système a été lancé en mars 2021. L’idée a été défendue auprès de trois ministres, qui se sont succédé au département des Ressources en eau pour enfin la concrétiser. Il a même fallu l’intervention au plus haut niveau pour rapprocher l’échéance de réalisation. Le diamètre de la conduite installée n’est malheureusement pas capable de fournir les apports importants qu’on peut escompter. Une conduite plus importante est disponible, et même installée, elle n’est pas encore fonctionnelle. Le pompage s’effectue en effet, mais pas avec la régularité que l’on peut souhaiter. 

Or, c’est maintenant qu’il faut optimiser l’opération puisque les décrues vont s’amorcer avec l’arrivée du printemps, et les prévisions météorologiques pour les prochaines semaines n’annoncent pas un retour profitable des précipitations. Vous savez, le barrage a les capacités d’alimenter les wilayas de Tizi Ouzou, Boumerdès et Alger et même au-delà. Il dispose d’une station de traitement de 600 000 m3/jour. Elle tourne aujourd’hui à hauteur de 200 000 m3. 

On peut le remplir en assurant un pompage régulier et une logistique adaptée à l’ambition. Son taux de remplissage aujourd’hui se situe à moins de 30%. Si l’on comparaît avec  les taux cumulés à la même période de l’année dernière, on se retrouve avec un écart négatif de 15 à 20 millions de mètres cubes. Même si on devait avoir des précipitations importantes pour les semaines à venir, on démarre trop bas pour pouvoir espérer un rattrapage du déficit. 

De plus, il faut savoir que les taux d’évaporation de l’eau, à peu près 55 à 60% des quantités tombées, augmentent en mai, juin, juillet pour atteindre les 80%. C’est dire s’il faut bien relativiser l’impact réel des chiffres concernant les cumuls de pluie enregistrés. Les écoulements actuels du Taksebt sont la solution avant son tarissement. C’est l’équivalent d’une grosse station de dessalement à moindre coût, délais et disponibilité.

 

 

 

Transfert des eaux du Sebaou vers le barrage de Taksebt  : La deuxième partie du projet mise en service

La mise en service de la 2e partie du projet de transfert des eaux de l'oued Sebaou vers le barrage de Taksebt, dans la wilaya de Tizi Ouzou, a été effectuée hier à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de l’eau. «Aujourd’hui, nous assistons à la mise en œuvre de la totalité du projet qui permettra le transfert de 270 000 m3/jour, ce qui va assurer la disponibilité de la ressource et maintenir les volumes existants», a indiqué à l'APS le wali, Djilali Doumi. La réception de cette 2e partie du projet intervient avant la fin des délais contractuels, fixés à avril 2023, souligne-t-on. Le projet du transfert des eaux du Sebaou vers le barrage de Taksebt a été lancé en début d’été 2021. Il a été confié au groupe Cosider. Lors de cette journée, il a été, également, procédé à l’inauguration de deux réservoirs, d’une capacité totale de 3000 m3, qui serviront à l’alimentation du chef-lieu de la wilaya. «Cela permettra une alimentation permanente en eau de 35 000 habitants et l’amélioration de la cadence d’alimentation pour le reste des habitants de la ville», a ajouté M. Doumi.  M. S. et APS
 

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