Lutte contre la criminalité financière et le blanchiment d’argent : Des spécialistes plaident pour une «harmonisation» des lois

22/11/2023 mis à jour: 04:17
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Le président de la Cncac, El Habib Marhoum

La multiplicité des lois en matière de lutte contre la criminalité financière et le blanchiment d’argent complique le travail des commissaires aux comptes et rend plus difficile l’exercice de leurs tâches, notamment la dénonciation des crimes et la déclaration de soupçon. Réunis avec les magistrats à Alger, ils ont plaidé pour une harmonisation des lois, une instruction uniforme de la procédure de dénonciation et de déclaration, et à une communication fluide et transparente. 

Comment optimiser le rôle des commissaires aux comptes et leur permettre d’assumer leur mission en matière de lutte contre la criminalité financière et le blanchiment d’argent ? La question a suscité  un long débat entre magistrats et commissaires aux comptes, regroupés hier à Alger, lors des travaux de la 1re conférence nationale consacrée au rôle des commissaires aux comptes dans la prévention et la lutte contre la criminalité financière, le blanchiment d’argent et la révélation des faits délictueux au procureur de la République. 

Organisée par la Chambre nationale des commissaires aux comptes (Cncac), en collaboration avec le ministère de la Justice, cette rencontre a porté sur quatre thématiques : le rôle des commissaires aux comptes dans la prévention de la criminalité financière, le cadre juridique de lutte contre celle-ci, les mesures pratiques de prévention et de lutte contre le blanchiment, le rôle des assujettis à la déclaration de soupçon et, enfin, les révélations des faits délictueux au procureur. 

Le directeur général de l’Office central de lutte contre la corruption (OCRC), Mokhtar Lakhdari, a fait un exposé succinct sur le contexte dans lequel la criminalité financière a été introduite dans la législation, juste après l’indépendance, puis revue durant les années 1970, avant la réforme du début des années 1980 avec le nouveau concept de l’EPE (entreprise publique économique), qui éloigne quelque peu le pays du socialisme, sans s’en détacher, et celle des années 1990 qui a vu de nombreuses affaires de corruption introduites devant les tribunaux, avant qu’une autre réforme en 2000 n’instaure la plainte préalable, quelques années après, avec la promulgation de la loi 06/01 relative à la prévention et la lutte contre la corruption. 

Le secrétaire général de la Cncac, Mohamed Yahiaoui, plaide pour le «renforcement» des mécanismes de prévention et de lutte contre le phénomène, à travers, dit-il, «la confiance dans le système financier, la clarification des responsabilités des commissaires aux comptes par l’actualisation du cadre juridique mais aussi par l’adoption des techniques innovantes qui facilitent la détection de la fraude financière, dans un contexte en constante évolution». 

Selon l’intervenant, les divergences de pratique constatées dans l’exécution des obligations des commissaires aux comptes appellent à la nécessité d’une réflexion approfondie sur son champ d’application. La constitution d’un groupe de travail, composé de représentants de l’ensemble des intervenants et chargé d’élaborer cette procédure, «est plus que nécessaire». 

Cette procédure doit définir les «contours de l’obligation de révélation des faits délictueux, mettre en avant son articulation avec l’obligation de déclaration de soupçon à la Cellule de traitement du renseignement financier (Ctrf) et suggérer des bonnes pratiques facilitant la collaboration des commissaires aux comptes avec l’autorité judiciaire dans la mise en œuvre de cette obligation». Pour l’intervenant, il s’agit «des principaux défis auxquels nous sommes confrontés». 

Groupe de travail 

Le président de la Cncac, El Habib Marhoum, a évoqué les obligations des commissaires aux comptes liées à la dénonciation au procureur et la déclaration de soupçon à la Ctrf. L’intervenant met en avant les «nombreuses divergences» dans la pratique, constatées dans l’exécution de ces obligations et qui souvent mettent les commissaires aux comptes dans l’embarras ou des ennuis avec la justice. 

Salem Sam, commissaire aux comptes, met lui aussi l’accent sur le rôle de ses pairs dans la lutte contre la criminalité financière et rappelle le dispositif légal existant en «perpétuel changement», citant au passage la nouvelle loi sur le crédit et la monnaie, publiée en juin 2023, qui réaffirme, selon lui, les obligations des assujettis à mettre en place des procédures d’identification et d’évaluation des risques de blanchiment et de financement du terrorisme.

 De nombreux intervenants ont pris part au débat qui a suivi les interventions, soulevant les problèmes liés à la lecture des textes et de terminologie, etc., aussi bien par les juges que par les commissaires aux comptes, «créant parfois tantôt des contradictions tantôt du cafouillage». 

A la fin des travaux, les participants ont adopté une dizaine de recommandations, parmi lesquelles, l’élaboration d’une circulaire sur l’obligation de révélation des faits délictueux par les commissaires aux comptes, la nécessité de préciser le champ d’application de l’obligation de révélation des faits délictueux, en particulier en cas de régularisation postérieure, et de notifier au parquet que les faits ont fait l’objet d’une régularisation, la clarification dans la procédure de l’articulation entre l’obligation de révélation des faits délictueux et l’obligation de déclaration de soupçon à la Ctrf. 

D’autres recommandations mettent l’accent sur la sensibilisation permanente, la formation spécialisée continue incluant des programmes ciblés, l’utilisation de technologies émergentes, et des certifications spécifiques en collaboration avec des institutions académiques. 

Les conférenciers ont également appelé à la simplification des procédures de déclaration de soupçon à travers une communication fluide avec les autorités judiciaires, la clarification des responsabilités et la protection juridique.  

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