LONG - Habillage : Le flou d’arriere-plan et la question du décor

17/12/2023 mis à jour: 16:23
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Extrait de Un "thé au Sahara", film de Bernardo Bertolucci basé sur un roman de Paul Bowles avec Vittorio Storaro à la direction photo, tourné entre l’Algérie et le Niger - Photo : D. R.

Le décor, c’est généralement ce qu’il y a en plus, accessoire et secondaire, relégué au fond. Il est pourtant, comme les accessoires, partie intégrante d’un film, qui peut être raté à cause du décor. D’où la question des studios de tournage en Algérie, du décor artificiel ou naturel, et des films qui se tournent à l’étranger, faute de décors.

Du sable, du soleil, du ciel bleu. Nous sommes à la fin de l’année, les Nordistes se préparent à l’assaut des villes du Sud, comme Timimoun. Zaouiet Debbagh, dans le Tinerkouk, à 70 kilomètres au nord de la ville rouge. Un vieux fort français se dresse devant la mer de sable du Grand erg occidental. Restauré, le Bordj Khan El-Kaouafel, son nom d’aujourd’hui, a été transféré de la Fondation Déserts du monde de Chérif Rahmani au ministère de la Culture qui, depuis l’année dernière, annonce qu’il sera la base d’une nouvelle ville du cinéma, «un pôle cinématographique» qui comprendra studios, moyens techniques et autres.

Ce «Palais du cinéma», comme désigné par le ministère, a déjà accueilli deux sessions de résidence d’écriture de scénarios en partenariat avec le CADC, Centre algérien de développement du cinéma, mais plus d’un an après l’annonce, il n’y a toujours pas grand-chose dans ce désert, ni ville de cinéma ni cinéma. Plus près de Timimoun, sur la route du village Tala, un petit hôtel avait été construit par l’équipe des décorateurs de Hamid Boughrara pour accueillir des séquences de la série Mayna tournée en 2020, réalisée par Walid Bouchebah et écrite par Lamia Kahli.

Le tournage terminé, le décor est resté et les gens de passage, touristes ou locaux, s’arrêteront devant pour une pause, un thé, pour y faire des photos, séduits par l’étrangeté du lieu et le réalisme du décor artificiel monté pour la série. Il y a quelques mois, devant l’attrait du site et la bataille autour, chaque administration, institution ou APC voulant la récupérer pour elle, l’hôtel a été tout simplement détruit. La question des décors, des studios, des lieux de tournage, reste un vrai problème, en Algérie, il n’y a toujours rien ou presque.

Si à Alger, au siège du CADC, à El Achour, un studio est fonctionnel, «trop petit pour le cinéma, c’est juste pour faire des séries TV», explique le producteur Bachir Derraïs, mais qui accueille quelques tournages, comme en ce moment pour des séries ramadan. Mourad Ouabbas, scénariste du film Belouizdad qui lui a posé des problèmes de décors, a demandé que «l’Etat algérien accélère le processus de création de villes cinématographiques afin de pouvoir tourner des scènes restituant une époque bien précise, rapidement et sans trop dépenser»

En l’absence de studios, tout repose donc sur les chefs décorateurs. Qui sont-ils ? Ils viennent des Beaux-Arts, du théâtre, des écoles de design comme Feriel Gasmi Issiakhem qui a signé les décors raffinés de La dernière reine, ou de l’architecture comme Adel Bekkai qui a monté les décors de la série culte Achour el acher, expliquant qu’il n’a pas été entièrement payé et est toujours en justice. Heureusement, pour le cinéma, pas pour lui, les décors n’ont pas été détruits, récupérés par le CADC qui en a fait une attraction pour touristes.

Les décorateurs travaillent derrière, à l’arrière-plan, et c’est pour cette raison qu’ils ne sont pas connus, sauf des professionnels. Les anciens comme Ken Adam (les James Bond ou Docteur Folamour), anobli par la Reine d’Angleterre en Sir Keneth Adam, Norman Reynolds, production designer, comme on les appelle en anglais, chef décorateur pour les Star Wars et Indiana Jones que Steven Spielberg qualifie de «cœur créatif» des films, Dante Ferriti, chef décorateur de Fellini, Dean Tavoularis d’Apocalypse Now et de Coppola ou encore Rick Heinrichs, l’auteur des décors du film le plus cher de l’histoire, Pirate des Caraïbes, qui a coûté 400 millions de dollars.

Pour l’Algérie, on peut citer Redouane Cherif, Mohamed Boudjemaâ, Arezki Larbi et parmi la jeune génération Rabah Azrou (L’étoile d’Alger et L’échappée), ou encore Mourad Zidi qui a travaillé sur le film Yema de Djamila Sahraoui où il a fallu reconstruire une ferme en ruines et pour montrer l’évolution des saisons, planter des arbres à différents moments de leur croissance. Un décorateur est donc aussi un agriculteur.

Le fond vert était bleu

Bien sûr, en dehors de décors, on peut toujours travailler avec des fonds verts, et bien qu’aujourd’hui, de nouvelles techniques apparaissent, animations en 3D grâce à des écrans géants LED de haute définition comme dans Gravity, où les nouveaux dispositifs pilotés par Intelligence artificielle, le chroma Key, technique du fond vert est encore largement utilisée, même si de plus en plus d’acteurs se plaignent de devoir jouer devant des plaques vertes sans pouvoir appréhender l’espace dans lequel ils évoluent.

300, Sin City de Frank Miller, Matrix, Deadpool, Harry Potter, Le Seigneur des anneaux ou Mad Max ont été tournés avec des fonds verts, y compris les séries Game of Thrones ou Walking dead, mais en Algérie, si on n’a pas de décors, on n’utilise pas ou très peu les fonds verts, pourtant couleur nationale. Dommage, car le fond vert est le grand-père des effets spéciaux, avec Le voleur de Bagdad tourné en 1949, inspiré des 1000 et une nuits, où cette technique d’incrustation apparaît pour la première fois afin de faire voler un tapis avec des gens dessus, reçevant deux oscars au passage, effets spéciaux et décors.

Un fond vert qui était en fait un fond bleu, devenu vert en murissant, mais heureusement, une tendance apparaît dans le cinéma comme l’explique le chef décorateur Adam Stockhausen, partenaire de Wes Anderson et de Steven Spielberg, les décors naturels : «C’est ce qui rend ces films si singuliers, être physiquement dans un lieu et faire semblant d’y être, cela n’a rien à voir, on bénéficie de l’authenticité du monde réel.» Retour aux sources ?

Oui, comme en Algérie où Pépé le Moko, Profession reporter d’Antonioni, Z de Costa-Gavras, Tarzan l’homme-singe ou Un thé au Sahara de Bertolucci y ont été tournés, au naturel, le meilleur directeur photo étant Dieu, comme aiment à dire les cinéastes cubains, lumières et cadres naturels. Tout ce qu’il y a à Timimoun, pour revenir au projet du ministère qui peine à se concrétiser. De toutes façons, il y a très peu de vert dans le Sahara, autant tourner en naturel. 


 

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