70 films projetés, 30 000 spectateurs et 10 milliards dépensés. C’est le bilan du Festival méditerranéen d'Annaba qui a cloturé ses portes en fin de semaine dernière avec un rendez-vous à la même date pour 2025. Mais les festivals sont-ils du cinéma, une représentation du cinéma, un rendez-vous mondain, un dîner de famille ou plutôt un jeu d’équilibre ?
Annaba c’est fini, comme Capri, Saïdani ou Moretti, et tout le monde est rentré chez lui après avoir bien mangé, à l’hôtel Seybousse pour les VIP, douara bouzellouf à la Place d’armes pour les nostalgiques ou du poisson au port pour les anti-carnivores.
Les prix et consécrations sont aussi tombés avec de l’argent à la clé, prix de la Gazelle d’or (long métrage) à un Espagnol, celui de l’interprétation à une Espagnole et à un Palestinien, pour le scénario à un Turc et pour la réalisation à un Croate, en court métrage à un Espagnol, un Croate, un Chypriote et un Palestinien et pour le documentaire à un Italien et un Tunisien.
Prix spéciaux, marginaux ou honorifiques, au Blidéen Zahzah avec un prix spécial pour les enfants, à Hadjer Sebata pour son court métrage Tiyara sefra, prix du public bien mérité, et enfin pour l’Algéro-Palestinienne Lina Soualem avec un prix du jury documentaire. C’est tout, c’est plus ou moins hors concours et de l’échelle des récompenses officielles, les jurés ayant estimé que le cinéma algérien n’est pas encore mur, ni en long, ni en court, ni en documentaire, peut-être en moyen, une catégorie qui n’existe pas.
Les Algérien(ne)s sont-ils bons en jury d’ailleurs puisque la composition de l’équipe des juges comportait aussi de Algérien(ne)s ? Il faut se référer au Turc Nouri Bilge, président du jury du Festival du film méditerranéen d’Annaba, qui a conclu la cérémonie par : «Les films projetés étaient excellents, visiter Annaba était une belle opportunité pour découvrir cette ville, prendre des clichés et découvrir ainsi la magie de l’Algérie.»
C’est donc entre le tourisme, la photographie et le cinéma, la magie et la géographie que se situe le 7e art, ou du moins les festivals censés le représenter. Petit comparatif, l’Algérie a sorti 5 films en 2023, pour 5 festivals, l’Arabie Saoudite 7 films pour 2 festivals et l’Italie, invitée d’honneur au Festival de Annaba, 300.
La Turquie justement, 300 aussi, la France 300, l’Egypte, 21 films pour 5 festivals, le Maroc est passé de 8 films en 2021 à 30 en 2023, l’Iran 100 films, record pour le Nigeria, 2500 films en 2023 et palme d’or pour l’Inde qui a produit aussi 2500 films l’année dernière pour 5 festivals de cinéma seulement, soit le nombre de films produits par l’Algérie. Et alors ? Alors rien, ce sont justes des chiffres.
Algérie-France, l’incontournable match
S’il faut bien sûr rappeler que la nationalité d’un film est celle de son producteur et non pas de son réalisateur, on doit se demander si Omar la fraise par exemple est un film algérien, français ou les deux, Omar étant un prénom algérien mais la fraise d’une lointaine origine.
A ce titre, le film Avant que les flammes ne s’éteignent du Franco-Algérien Mehdi Fikri diffusé à Annaba, a déjà lancé une polémique mais en France, à travers l’histoire d’un jeune (d’origine maghrébine bien sûr), tué injustement par la police, avec Fianso, alias Sofiane Zermani et Camélia Jordana, film dont la sortie avait immédiatement subi une violente campagne de dénigrement menée par l’extrême-droite.
«Nous sommes un seul peuple», a expliqué Sofiane à Annaba, «vous ressentez ce que nous vivons là-bas et nous ressentons ce que vous subissez ici».
Message politique ? En tous les cas, c’est comme, dans un autre registre, Ben Mhidi de Bachir Derraïs, également projeté à Annaba, film longtemps bloqué en Algérie parce que soupçonné de faire le jeu des Français, qui va aussi avoir des problèmes en France parce que soupçonné, ou plutôt accusé dans ce cas, de reparler de la guerre d’Algérie, de la colonisation et de la torture, sujets dont ne veulent pas entendre parler les distributeurs français. Le cinéma est-il politique ? Evidemment. Alors est-ce toujours du cinéma ? Alors où est le cinéma ?
Les histoires de familles
Le monde est-il une grande famille ? Au niveau populaire peut-être mais au niveau gouvernemental, politique ou médiatique, on est bien loin du compte.
Et au niveau cinématographique ? C’est la question, et c’est pour cette raison qu’il fallait voir Sokrania 59, court métrage du Syro-Palestinien Khatib El Abdallah produit par l’Algérien Salah Issaad, réalisateur de l’excellent Soula en 2022 et qui a aussi monté ce petit film racontant avec finesse, humour et sans larmes la vie d’une famille palestinienne réfugiée en Syrie qui s’installe en Europe aux côtés d’une autre famille ukrainienne, réfugiée aussi, l’Algérien Hakim Traïdia dans le rôle du père.
Le cinéma est une histoire de famille, comme au Festival d'Annaba où tout le monde se connaissait, s’embrassait, riait ensemble tout en critiquant tout le monde une fois le dos tourné, comme le veut la tradition du cinéma.
D’ailleurs, ça n’a pas manqué, sitôt l’embrassade avec le réalisateur, scénariste, producteur et perchman Merzak Allouache, la critique a fusé de la part d’un comédien qui a fait jurer sur le Coran de ne pas citer son nom, «il a mal vieilli tout comme ses films mais se prend encore pour Fellini».
Annoncé, puis annulé, puis finalement arrivé par le dernier vol, Merzak Allouache, l’homme aux 25 films, a reçu un hommage pour sa longue carrière et a choisi La famille, sorti en 2021 et inédit, pour le représenter.
De quoi s’agit-il ? En bon suiveur de l’actualité, ce qui n’est pas forcément du cinéma, c’est une histoire tirée du hirak 2019 où la famille de Merouane (joué par Abderrahamane Ikariouane, Héliopolis), ancien ministre corrompu, sent le vent tourner et avec sa femme (jouée par Hamida Aït El Hadj, qui, pour le coup, a vraiment été directrice d’une maison de la culture sous l’ère Bouteflika), décident de partir mais interdits de quitter le territoire national, tentant de fuir vers le Maroc.
Une comédie qui ne fait par vraiment rire mais pose au moins le problème des familles avec leurs antagonismes, la famille du cinéma par exemple, enfants gâtés ou turbulents, riches ou pauvres, acariatres ou sociaux, déviants ou trop normaux, critiques ou dociles, ces deux derniers étant souvent les mêmes car il faut bien travailler, Annaba c’est fini et chacun est rentré chez lui, dans sa famille véritable, avec au programme les journées cinéma de Sétif le 7 mai et le festival du court métrage d’Imedghacen le 11. Oui, l’Algérie a peu de films, pour y travailler, mais beaucoup de festivals. C’est déjà ça.