La visite d’Emmanuel Macron à Alger, un nuage d’été ou un progrès dans les relations tumultueuses entre la France et l’Algérie ? On le saura dans un proche avenir, une fois les lampions éteints et les langues amenées à se délier. Du fait même d’une rencontre entre les deux chefs d’Etat et d’un voyage officiel, c’est un progrès.
Ce n’était pas évident après la saillie d’Emmanuel Macron à l’égard des autorités algériennes accusées de ne subsister que grâce à la rente mémorielle et après ses doutes sur l’existence même de la nation algérienne avant la colonisation. Abdelmadjid Tebboune semble avoir accusé le coup et a choisi de ne pas tenir rigueur, ce qui aurait marqué le chef de l’Etat français.
A Alger, celui-ci s’est gardé de relancer ses critiques du système algérien, survolant à peine la question des droits de l’homme. Fondamentalement, il s’est rendu compte que la France ne peut se couper de l’Algérie, surtout dans le nouveau contexte géopolitique mondial après l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
La France a pour mission de rallier à la doctrine de l’OTAN le maximum d’Etats, et l’Algérie est une cible de choix du fait de ses liens historiques avec Moscou et de sa politique de non-alignement. Elle doit également s’atteler à atténuer les effets de la crise énergétique sur l’Europe afin d’affaiblir la Russie ; et pour cela, elle devra nécessairement tenir compte du rôle de l’Algérie.
Emmanuel Macron l’a dit ouvertement en faisant allusion aux approvisionnements de gaz algérien de l’Italie et de l’Espagne. Il n’a toutefois pas voulu aller loin en évoquant son pays qu’il considère, prématurément, voire inconsciemment, comme épargné par la guerre du gaz. L’hiver prochain pourrait être ravageur aussi bien sur les réserves en gaz que sur les prix à la consommation, aux lourdes conséquences sociales. S’il affirme volontiers que l’Algérie est importante pour la France, géopolitiquement et économiquement, le président français n’est pas allé jusqu’à proposer un véritable pacte stratégique entre les deux pays, de la même veine que celui qui lie Paris et Berlin.
Vraisemblablement pour ne pas avoir à présenter à l’Algérie, au nom de la France, des excuses pour le crime contre l’humanité commis durant 132 ans. Emmanuel Macron a pourtant évoqué ce crime en 2017, mais l’a réduit peu à peu, avec le temps, en guerre entre Algériens et Français. Si le duo franco-allemand fonctionne bien aujourd’hui, c’est grâce, en large partie, au travail de mémoire et de pardon autour des crimes nazis. Tant que le solde de l’histoire n’est pas réglé définitivement sur la base essentielle d’excuses de l’Etat français à la nation algérienne, la coopération entre les deux pays restera toujours insuffisante.
L’inachevé qu’alimentent les rancœurs et les manœuvres d’une large partie de l’opinion publique française de droite et d’extrême droite s’érige toujours en barrière : c’est devenu une règle sur la scène politique et publique française faisant buter toutes les bonnes volontés politiques, particulièrement lorsque le courage en arrive à manquer. Emmanuel Macron est-il dans ce cas de figure ? Manque-t-il lui aussi de courage, ou bien attend-il son heure pour laisser une empreinte dans l’histoire ?
On peut supposer – et espérer – qu’il soit dans cette dernière hypothèse, son atout indéniable est de ne pas avoir été concerné ni de près ni de loin par la colonisation française. Il a encore tout un mandat présidentiel pour agir et surtout il a en face de son pays une grande nation, l’Algérie, qui attend réparation d’un des plus grands préjudices de l’histoire contemporaine, commis par une puissance coloniale.