L’humanitaire à deux vitesses

21/09/2023 mis à jour: 00:20
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Par définition, seule la détresse est prise en compte dans l’action humanitaire. Toute autre considération doit s’effacer face à l’urgence de porter secours aux populations frappées par un malheur, la politique notamment. Le cas des inondations apocalyptiques de la ville de Derna en Libye est un exemple de la perversion de l’aide internationale.

Peu de capitales se sont portées au secours de ce pays meurtri et quand cela était, les secours mobilisés étaient maigres, loin des immenses besoins nécessaires dans tous les domaines. Le malheur libyen s’est presque déroulé à huis clos, les grands médias du monde ne jugeant pas utile de se mobiliser massivement pour la catastrophe, comme ils le firent pour le Maroc après le séisme affectant la région du Haut Atlas ou avec la Turquie ébranlée elle aussi par un tremblement de terre majeur, il y a quelques mois.

Les images télévisuelles de Derna martyre ont été rares et l’opinion publique internationale peu informée de l’ampleur de la catastrophe et de ce fait insuffisamment mobilisée pour l'émergence de solidarité des populations et des associations. Elle ne sait pas qu'il y a eu des dizaines de milliers de morts et de disparus, des dégâts incommensurables, une ville rasée et manquant de tout. Seuls quelques Etats, dont l’Algérie, ont bien réagi en matière de secours.

La solidarité arabe n’a pas été à la hauteur, alors que c’est un pays censé être frère qui a été touché par le malheur. Les grandes institutions internationales, dont l’ONU et l’Union européenne, ne se sont pas trop bousculées au portillon. La Libye restera désormais une plaie dans l’action humanitaire internationale.

Qu'est-ce qui explique tout cela ? La Libye vit une situation interne particulière depuis la chute de Mouammar El Gueddafi. Une interminable guerre civile bloque toute tentative d’édification d’un Etat moderne avec des institutions légitimes et fortes. Fractionnée en deux entités rivales, la Libye ne peut mettre à profit ses immenses richesses en hydrocarbures et assurer son développement.

Fragilisé et appauvri, le pays ne bénéficie donc pas d’une grande attention de la communauté internationale qui, de surcroît, n’arrive pas à se défaire de l’ancienne vision d’une Libye frondeuse conduite par un chef d’Etat imprévisible avec de fortes positions anti-impérialistes et pro-palestiniennes.

Tête de file du fameux «front du refus», bête noire du sionisme mondial, la Libye fut mise au ban des nations sous l’impulsion des capitales occidentales, dont les Etats-Unis et la France. C’est cet Etat là, dirigé alors par Nicolas Sarkozy, qui conduisit la coalition guerrière qui a abouti à l’assassinat de Mouammar El Gueddafi.

Tout cela n’est donc pas étranger aux réticences internationales actuelles à lui porter secours d’une manière massive et franche. Du fait de sa fragilité historique et de sa mauvaise image forgée par l’Occident, la Libye enterre et pleure seule ses morts. Le pays n’a pas eu la chance du Maroc qui, en plus d’être courtisé par les capitales occidentales, dispose de puissants lobbyings à l’extérieur.

Des personnalités, telles Gad Elmaleh, Bernard-Henry Lévy, Dominique Strauss-Kahn, Jamel Debouz et autres ont servi d’aiguillon à la sensibilisation internationale pour la solidarité avec le Maroc. En revanche, nulle voix de célébrités mondiales, y compris arabes, n’a porté haut la détresse libyenne.

C’est une facette noire de l’action humanitaire internationale visible également dans d’autres drames affectant les pays du tiers-monde, plus particulièrement ceux qui, à un moment ou un autre, ont déplu à l’Occident par leurs positions politiques ou idéologiques. L’humanitaire ne se cache plus, c’est une arme politique entre les mains des puissants.

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