L’ex-star du football, Lilian Thuram, au 26e Salon international du livre d’Alger : «La négrophobie ou la haine des Noirs est devenue chose normale dans le monde»

02/11/2023 mis à jour: 02:49
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Lilian Thuram parlant de son livre en marge du Salon du livre d’Alger (Photo: B. Souhil )

Lilian Thuram, ex-star du football, était, mardi 31 octobre, au 26e Salon international du livre d’Alger (SILA) où il a animé un débat à l’Espace Afrique, au pavillon central du Palais des expositions des Pins maritimes, et signé deux de ses ouvrages.

Il s’agit de Mes étoiles noires (Barzakh) et La pensée blanche (APIC). «Quand j’écris, c’est pour l’enfant que j’étais. Né aux Antilles, je suis arrivé en région parisienne à l’âge de 9 ans. Et je dis souvent que je suis devenu Noir à l’âge de neuf ans dans cette classe de CM2 où des enfants m’avaient traité de ‘‘sale noir’’. 

En fait, je n’ai pas très bien compris le sens. J’ai posé la question à ma mère qui m’a répondu : ‘‘c’est comme ça les gens sont racistes’’. A partir de cet âge-là, j’ai commencé à me questionner, pourquoi il y a du racisme dans la société. En grandissant, j’ai pu rencontrer des livres et des personnes pour se rendre compte que cela était lié à l’histoire», a-t-il confié.
 

Il a évoqué des «constructions» sur la hiérarchisation des races et des gens selon la couleur de leur peau. L’ancien défenseur de l’équipe de France dit avoir interrogé des jeunes sur ce qu’ils ont appris à l’école sur l’histoire des populations noires. «Ils me répondaient avec difficulté en évoquant l’esclavage. Si dans l’imaginaire collectif, l’histoire des populations noires commençait par l’esclavage, il était alors compréhesif que des préjugés négatifs sur les personnes noires existaient. Pour changer l’imaginaire collectif, il fallait ramener des savoirs différents. Nous réfléchissons avec ce que nous connaissons», a-t-il souligné. D’où sa décision d’écrire des livres
 

«On juge les gens à travers leur couleur de peau»

Le premier ouvrage, 8 juillet 1998, est paru en 1998, l’année où Lilian Thuram avait remporté avec l’équipe de France la Coupe du monde de football. «Dire que l’histoire des populations noire commence avec l’esclavage, c’est extrêmement violent. Cela veut dire que les Noirs sont des anciens esclaves, et les Blancs des anciens maîtres, d’où la nécessité de mettre en valeur des idoles de couleur de peau différente. Aujourd’hui encore, on juge les gens à travers leur couleur de peau. On pense que les gens ayant la peau foncée sont inférieurs», a-t-il ajouté.

«En parlant de personnes noires, on parle d’hommes de couleur. Une invention pour dire que ces personnes ne sont pas blanches. Dans l’imaginaire collectif, les hommes &érestent des personnes inférieures. Il faut nous questionner sur nos propres préjugés. Il faut les affronter pour les dépasser. L’intelligence n’est pas liée à la couleur de la peau», a-t-il dit.
 

 (Photo: B. Souhil )

 

L’universitaire et auteur Benaouda Lebdai, qui a modéré le débat, a rappelé que l’origine noire de l’écrivain Alexandre Dumas est rarement mentionnée en France.

«Dans l’absolu, ce n’est pas important de le dire ; en fait, pourquoi il faut le dire, parce que la négrophobie ou la haine des Noirs est devenue chose normale dans le monde (...) Il serait intéressant d’avoir des étoiles de toutes les couleurs pour grandir différemment. Il est important de montrer des exemples positifs», a répondu Lilian Thuram.
Il a évoqué l’exemple du poète et romancier russe Alexandre Pouchkine dont les arrière-grands-parents étaient d’origine africaine. «On lui a, à chaque fois, rappelé qu’il était d’une origine inférieure», a-t-il noté. L’auteur de Le Festin en temps de peste est cité dans le livre Mes étoiles noires, paru en 2010.

Pour Lilian Thuram, subir le racisme est un harcèlement. «Et quand on est harcelé, on ne peut pas se développer. L’estime de soi est fondamentale. Si on laisse dans l’inconscient collectif l’dée de l’existence d’une hiérarchie, on va former une génération d’oppresseurs (...)», a-t-il prévenu, évoquant le danger «d’intégrer» le discours sur «la hiérarchie des races».  

Selon lui, la plupart des gens ne savent pas que Lucy, spécimen fossile des Australopithecus afarensis, découvert en Ethiopie en 1974, est la grand-mère de l’humanité. «Les gens ne savent pas que nous sommes tous issus du continent africain. Nous sommes de la même famille», a-t-il dit

Evoquant Barak Obama, il a estimé que le premier président noir des Etats-Unis (2009-2017) ne pouvait pas régler le problème du racisme. «Le racisme a une profondeur historique telle qu’il existe des gens qui en ont besoin. Au stade, les supporters lancaient des cris de singe lorsque je jouais. Le problème n’était pas moi, mais eux, les racistes. Ils ont besoin du racisme pour se persuader qu’ils sont mieux que les autres. Ils sont malades. C’est pour cette raison que le racisme anti-Noir persiste dans les sociétés. Le racisme est une construction politique qui n’est pas décidée par les plus pauvres. La construction de l’idéologie raciste est liée à l’exploitation économique, à la prédation. Un système violent. Le suprémacisme blanc n’a pas été mis en place par les paysans français ou italien mais par l’élite», a appuyé l’auteur de Manifeste pour l’égalité.

 

 (Photo: B. Souhil )
 

 

«Ce que je fais aujourd’hui est dans la lignée de Muhammad Ali»

«Il faut éduquer nos enfants à dire Non ! On n’est pas obligé d’accepter la société comme elle l’est. Muhammad Ali (boxeur américain) a dit non, a combattu le racisme. Ce que je fais aujourd’hui est dans la lignée de Muhammad Ali qui, très tôt, a compris qu’en étant un sportif de haut niveau, il pouvait facilement questionner la société en raison du lien émotionnel avec les gens. Il est donc plus aisé de passer des messages (...) Etre Noir, c’est beau, c’est fort, c’est puissant. Les personnes noires voudraient être vues comme des êtres humains ayant les mêmes droits et les mêmes devoirs», a-t-il noté en reprenant la célèbre expression de l’activiste Angela Davis, «Black is beautiful».
En 2008, l’ex-star du football a créé la Fondation Lilian Thuram éducation contre le racisme et il est parrain du Collectif Devoir de mémoire.

«Nous devons questionner le passé pour savoir les séquelles laissées dans les sociétés en Algérie, en France, en Guadeloupe. Nous devons revisiter l’histoire pour comprendre qu’il existe des blessures que nous devons soigner tous ensemble. Dans mon livre, Le pensée blanche, je dis que cette pensée n’est pas celle des Bancs. Elle est universelle. Malheureusement, en Afrique, des jeunes s’éclaircissent la peau en pensant qu’être blanc, c’est mieux ! Avoir la peau claire, vous donne plus de possibilités de réussir dans votre vie. Tout le monde sait que les personnes noires sont maltraitées», a soutenu Lilian Thuram. Le monde moderne, selon lui, s’est construit sur le suprémacisme blanc, «une idéologie politique».

Lors du débat, une question a été posée à Lilian Thuram sur la situation dramatique actuelle à Ghaza. Il a eu cette réponse : «Je dois répondre à cette question lorsque je serai en France. Pourquoi ? Lorsque je parle d’un sujet dans un autre pays, les déclarations se transforment en cours du voyage et arrivent avec des mots différents».

 

 

(Photo: B. Souhil )

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