Les travailleurs humanitaires décrivent une situation apocalyptique : «Ghaza est maintenant un véritable enfer sur terre»

29/06/2024 mis à jour: 06:21
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Photo : D. R.

«Aujourd’hui, de très nombreuses familles vivent à l’intérieur de ces squelettes de bâtiments détruits. Des couvertures ou des bâches en plastique ont été posées là où les murs ont été démolis. Il est donc très aisé de voir la différence que l’invasion de Rafah et l’action militaire en cours ont provoquée», a déclaré Louise Wateridge, porte-parole de l’UNRWA.

Louise Wateridge est une travailleuse humanitaire de l’ONU et porte-parole de l’UNRWA. Elle a effectué plusieurs séjours à Ghaza. Elle y est encore retournée ce jeudi et décrit une situation apocalyptique. «Vous pouvez entendre les bombardements du nord, du centre et du sud... Ghaza est maintenant un véritable enfer sur terre. Il fait très chaud.

Les ordures s’entassent partout, les gens vivent sous des bâches en plastique où les températures montent en flèche», relate-t-elle, livrant un témoignage bouleversant à ONU Info diffusé hier. «Elle a témoigné quelques heures après son retour dans l’enclave détruite par les opérations militaires israéliennes», précise l’organe d’information des Nations unies.

«Arrivée jeudi par le point de passage de Kerem Shalom, dans l’extrême sud de la bande de Ghaza, Mme Wateridge a déclaré avoir vu une ville de Rafah ''détruite''. (…) Les scènes de désolation se sont répétées lors du voyage de la travailleuse humanitaire vers le nord et le centre de la bande de Ghaza, où elle est actuellement installée», ajoute la même source. «La traversée de Khan Younès était choquante, reprend Louise.

Je n’y étais pas allée depuis l’invasion de Rafah le 6 mai et c’était une ville fantôme parce que tout était détruit», dit-elle. Et de souligner : «Au-delà de la difficulté d’entrer dans Ghaza, les équipes humanitaires doivent maintenant faire face à une prise de conscience. Avec la pénurie de carburant et la diminution des fournitures, il y a une limite à ce qu’elles peuvent faire pour aider tous ceux qui sont dans le besoin.»

«Squelettes de bâtiments»

«Aujourd’hui, de très nombreuses familles vivent à l’intérieur de ces squelettes de bâtiments détruits. Des couvertures ou des bâches en plastique ont été posées là où les murs ont été démolis. Il est donc très aisé de voir la différence que l’invasion de Rafah et l’action militaire en cours ont provoquée», fait-elle remarquer.

La porte-parole de l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens évoque également les dégâts effroyables subis par les antennes de l’UNRWA et les autres agences de l’ONU à Ghaza. «Chaque installation de l’UNWRA – école, entrepôt, distribution de nourriture, etc. – a été considérablement endommagée, voire détruite. Des trous de balles, des murs explosés, des sols effondrés comme des crêpes les unes sur les autres…

Vous n’auriez jamais imaginé qu’il s’agit d’installations de l’ONU protégées par le droit international», raconte-t-elle, abasourdie. 
Selon le Bureau de coordination de l’aide des Nations unies (OCHA), depuis le début de l’année 2024, «seuls 14% du carburant (diesel et benzène) qui entrait mensuellement à Ghaza avant octobre 2023 ont été autorisés à pénétrer dans l’enclave (deux millions de litres contre 14 millions de litres)», indique ONU info.

Louise Wateridge confirme les entraves logistiques à l’acheminement de l’aide humanitaire en disant : «Nous n’avons pas de carburant, donc nous ne pouvons aller nulle part.

C’est le cas de tous les humanitaires.» «Pour l’UNRWA, il est prévu de distribuer ce que nous avons – de la nourriture et des matelas – mais c’est très limité. Cela montre une fois de plus à quel point la situation est mauvaise pour la réponse humanitaire, alors que nous n’avons même pas assez de carburant pour nous déplacer», se désole-t-elle.

625 000 élèves privés d’école

Et à l’heure où nos lauréats du BEM célèbrent bruyamment, depuis l’annonce des résultats jeudi soir, leur réussite aux épreuves du «brevet» à grand renfort de pétards, en attendant les résultats du bac, à Ghaza, plus de 625 000 élèves ont été privés d’école durant toute l’année scolaire 2023-2024. «Plus de 625 000 enfants de la bande de Ghaza ne sont plus scolarisés depuis plus de 8 mois, dont 300 000 élèves qui étaient inscrits dans les écoles de l’UNRWA avant le déclenchement de la guerre», relève l’UNRWA sur la plateforme X.

L’agence onusienne s’inquiète également des conditions de vie dans les camps sous la chaleur estivale, faisant observer que «les déchets et les eaux usées s’accumulent encore dans toute la bande de Ghaza, tandis que les températures élevées et le manque d’eau potable contribuent à accélérer la propagation des maladies».

ONU-Femmes alerte, de son côté, sur le niveau de famine très accru qui affecte la population civile à Ghaza, en insistant sur l’insécurité alimentaire chez les femmes. «Un risque élevé de famine persiste dans la bande de Ghaza tant que le conflit en cours se poursuit et que l’accès humanitaire reste restreint, selon un nouveau rapport de l’Integrated Food Security Phase Classification (classification intégrée des phases de la sécurité alimentaire)», déplore l’agence onusienne.

ONU-Femmes estime qu’au moins «557 000 femmes à Ghaza sont confrontées à une grave insécurité alimentaire». «La situation est particulièrement préoccupante pour les mères et les femmes adultes, qui donnent souvent la priorité à l’alimentation des autres plutôt qu’à elles-mêmes et signalent plus de difficultés à accéder à la nourriture que les hommes, ce qui conduit beaucoup d’entre elles à sauter des repas ou à réduire leur consommation pour garantir que leurs enfants soient nourris», note l’organisation.

Devant la catastrophe humanitaire qui ne fait que s’aggraver à Ghaza après plus de huit mois d’une guerre atroce, le représentant permanent de l’Etat de Palestine auprès des Nations unies, Riyad Mansour, a appelé jeudi à imposer un cessez-le-feu à Ghaza comme un premier pas vers la fin de la crise humanitaire, rapporte l’APS.

M. Mansour s’exprimait dans le cadre de la réunion annuelle sur les affaires humanitaires organisée par le Conseil économique et social des Nations unies à New York. L’occupant sioniste «confisque nos terres, déplace notre population par la force, construit des colonies illégales et vole nos ressources, y compris nos recettes fiscales, au mépris total du droit international», dénonce le diplomate palestinien.

«Pour maintenir ces conditions coercitives, Israël cible ceux qui soignent, nourrissent et sauvent par des incitations et des attaques militaires, inventant des prétextes et des mensonges sans fondement pour justifier ses actions illégales. Il attaque nos hôpitaux à Ghaza et à Jénine. Il cible le personnel humanitaire à El Qods occupée et à Deir El Balah, et refuse leurs visas d’entrée, les arrête, les torture et en fait des martyrs», énumère Riyad Mansour.

Des bombardements sans répit

Hier, un nouveau cortège de morts et de blessés a été enregistré dans divers secteurs de l’enclave assiégée. Selon l’agence Wafa qui cite des sources médicales, 11 personnes ont été tuées et plus de 40 ont été blessées suite à des raids meurtriers qui ont ciblé un camp de déplacés à Al Mawassi, à l’ouest de la ville de Rafah. La même source affirme qu’un drone a ouvert le feu sur différentes zones de la localité d’Al Shouka, ôtant la vie à plusieurs innocents.

Par ailleurs, deux Palestiniens ont été tués par balles à Nousseirat, au centre de la bande de Ghaza, après que les forces d’occupation aient lancé des tirs sur un groupe de citoyens au niveau de la rue Al Rachid, qui longe le littoral.

L’agence Wafa rapporte également que deux morts et un nombre indéterminé de blessés sont à déplorer suite à un bombardement aérien qui a visé une zone d’habitation à Haï Al Shoujaîya, à l’est de la capitale de l’enclave. Simultanément, des engins d’artillerie ont pilonné le quartier de Cheikh Adjline à l’ouest de Ghaza-City.

Dès l’aube hier, qui marquait le 266e jour de la guerre contre Ghaza, l’aviation israélienne soutenue par des unités d’artillerie s’est acharnée contre des habitations civiles au centre de la bande de Ghaza, ainsi que des tentes abritant des déplacés à l’ouest de Rafah, tuant quatre civils, dont une fillette, selon l’agence Wafa.

D’un autre côté, les équipes de secours ont retiré trois corps ensevelis sous les décombres d’une maison bombardée appartenant à la famille Abou Qenaïs, à Deir El Balah. La Défense civile palestinienne précise de son côté qu’une de ses équipes a été attaquée jeudi soir par des raids israéliens dans le camp de Nousseirat.

«Trois de nos cadres sont tombés en martyrs et un certain nombre d’autres, travaillant au centre d’Al Bureij, ont été blessés, après avoir été directement pris pour cible par les avions de l’occupant israélien alors qu’ils effectuaient leur travail humanitaire», a indiqué la Défense civile dans un communiqué. 

OMS : «Plus de 10 000 Palestiniens nécessitent une évacuation médicale»

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) s'est félicitée de la première évacuation médicale de 21 enfants atteints de cancer de la bande de Ghaza depuis la fermeture du poste-frontière de Rafah le 7 mai, affirmant qu'il y a plus de 10 000 Palestiniens qui doivent être évacués pour recevoir des soins.

Lors d'une conférence de presse dans la ville suisse de Genève, le porte-parole de l'ONU, Tarik Jasarevic, a déclaré que «plus de 10 000 personnes ont besoin d'être évacuées pour recevoir les soins médicaux nécessaires en dehors de Ghaza». Il a expliqué que «6000 d'entre eux ont subi des traumatismes et plus de 2000 autres souffrent de maladies chroniques».

«Depuis la fermeture du terminal de Rafah, aucune opération d'évacuation médicale n'a eu lieu jusqu'à hier jeudi, où 21 enfants atteints de cancer ont été évacués», a détaillé Jasarevic. Et d'ajouter : «Nous devons rouvrir le passage de Rafah et tout autre passage frontalier pour faire sortir ces personnes, leurs vies peuvent être sauvées.»

 

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