Observateurs locaux et étrangers avaient constaté le 17 avril dernier comment l’arrestation du leader islamiste Rached Ghannouchi s’est déroulée dans le calme, sans la moindre contestation populaire. Pourtant, le jour de l’arrestation coïncidait avec la «Nuit du Destin», la veille du 27 Ramadhan, sacrée chez les musulmans.
Avant Ghannouchi, d’autres leaders opposés au président tunisien Kaïs Saïed avaient été arrêtés depuis février. Parmi eux, des leaders islamistes d’Ennahdha, des responsables du parti Républicain, d’Ettakattol et d’Ettayar, ainsi que des lobbyistes et des indépendants. Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre, a également été arrêtée il y a deux mois pour troubles devant le palais présidentiel de Carthage.
En somme, les représentants des principaux acteurs de l’ancienne Assemblée des représentants du peuple ont été mis derrière les barreaux. Depuis, seuls les sympathisants du Front de salut national et du Parti destourien libre (PDL) manifestent de temps à autre pour exprimer leur opposition aux choix du Président Saïed. Le Front du salut, dirigé par Ennahdha, faut-il le rappeler, ne mobilise pas beaucoup. Le PDL a, quant à lui, réuni un peu plus de 200 personnes à la Goulette, au nord de Tunis.
Mounir, un Tunisien Lamdda, la cinquantaine passée, bien habillé, assis sur la terrasse d’un café à une vingtaine de mètres d’une manifestation du Front de salut, le 10 décembre, explique son indifférence par la manque de mobilisation des bases des partis auxquels appartiennent les leaders politiques arrêtés. «Si les sympathisants de Ghannouchi, Bhiri, Chebbi et les autres ne s’intéressent plus à leur sort et ne viennent plus pour contester, comment voulez-vous que le peuple le fasse ?» explique-t-il. Pour lui, «c’est un non-événement !»
Mounir fera remarquer que «même les correspondants de la presse étrangère ne viennent plus couvrir les protestations». «Autrefois, ils étaient très preneurs de pareilles manifestations. Maintenant, leurs rédactions ont compris que cela ne vaut plus la peine», indique-t-il. Les remarques de Mounir sont appuyées par les propos de sa compagne, autour de la même table : «Les sympathisants n’ont pas contesté les arrestations parce qu’ils ont plein de reproches à leurs leaders ; ils se seraient remplis les poches en laissant le peuple affamé, selon les échos provenant des proches des islamistes.
Pour le moment, tout le monde mise sur Saïed, propre et intègre», dit-elle. La vie politique en Tunisie s’est métamorphosée après la chute de Ben Ali, quand le nombre de partis politiques avait dépassé les 220. Les listes concurrentes pour les élections législatives ont dépassé 80 pour la même circonscription. Il faut dire que c’est rémunérateur. «Il y avait aussi l’appât de l’indemnité accordée aux listes concurrentes», remarque Adel Chaouch, ex-député du parti Ettajdid du temps de Ben Ali.
«Avec la disparition de l’indemnité, on n’a pas vu d’affiches électorales lors des élections de 2019», ajoute l’ancien député, qui considère que «les partis politiques doivent normalement aspirer à l’argent public en fonction des voix qu’ils ont réussi à obtenir lors de leur passage devant les électeurs. L’argent, c’est le nerf de la vie politique, et c’est l’Etat qui le fournit si on est contre l’argent sale».
Toutefois, il est clair maintenant que la majorité des partis politiques n’est plus active, à l’image de leurs réactions négatives par rapport aux élections locales.
Même le parti Chaâb, pourtant en harmonie avec le Président Saïed, a laissé libre cours à ses membres pour participer, mais pas au nom du parti. Le secrétaire général du Parti Chaâb, Zouhair Maghzaoui, s’est déclaré «compréhensif» par rapport à cette réaction allergique aux partis politiques après le coup de force du 25 juillet 2021 du Président Saïed. «Il est clair que la rue considère les partis politiques comme responsables des déboires de la Tunisie durant la décennie écoulée, notamment les partis qui étaient au pouvoir.
Toutefois, cela s’est répercuté sur tous les partis et c’est ce qui explique la léthargie actuelle», selon Maghzaoui, qui n’écarte pas la possibilité de se présenter à la prochaine élection présidentielle, pour «animer un peu la scène politique». Un constat traduisant l’absence d’enjeux et de débat de programmes, constituant l’essence d’une vie politique plurielle. Les Tunisiens se cherchent visiblement une nouvelle voie.
Tunis
De notre correspondant Mourad Sellami
Près de 70 000 émigrants clandestins interceptés depuis le début de l’année
Depuis le début de l’année en cours, les unités de la garde-côtière tunisienne ont pu déjouer de nombreuses tentatives de migration irrégulière, 69 000 émigrants clandestins ayant été arrêtés avant de pouvoir atteindre les côtes italiennes, a indiqué le porte-parole officiel de la Garde nationale, Houcemeddine Jbabli. Lors de leurs tentatives, 80% des émigrants illégaux ont été secourus, dont 55% ont la nationalité de pays d’Afrique subsaharienne, a précisé le porte-parole. Plus de 1600 organisateurs de périples maritimes illégaux ont également été arrêtés depuis janvier 2023, a affirmé M. Jbabli. Au cours des dernières années, les tentatives d’émigration irrégulière envers l’Italie, depuis la côte tunisienne, se sont sensiblement multipliées, puisque les données officielles italiennes montraient une augmentation du nombre d’immigrants clandestins qui ont afflué vers l’Italie au cours de l’année 2023.