Emmanuel Macron a donc choisi le 25e anniversaire de l’intronisation de Mohammed VI à la tête de la monarchie marocaine, ce 30 juillet, pour lui faire le présent de reconnaître son plan d’autonomie pour le Sahara occidental» comme constituant désormais «la seule base pour aboutir à une solution politique juste, durable et négociée».
Dans une lettre adressée au souverain marocain, le président français assène que « le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine».
Paris, qui a du bien prendre note de la forte désapprobation d’Alger, exprimée il y a une semaine par la voix de son ministre des Affaires étrangères, a donc fini par concrétiser, plus vite que prévu, un processus dont les termes étaient devenus moins ambigus depuis la fin de l’hiver dernier.
Le 26 février 2024, Pascal Séjourné, nommé un mois auparavant au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français, avait consacré sa première visite à l’étranger à Rabat, avec mandat de l’Elysée de dégeler des relations qui avaient connu de nombreux épisodes de froids les dernières années.
A commencer par celui provoqué par l’énorme scandale du logiciel espion Pegasus, de fabrication israélienne, et que la monarchie avait, entre autres, utilisé pour pirater les téléphones personnels des responsables français, dont Emmanuel Macron himself. Juillet 2021, les révélations faites par le consortium de médias Forbiden stories, associé à l’occasion avec Amnesty International, avaient fait états de près de 50 000 lignes téléphoniques ciblées dans le monde, dont 10 000 espionnés sur demande des services de renseignement du makhzen dans la région de l’Afrique du Nord et en Europe, notamment. Le gouvernement français, dont plus de 14 ministres ont vu leur smartphones hackés, a pris la mesure de l’acte d’hostilité, mais s’est abstenu de porter la crispation publiquement, «en attendant des preuves irréfutables sur l’implication marocaine», a-t-on justifié.
Dans le secret des bureaux de l’Elysée pourtant, le président français et ses proches collaborateurs ne cachaient pas leur courroux vis-à-vis du monarque marocain, selon plusieurs échos. Deux mois après, en septembre 2021, Paris annonce une réduction de moitié du nombre des visas accordés aux Marocains. Une mesure qui déplaît fortement à Rabat, d’autant que le président français, déjà accusé de nourrir un fort tropisme algérien, fait une visite très remarquée à Alger dans l’année qui suit. Le front d’hostilité est, quelques mois plus tard, nourri par une nouvelle mise en accusation de la monarchie et des ses pratiques liberticides, cette fois par l’entremise du Parlement européen.
«Une maîtresse… qu’on doit défendre»
L’institution vote une résolution dénonçant les atteintes à la liberté de la presse au Maroc, et le vil procédé des allégations d’agression sexuelles auquel recourt son gouvernement pour condamner les journalistes. Les eurodéputés français, portant la bannière du mouvement politique créée par le président français, sont du point de vue de Rabat, les principaux instigateurs de la campagne à Bruxelles. Emmanuel Macron le paie de salves virulentes et régulières dans la presse marocaine. A l’automne 2023, la fin de non- recevoir opposée à l’offre de l’aide française, après le séisme dévastateur qui a frappé une région montagneuse et déshéritée du Maroc, achève de souligner le froid dans lequel s’étaient figées les relations entre les deux pays. Mais depuis, la tendance est au rabibochage et des enjeux stratégiques ou tactiques remodelés, pas suffisamment clairs pour l’heure, semble pousser le président français à satisfaire explicitement des attentes pressantes du Maroc sur la question du Sahara occidental.
Evoquant le dossier, lors de sa visite en février dernier, le chef de la diplomatie française avait insisté sur l’impératif d’«avancer». Le ton de ce qui allait suivre, par le haut truchement de l’Elysée, avait été donné à travers l’annonce d’investissements en territoire sahraouis occupés, dans le domaine des énergies renouvelables et des ressources halieutiques notamment. Difficile donc de voir en la reformulation de la position française un quelconque lien avec le contexte politique interne, avec un Macron affaibli et une recomposition assez chaotique de la carte politique.
Paris et Rabat sont liés par une historique et toute particulière relation d’intérêt, que certes justifient la proximité stratégique, les enjeux économiques et les échanges humains. Mais la métaphore prêtée à un ancien diplomate français en poste à l’ONU, résume le mieux la particularité du lien : «Le Maroc est une maîtresse avec laquelle on dort toutes les nuits, dont on n’est pas particulièrement amoureux mais qu’on doit défendre.»
Des voix laissent entendre que les spectaculaires revers français, subis ces dernières années dans la région du Sahel, inspirent de nouveaux caps alternatifs. «Les puissances coloniales, anciennes et nouvelles, savent se reconnaître, se comprendre et se rendre des mains secourables», avait noté le ministère des Affaires étrangères jeudi dernier.