Les grandes lignes d’un plan portant unification progressive du double marché des changes en Algérie

21/12/2024 mis à jour: 03:39
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Le double marché des changes en Algérie constitue un frein majeur à la stabilité macroéconomique et à la croissance, soulignant ainsi l’importance de mettre en place un processus d’unification progressive.

 

Le marché parallèle des devises en Algérie est le résultat de la dépendance du pays aux exportations de pétrole et des politiques restrictives qui limitent l’accès des citoyens et entreprises aux devises étrangères. Ces dernières contraignent les ménages et entreprises à se tourner vers le marché informel pour importer des biens essentiels, alimentant ainsi l’inflation, augmentant le coût de la vie, réduisant le pouvoir d’achat et creusant davantage l’écart entre les taux de change officiel et parallèle (prime actuelle exceptionnelle de 80%). Cette dernière, résultat de décisions économiques mal préparées, témoigne de l’importance de ce marché parallèle et du manque de confiance dans la monnaie nationale et des politiques économiques en place. 

Les mesures prises pour renforcer les contrôles et améliorer l’accès aux devises étrangères sont insuffisantes face à la complexité du double marché des changes et à ses effets négatifs sur la stabilité macroéconomique. Une unification progressive des marchés des changes (l’article 145 de la loi monétaire et bancaire de juin 2023 prévoit un taux de change unique), avec un taux de change plus flexible, pourrait donc réduire la vulnérabilité aux chocs extérieurs, préserver les réserves internationales et soutenir la compétitivité. Cependant, une telle réforme est complexe car elle implique également une véritable transformation de l’économie de rente et de spéculation. 

Cette réunification des marchés des changes comporte de nombreux risques, notamment une hausse de l’inflation, une détérioration de la balance commerciale, une fuite de capitaux et une résistance des bénéficiaires de l’actuel taux de change irréaliste. Il est donc crucial d’adopter un véritable plan de réunification des marchés des changes dans le contexte d’une stratégie plus large de refondation de l’économie. Cette stratégie comprend diverses mesures macroéconomiques, structurelles et institutionnelles pour appuyer et réussir la transition vers un taux de change unique et flexible dans le contexte d’une économie diversifiée et inclusive. Discutons de ces points.


* Les contraintes, défis et dommages structurels liés au double marché des changes. Notons : 
Un marché officiel des devises rigide : dominé par la Banque d’Algérie qui fixe la valeur du dinar algérien et reste la principale source d’offre de devises. Bien que les banques et les établissements financiers participent aux opérations de change, le marché reste rigide, avec une faible interaction entre l’offre et la demande. 
 

* Un marché informel des devises étrangères dont l’expansion a été favorisée au fil des ans : par des restrictions (contrôles de change dans les années 1960 et 1970) et des chocs dont le choc pétrolier de 1986 et la crise des changes de 1993. Les réformes structurelles (1995-1998) et la forte hausse des prix du pétrole dès 2000 ont contribué à assouplir les contraintes du marché et réduire l’écart entre les taux de change officiel et parallèle. De nouveau, le marché informel a été relancé par le choc pétrolier de 2014 et de nouvelles restrictions avant de se retrouver à l’arrêt au cours de la pandémie. La réouverture de l’économie et des frontières à la mi-2021, combinée à des décisions économiques mal conçues, des politiques macroéconomiques incohérentes et une gouvernance inefficace sont autant de facteurs qui ont de nouveau insufflé une forte dynamique au marché parallèle.


* Des leviers de gestion monétaire et de change inopérants : (1) un cadre de politique monétaire contraint par les faiblesses de la gestion de la liquidité et du canal de transmission du taux directeur sur les banques commerciales ainsi que le manque de profondeur financière. Ces trois facteurs bloquent la conduite d’une politique monétaire basée sur les prix et l’ancrage des anticipations d’inflation ; (2) Un régime de change rigide au niveau de la détermination de la valeur externe du dinar algérien, des objectifs manquant de clarté (compétitivité ou inflation) et des outils importants (convertibilité du dinar ainsi que des bureaux de change) gelés en dépit d’engagements internationaux en place depuis septembre 1997 ; et (3) une dominance budgétaire. 


* Un contexte économique contraignant : marqué par une diversification en panne, une balance des paiements structurellement vulnérable, une ouverture économique très limitée, un secteur financier réprimé et découplé du système financier international et un taux de change surévalué. 
 

* Des dommages structurels liés au double marché des changes : citons l’inflation, le recul de la compétitivité, la baisse du ratio recettes fiscales/PIB, un frein au développement du secteur privé et aux investissements directs étrangers, une forte thésaurisation des devises, la faiblesse de la croissance économique et l’aggravation du chômage. Par ailleurs, le marché parallèle favorise la corruption et recycle les produits de l’évasion fiscale et de la fuite des capitaux. A contrario, de nombreux agents économiques disposent d’un accès à des devises à un taux subventionné (financé par l’impôt). 


Les grandes lignes d’un plan d’unification progressive du double marché des changes. La réussite d’une transition vers un taux de change unique et flexible implique une approche progressive pour : (1) mettre en place un environnement macroéconomique favorable à cette réforme ; (2) procéder à des ajustements des différents taux de change au fil du temps pour permettre aux marchés de s’adapter sans provoquer de chocs. 

Ceci passe par l’établissement d’une fourchette de taux de change qui se resserrera progressivement, dans un cadre de faible inflation stable, soutenue par une politique monétaire alternative et une réduction de la domination fiscale ; et (3) conduire une transformation profonde de l’économie algérienne devant fonctionner selon les forces du marché. Ces trois axes devront être intégrées dans une stratégie globale à moyen terme (horizon 2030 au plus tard) qui doit s’articuler autour des éléments suivants :   


* L’expression d’une volonté politique claire et forte de mettre un terme au double marché sur le moyen terme, ce qui implique des décisions difficiles, y compris la dévaluation du dinar de façon progressive et une banque centrale conduisant de façon indépendante la politique de change et la politique monétaire. 
 

* La mise en place d’une politique de communication transparente et proactive pour expliquer aux acteurs économiques les changements et les avantages macroéconomiques d’un système unifié et l’importance d’une transition en douceur. En même temps, une telle communication permettra de renforcer la confiance du public, réduire la spéculation et assurer une transition réussie. Pour sa part, la Banque centrale devra communiquer à travers diverses plateformes avec un public aussi large que possible sur les changements de politique. 


* L’arrêt du déclin du dinar algérien et sa stabilisation : implique un ajustement progressif de la politique monétaire afin d’aligner les taux de change officiel et parallèle ; un renforcement des réserves de change pour soutenir le dinar ; et un renforcement de la réglementation sur les transactions de devises pour limiter la spéculation (des mesures déjà mises en place et à développer). En parallèle, une amélioration des chaînes d’approvisionnement permettrait d’assurer la disponibilité des biens essentiels et réduire les pressions sur le marché parallèle ; et le développement d’une infrastructure technologique favorisera la transparence des opérations de change et limiter le recours au marché parallèle.


* La création d’une capacité institutionnelle pour se doter des outils indispensables à une politique monétaire crédible : ceci permettra de renforcer une gestion efficace de la liquidité et créer des compétences en matière de modélisation et de prévision. Combinés à un système financier stable, ces outils sont de nature à favoriser la mise en œuvre et la transmission de la politique monétaire, soutenir le passage à un ancrage nominal alternatif et renforcer la crédibilité de l’objectif du maintien d’une faible inflation.  


* L’établissement d’un cadre de politique monétaire crédible et transparent. Indispensable pour une transition réussie vers un taux de change unique et plus flexible. Le ciblage de l’inflation, avec son accent sur la stabilité des prix et son objectif à moyen terme, est l’ancrage le plus adapté pour assurer cette transition. 

De plus, une politique monétaire efficace (guidée par les sept principes proposés par le FMI dans une note de 2015) permettra une gestion prudente des taux d’intérêt, un suivi constant des indicateurs macroéconomiques et une réactivité face aux chocs économiques internes et externes. En disposant d’une telle politique monétaire et en planifiant soigneusement chaque étape de la transition, l’Algérie pourra mieux contrôler l’inflation, atténuer la volatilité économique, favoriser une croissance saine et renforcer la résilience de l’économie. 


* Mesures-clés en appui de l’unification du taux de change et de son calibrage au cours de la transition. Elles incluent notamment : (1) une dévaluation de la monnaie (une étape-clé à haut risque), c’est-à-dire un ajustement de la valeur nominale de la monnaie afin de réaligner les taux de change avec les fondamentaux du marché, une condition pour une transition plus fluide ; et (2) un ajustement des taux d’intérêt pour influencer les flux de capitaux et les niveaux d’investissement domestique, mesure devant contribuer à stabiliser l’économie durant cette période de transition. 


* Une politique budgétaire viable pour faciliter le succès de la transition vers une plus grande flexibilité du taux de change. Une telle politique doit contenir la demande publique et les importations pour contribuer à un équilibre externe, réduire les pressions potentielles sur le marché des changes et permettre une transition plus fluide vers une plus grande flexibilité du taux de change. Cette discipline budgétaire (budget en équilibre ou faible déficit soutenable accompagné de règles budgétaires) est cruciale également pour créer des marges de manœuvre permettant d’augmenter les dépenses sociales et évoluer vers un taux de change plus flexible.
 

* Un compte courant équilibré, des réserves de change adéquates et l’absence de désalignement significatif du taux de change peuvent favoriser une transition ordonnée. Ces trois facteurs ouvrent la voie à : 

(1) une position du compte courant qui peut être soutenue par des flux de capitaux à des conditions compatibles avec les perspectives de croissance de l’économie sans recourir à des restrictions sur les échanges et les paiements, de sorte que le niveau des réserves internationales soit adéquat et relativement stable ; et (2) la réduction de pressions en faveur d’une dépréciation du taux de change et la promotion d’un système de vente de devises à des prix concurrentiels (favorisant l’interaction de forces du marché). Un atout en faveur d’un taux de change unique et flexible. 


* Des politiques structurelles et institutionnelles pour créer un écosystème économique appuyant un taux de change unique et flexible. Au programme : (1) un processus de diversification économique pour réduire la dépendance au pétrole, assurer la stabilité macroéconomique (contrôle de l’inflation et stabilisation du dinar) ; (2) le renforcement de la gouvernance économique (avec un renforcement de la transparence et de la lutte contre la corruption) ; (3) l’ouverture commerciale (avec la réduction des barrières tarifaires et l’intégration aux chaînes de valeur internationales pour favoriser le commerce international et attirer les investissements directs étrangers) ; et (4) l’intégration au système financier international pour mobiliser les ressources nécessaires à la transformation de l’économie algérienne. 

Du côté des réformes institutionnelles, la mise en place d’un taux de change unique implique un renforcement des capacités des régulateurs en faveur d’une surveillance financière et des mécanismes de suivi et d’évaluation pour ajuster les politiques en fonction des retours d’expérience.


* Anticiper et atténuer les perturbations économiques potentielles pendant la transition. Cela peut impliquer de gérer : (1) l’inflation, car un taux de change unifié conduit souvent à des ajustements de prix qui peuvent provoquer de l’inflation. 
 

De ce fait, la mise en œuvre de politiques monétaires axées sur le contrôle de l’inflation peut aider à stabiliser les prix ; (2) un creusement du déficit de la balance commerciale (chute des exportations suite à un ajustement significatif du taux de change) ; (3) des pressions sur les réserves de change si les agents économiques qui anticipent une dépréciation se ruent sur les banques pour convertir en devises leurs avoirs en monnaie locale ; (4) la prévention d’une fuite des capitaux à travers un renforcement temporaire des contrôles des capitaux jusqu’au rétablissement de la confiance du marché ; et (5) l’atténuation des effets négatifs des fluctuations de prix associées à l’unification de la monnaie par la mise en place de subventions ou de programmes sociaux adéquats.     

Par Abderahmi Bessaha  , Expert international
      

 

 

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