Les côtes italiennes face aux flux migratoires : Lampedusa au bord de la crise de nerfs

18/09/2023 mis à jour: 00:36
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Photo : D. R.

Entre 8500 et 10 000 migrants clandestins, selon les sources, ont débarqué sur l’île italienne de Lampedusa entre lundi et mercredi derniers en provenance des côtes nord-africaines. Un «record absolu» qui fait paniquer le gouvernement italien alors que la solidarité européenne tarde à se manifester.

Semaine mouvementée à Lampedusa. En l’espace de trois jours (de lundi à mercredi derniers) l’île sicilienne, depuis des années déjà ville symbole de la tension migratoire, a vu débarquer, à bord d’une flotte de misère, entre 8500 et de 10 000 migrants clandestins en provenance des côtes nord-africaines, tunisiennes notamment.

Soit un peu plus que le nombre de ses propres habitants, estimé à un peu plus de 6500 âmes. De quoi faire craquer les établissements d’accueil spécialisés, et soumettre les autorités sur place à une intenable pression. L’état d’urgence locale a été décrété pour tenter de garder sous contrôle la situation.

Les reporters sur place ont décrit une sorte de chaos semblable au contexte de mouvements humains fuyant des terrains de guerre. Il faudra remonter jusqu’à 2016 pour trouver des points de comparaison : la guerre en Syrie à l’époque faisait parvenir des flux importants et tendus de réfugiés dans la région.

Des files interminables de migrants, faisant l’objet de transferts vers d’autres lieux d’accueil en Sicile depuis la fin de la semaine dernière, attendent longuement d’être transportés, alors que des contingents de nouveaux arrivants continuaient à débarquer au port de la petite île. Des dizaines ont dû également passer leurs nuits sur les trottoirs, alors que le réseau humanitaire, épuisé, tentait d’assurer le minimum sur fond de pression accrue sur les capacités logistiques locales.

Une tension était par ailleurs perceptible, selon les mêmes récits, mais dans l’ensemble aucun incident n’a été signalé. L’incident, c’est hier qu’il a failli se produire, à l’arrivée de la délégation de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, et de la cheffe du gouvernement italien, Giorgia Meloni. Mécontents du nouveau pic de tension subie par l’île depuis des jours, des habitants s’étaient rassemblés à l’aéroport et ont tenté de bloquer le cortège officiel de la délégation.

«Plan d’urgence»

Meloni s’est adressée à la foule pour l’assurer de l’entière mobilisation de son gouvernement face à la crise, et de sa solitude aussi face à la démission des partenaires européens.

Lors de la conférence de presse tenue à l’issue de cette visite express sur l’île, Ursula Von der Leyen, qui fait le tandem avec Meloni depuis des mois pour rappeler à l’Europe son devoir de responsabilité, a de nouveau affirmé que la crise migratoire actuelle avait plus que jamais besoin d’une «réponse européenne», et que les autres pays du vieux continent n’avaient plus le droit de se dérober à l’obligation d’accueillir et de prendre en charge une partie des vagues de migrants qui déferlent régulièrement sur l’Italie.

La présidente de la Commission européenne ne s’est pas déplacée à Lampedusa les mains vides : un «plan d’urgence» pour aider l’Italie a été présenté avec notamment la proposition de formules légales d’entrée des candidats éligibles à l’asile sur l’espace européen. Le plan prévoit également un appui à l’appareil administratif italien aujourd’hui au bord du bug sous la pression des nouveaux arrivants.

Des mesures sécuritaires destinées à verrouiller davantage les voies migratoires en Méditerranée sont par ailleurs proposées avec cette possibilité d’«étendre les missions navales» de l’Agence européenne des gardes-côtes, Frontex, dans le couloir central du bassin. «La Méditerranée centrale», soit la voie partant des côtes tunisienne et libyenne, reste celle où se mènent l’essentiel des tentatives non régulières de rejoindre les rives européennes.

L’action des patrouilles de l’agence, pourtant continuellement renforcées, n’a pas pu jusqu’ici endiguer le flux migratoire ni porter des coups décisifs aux réseaux de passeurs clandestins dont le sinistre commerce n’a jamais autant prospéré. Les récents rapports attestent même que les réseaux se sont densifiés, entraînant des baisses dans les tarifs appliqués aux traversées clandestines, ce qui ne fait qu’accroître la demande.

Mme Meloni, quant à elle, est restée sur le registre de l’alerte permanente en lançant que l’avenir de l’Europe se jouait à Lampedusa. En décodé, si les barrages sécuritaires et administratifs de l’île continuaient à être débordés par les flux migratoires en provenance des côtes nord-africaines (et dont la composante humaine provient majoritairement du Sahel), c’est toute l’Europe qui en subira les conséquences.

L’Allemagne échaudée

Selon le ministère italien de l’Intérieur, plus de 127 000 migrants sont arrivés sur les rives italiennes depuis le début de l’année, soit le double comparativement au nombre de débarqués l’année dernière à la même période. On n’est pas très loin du record de 180 000 demandeurs d’accueil enregistrés en 2016, mais l’épisode avait ceci d’exceptionnel qu’il intervenait dans le contexte de guerre civile en Syrie, et qu’il n’était pas fait pour durer.

A l’époque, le gouvernement allemand d’Angela Merkel avait pris la responsabilité «humanitaire» de lancer un programme spécial d’accueil de «demandeurs d’asile» qui a culminé en 2016, avec l’enregistrement de 745 000 postulants à l’installation. Une expérience que ne compte plus revivre le pays, qui vient officiellement de signifier son opposition à recevoir des migrants pour soulager le calvaire italien.

Les Français semblent pour l’heure plus réceptifs, Emmanuel Macron a eu un entretien téléphonique, avant-hier samedi, avec la cheffe de gouvernement italien pour, selon l’Elysée, la rassurer quant à la disponibilité de la France et sa solidarité avec l’Italie. Les deux dirigeants ont ainsi évoqué «l’action conjointe qui pourrait être menée en Méditerranée centrale» et «la prévention des départs avec les pays source et de transit», indique la présidence française.

Où en est l’accord avec la Tunisie ?

En juillet dernier, un «partenariat stratégique» portant sur un «traitement intégré» de la crise migratoire a été signé à Tunis par la présidente de la Commission européenne et Kaïs Saïed, le président tunisien. L’accord est surtout porté par un apport budgétaire de 150 millions d’euros déboursés par l’UE pour soutenir les dépenses de la Tunisie dans le cadre de la lutte contre le départ de migrants à partir de ses côtes.

La somme est aussi un véritable bol d’oxygène pour une trésorerie locale malmenée par la raréfaction des ressources financières au moment où se fait désirer un crédit négocié avec le FMI. Près de deux mois après, les effets de l’accord sur le terrain se font attendre, comme l’atteste la situation actuelle à Lampedusa.

Des échos repris par les médias rapportent que les détails techniques de l’accord sont toujours en cours de négociations. L’administration de Kaïs Saïed, même acculée par la crise économique et sociale du pays, demeure manifestement intraitable quand il s’agit de négocier des aspects de souveraineté.

On ne sait pas non plus où en est la mise en œuvre des résolutions de la conférence internationale sur la migration et le développement, tenue à Rome le 23 juillet dernier. Un fonds commun destiné à financer des opérations policières de contrôle aux frontières et des programmes de développement dans les pays de départ des migrants clandestins avait été institué dans l’élan de l’accord européen avec la Tunisie, qui a vu d’ailleurs les Emirats arabes unis, invités à l’occasion, déposer sur la table, et sans se faire prier, 100 millions d’euros de contribution.

40 harraga disparus et 140 secourus : L’hécatombe continue dans la Mer méditerranée

Selon le Centre international pour l’identification des migrants disparus (CIPIMD), organisation espagnole basée à Granada, en moins d’un mois, 40 harraga algériens sont portés disparus depuis le 25 août dernier et 140 autres ont été secourus, depuis début septembre. Les 40 harraga, portés disparus, étaient sortis des côtes d’Oran, de Mostaganem et de Corso, fin août, dans 3 embarcations différentes de type zodiaque et de fibre avec des moteurs d’une puissance de 40 et 60 chevaux.

La première transportait 11 personnes dont un mineur, la deuxième également 11 avec une fille à bord et la troisième 16 personnes. La même source indique que le temps était très mauvais. Le vent, la pluie et les vagues (5 à 6 mètres de hauteur) étaient si forts que même certains bateaux du port de Palma de Majorque s’étaient détachés et écrasés.

Le corps d’une personne faisant partie de ces trois pateras a été repêché il y a 48 heures. Par ailleurs, depuis début septembre, la garde civile d’Almeria, de Cabrera, de Formentera, dans les îles Baléares et Salvamento maritime de Palma de Mayorque ont réussi à secourir 140 migrants, 5 femmes et 4 mineurs de nationalité algérienne qui étaient à bord de 10 pateras. Ils sont actuellement en bon santé.

Notons que l’embarcation ayant quitté la semaine dernière Dellys, avec à son bord 13 harraga, a pu être sauvée miraculeusement à 30 km de Palma de Mayorque, malgré la forte tempête. Malheureusement, l’odyssée a enregistré un décès, celui d’un homme qui aurait perdu la vie à cause de sa maladie, selon la même source. C. Berriah

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