Les avatars d’un footballeur pas comme les autres…

03/02/2022 mis à jour: 05:07
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Photo : D. R.

Voilà donc un nouveau chapitre qui s’écrit sur les côtes bretonnes pour ce virtuose du ballon rond pour qui, détrompez-vous, tout n’a pas été facile, et qui a connu une descente aux enfers qui aurait pu l’éloigner définitivement des terrains, comme cela s’est produit pour de nombreux cracks aux pieds d’or.

Ce garçon a du mérite. Il a connu des périodes difficiles et il a toujours rebondi.» Ces mots de Anthar Yahia, l’ancien héros d’Oum Dourman tirés d’une interview accordée au journal breton Le Télégramme, résument à merveille Youcef Belaïli. Et ce qui arrive depuis quelques jours à ce jeune homme, dont le transfert à Brest continue de faire le buzz, est emblématique de son parcours chahuté. Avec lui, ça a toujours été «tiha w’nodha», comme dit la formule populaire.

Oui, des hauts et des bas. Mais à une vitesse folle. Comme au manège. Les montagnes russes… Et c’est tout lui, ça. Cette trajectoire heurtée. En dents de scie. Cette faculté qu’il a de dribbler le destin, se jouer des bookmakers, déjouer les pronostics, ridiculiser les analystes de plateau. Et depuis sa séparation à l’amiable avec le Qatar SC en décembre dernier, en pleine Coupe arabe, d’aucuns prédisaient un transfert royal pour l’enfant d’Eckmühl.

Il faut dire qu’il avait éclaboussé le tournoi par son talent. Une prestation de haut vol couronnée par un coup de génie avec ce but venu d’ailleurs, contre le Maroc, en quart de finale. Seulement voilà. Les jours et les semaines filaient et aucune offre à l’horizon. L’euphorie retombait en même temps que l’espoir de voir la coqueluche des Algériens signer chez un cador européen, l’occasion de terminer sa carrière en apothéose.

Pour ne rien arranger, notre participation à la dernière CAN a été un flop. Oublié le but des 40 mètres qui a illuminé le ciel de Doha, effacés tous les exploits égrenés match après match. Même les quelques clubs qu’on disait intéressés comme Montpellier, ce n’était finalement que des rumeurs.

Au mieux, on a juste tâté le terrain. Et puis on a vu des footeux nous expliquer que Belaïli a pris du poids, qu’il est trop juste physiquement, que le championnat du Qatar où il a évolué n’est pas compétitif, qu’il manquait de rythme, qu’il était trop dilettante, trop «artiste» dans sa tête, pas très appliqué, indiscipliné, nonchalant…

L’effet Belaïli

Et voilà qu’aux toutes dernières heures du mercato d’hiver, le 31 janvier, Brest signe l’international algérien. Une destination inespérée qui offre l’opportunité à Youcef Belaïli de rebondir en Ligue 1 au lieu de gaspiller son talent dans des championnats sous-cotés. Ce recrutement a été favorisé par le départ du milieu brestois Romain Faivre à l’Olympique Lyonnais. Après la brève expérience avec Angers en 2017 qui a tourné au fiasco, la star a six mois pour essayer de convaincre de nouveau et conquérir le public français.

S’il est évidemment trop tôt pour juger l’impact de Youcef sur le Stade Brestois, 13e au classement de la Ligue 1 Uber Eats, on peut d’emblée noter que question marketing, le club breton commence déjà à engranger les dividendes de son placement, et le retour sur investissement semble garanti tant l’effet Belaïli a été immédiat en termes de communication.

En témoigne cette explosion du nombre d’abonnés dont tout le monde parle, en espérant voir cet engouement spectaculaire observé sur les réseaux sociaux se traduire par des acquisitions massives du maillot floqué du numéro 24 dont a hérité l’ex-sociétaire de l’USMA. Pour ceux qui n’ont pas suivi, après la signature de notre compatriote, le Stade Brestois a posté sur son compte Twitter : «1 million ! La barre symbolique du million d’abonnés a été atteinte sur les réseaux sociaux du @SB29 .

Merci à tous et à Youcef !»  L’Equipe titre : «Brest explose sur les réseaux sociaux avec l’arrivée de Youcef Belaïli». L’article du quotidien sportif reprenait une dépêche de l’AFP consacrée justement au phénomène Belaïli au lendemain de sa signature en Bretagne. «Lundi matin, avant les premières rumeurs sur des contacts entre Brest et l’international algérien, le club comptait environ 440 000 abonnés sur ses différents comptes sur les réseaux sociaux (144 000 sur Facebook, 126 000 sur TikTok, 91 000 sur Twitter et 79 000 sur Instagram). Après l’annonce vers 22h00 de l’engagement du joueur, le total a dépassé le million», détaille l’AFP.

Le porte-parole du club se frotte les mains : «On a été vraiment surpris de l’ampleur. Sur les comptes, c’était comme à Las Vegas, ça tournait tout seul», a-t-il déclaré à l’agence de presse française. Hier, à la mi-journée, le club affichait plus de 900 000 abonnés sur sa page Facebook.

Ce mercredi, le community manager du Stade Brestois a posté vers 12h30 une photo de Youcef à l’entraînement avec cette légende : «Un nouveau visage sur les terrains. #TeamPirates ». A 13h35, la photo est likée par 72 000 personnes. Cinq minutes plus tard, elle engrange 87 000 like, et à 14h30, ça dépasse les 121 000 « j’aime »  et 11 000 commentaires.

«Quand joue Brest ?»

Nesrine, une talentueuse artiste plasticienne fan de Belaïli, basée à Alger, poste avec un humour bienveillant : «Stade Brestois 29, profite bien du million d’abonnés. Dans six mois, retour aux 150 k d’avant (150 000, ndlr)».

La même fan se fendait de ce message juste après la signature de son idole : «Bon, we9tech tel3ab Brest ?» (Quand joue Brest ?). C’est aussi ça l’effet Belaïli. Un déferlement d’humour et de bonne humeur sur les réseaux, un peu à l’image du tempérament du prodigieux milieu gauche connu pour son côté bon vivant, fêtard, joyeux.

Sur la Toile, le Stade Brestois profite à fond de l’aubaine, multipliant les photos et les vidéos immortalisant les premiers pas de sa nouvelle recrue. Et pour chaque post, les commentaires des supporters DZ ne se font pas attendre. Beaucoup de ces commentaires sont déclinés en langue arabe.

Cela n’a pas échappé à cet utilisateur qui écrit : «Bonjour les Brestois. Pour ceux qui désirent apprendre l’arabe, je donne des cours en session accélérée. 1 mois pour comprendre les commentaires à un prix imbattable.» Le comédien Idir Benaibouche s’est amusé, lui, à glisser simplement ce message codé : «Stade brestois 31».

Il a subtilement remplacé, vous l’aurez compris, le «29» qui accompagne le nom du club sur les réseaux, et qui désigne le numéro du département, le Finistère, par le numéro «31» qui renvoie évidemment à la ville dlOran dont est originaire Belaïli. Redouane, un autre facebooker qui a réagi à une publication de «#TeamPirates» relève : «On a colonisé la page ma foi». On voit également de drôles de requêtes adressées d’ores et déjà à la direction de la formation bretonne, exigeant la titularisation de leur icône.

«Nous le voulons titulaire contre Rennes sur le prochain match le 6 février 2022 à 5h00 PM. On vous suit», réclame un tiffosi. Un autre prévient : «S’il ne joue pas ce dimanche, attendez-vous à une forte vague de signal (signalement auprès de facebook, ndlr) sur votre page».

Courbis : «Un très bon coup !»

Commentant cet engouement, le journaliste sportif Nabil Djellit tweete : «L’arrivée de Belaïli à Brest c’est comme Neymar au PSG en 2017». Roland Courbis, ancien entraîneur de l’OM et de l’USMA et consultant à RMC, a estimé pour sa part que le Stade Brestois a réalisé la meilleure opération de ce mercato hivernal avec cette recrue surprise : «Belaili, c’est un très bon coup. Pour moi, c’est l’un des trois meilleurs coups de ce mercato hivernal. Sur le rapport qualité/prix, c’est même sans doute le meilleur» dit-il avec enthousiasme, avant d’ajouter : « C’est un joueur méconnu du grand public par rapport à son talent.

Mais il n’a pas échappé à Djamel Belmadi, qui le met systématiquement sur le terrain en sélection. Je pense qu’il peut être la belle surprise de la fin de saison. Il faut être prudent car avec toutes ces blessures. Mais dans le contexte brestois, avec un Michel Der Zakarian que je connais bien et qui peut tout à fait lui correspondre, la bonne ambiance dans le groupe, etc.
il peut vite devenir la nouvelle coqueluche du public brestois. Et même une attraction pour la Ligue 1». Anthar Yahia, dans son interview au Télégramme, ne tarit pas d’éloges sur son ancien coéquipier à l’Espérance de Tunis : «Youcef est très très connu en Afrique et au Moyen-Orient», le complimente-t-il.

Et d’étaler ses qualités en soulignant : «Il a un parcours atypique, mais il a des qualités pour être performant en Ligue 1. C’est un championnat physique et athlétique. Il dispose de ces qualités-là : il est puissant, rapide, explosif. Avec son côté créatif en plus, il peut aider Brest et se révéler au public français et européen». Il poursuit : «Il est énormément aimé en Algérie ! C’est un garçon qui a un côté affectif. Les gens l’ont senti. Et ses prestations aussi l’ont rendu populaire : sur le terrain, ce n’est pas un tricheur et il a été décisif en club comme en sélection

L’ancien capitaine des Verts renchérit : «C’est une super star en Afrique, pas seulement en Algérie (…) Ce statut de star, il ne l’a pas décroché comme ça». «C’est un garçon qui a le contact facile avec les autres. Il est facile à vivre. Un peu chambreur aussi… J’étais plus vieux que lui, c’était un peu comme mon petit frère. En tout cas, il aime le foot. C’est un vrai footeux !» Bel hommage, de quoi clouer le bec à tous ceux qui le disaient perdu pour le football durant sa suspension, et qui lui prédisaient une fin de carrière précoce.

De la gloire au purgatoire

Voilà donc une nouvelle page, un nouveau chapitre qui s’écrit sur les côtes bretonnes pour ce virtuose du ballon rond pour qui, détrompez-vous, tout n’a pas été facile, et qui a connu une descente aux enfers qui aurait pu l’éloigner définitivement des terrains comme cela s’est produit pour de nombreux cracks aux pieds d’or.

Né à Oran le 14 mars 1992, Mohamed Youcef Belaïli s’est jeté très jeune dans le monde du football, encadré par son père, son mentor et son manager de toujours. En 2007, il a 15 ans lorsqu’il intègre le Raed Chabab Gharb (RCG) d’Oran. Il se fait vite remarquer et signe pour une saison au MCO (2008-2009). Il enchaîne par une saison au CABBA de Bordj Bou Arréridj (2009-2010) avant de revenir à sa ville natale et joue encore deux ans au MCO.

En 2012, il rejoint l’Espérance de Tunis pour trois saisons. L’idylle tunisienne se termine par un clash et, en 2014, l’étoile montante du football algérien intègre les rangs de l’USMA. Eté 2015 : le drame. Lors d’un test anti-dopage inopiné effectué à l’issue d’un match de Ligue des champions africaine qui opposait le 7 août 2015 l’USMA au MC El Eulma, il est contrôlé positif à la cocaïne. Il a été contrôlé positif une nouvelle fois à une substance dopante le 19 septembre 2015 après une confrontation avec le CSC. Youcef Belaïli est suspendu pour 4 ans par la CAF. La tuile ! Heureusement pour lui, le TAS, le Tribunal arbitral du sport, réduit sa suspension à deux ans.

C’est la traversée du désert pour ce rebelle attachant. Si l’épreuve est insupportable, Youcef tient malgré tout le coup et parvient à surmonter cette mauvaise passe grâce au soutien de sa famille et surtout son père, Abdelhafid. C’est ce qui explique ce geste plein de gratitude et d’affection de Belaïli qui, après la victoire en finale de la Coupe arabe face à la Tunisie, soulevait son maillot et exhibait cette inscription : «Merci papa». Il ajoutait en dessous une pensée pour son ami le défunt comédien Boumediène Djedid dit «Boudaw».

Donc, après avoir purgé ses deux ans de suspension, Belaïli tente de se relancer en s’engageant avec Angers. C’était en 2017. Mais, comme nous le disions, l’expérience angevine tourne court. «Après avoir passé deux ans à s’entraîner seul, le joueur échoue donc à Angers, où il ne dispute qu’une mi-temps avec l’équipe première (victoire 1-0 en 8es de finale de Coupe de la Ligue face à Metz)» rapporte le site Sofoot.

Etat de grâce

Pour autant, le jeune prodige ne s’avoue pas vaincu. Il retourne à l’Espérance de Tunis et c’est là qu’il va connaître son véritable retour en grâce, avec, à la clé, deux Ligues des champions africaines (en 2018 et 2019) dans son escarcelle. Poursuivant sur sa fulgurante lancée, il remporte la prestigieuse CAN au Caire sous les ordres de Belmadi. Et il confirme cet état de grâce en conduisant en patron l’équipe nationale, lors du tournoi de Doha, jusqu’au sommet.

Comme un symbole de ce retour fracassant, ce but stratosphérique contre le Maroc qui le révèlera au monde entier. Depuis, il est célébré comme le messie, et sa bouille sympathique est omniprésente sur les réseaux. Sa success story est sur toutes les lèvres. Mais lui dédaigne l’habit du héros. Il ne s’imagine pas tellement dans le costume du capitaine. Il n’empêche qu’il ne manque pas de caractère et il l’a montré.

On se souvient de sa célébration rageuse en narguant l’arbitre après avoir transformé en deux temps ce penalty miraculeux contre le Qatar et qualifié l’Algérie à la finale de la Coupe arabe après un temps additionnel de 17 minutes ! Un temps à l’ombre de Mahrez, la superstar attitrée des Fennecs, Youcef Belaïli a su lui aussi imposer sa patte, sa personnalité, son style. Il aura été déterminant dans tous nos succès récents. Son petit Amir a de la chance d’avoir un lutin aussi fabuleux à disposition…

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