L’épargne étrangère, indispensable pour financer les réformes structurelles en Algérie

22/07/2024 mis à jour: 23:10
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En 2005-2006, l’Algérie reprenait le contrôle total de sa dette extérieure, lui offrant un levier incontournable qu’elle peut actionner pour financer la refondation de son modèle économique et social. La construction d’une économie d’Etat à partir de 1970 (première année du premier plan quadriennal) devait s’appuyer sur des ressources domestiques exclusivement. Toutefois, la réalité économique s’est très vite imposée, et le recours à l’épargne étrangère n’a pu être évité au cours des années 1980. 

En l’absence d’une stratégie d’endettement et d’outils de gestion macroéconomique, ce recours avait conduit à une crise de la dette (et de change) et à une cessation de paiement en 1993. Dès lors, le processus de désendettement du pays s’imposait comme une priorité stratégique, impliquant dans un premier temps un allégement significatif (rééchelonnement de 1994-1995 lié au programme de réformes macroéconomiques et structurelles appuyé par la communauté internationale) avant d’être parachevé dans un second temps par un repaiement anticipé du stock de la dette extérieure en 2005-2006. 

Cette dernière initiative a permis ainsi de protéger le pays d’une autre crise de la dette qui secoue présentement bon nombre de pays à travers le monde du fait de chocs extérieurs répétitifs et de tensions géostratégiques. Par ailleurs, l’apurement du stock de la dette ouvre la voie à une mobilisation (incontournable) de l’épargne étrangère dans le cadre d’une politique d’endettement claire et productive articulée autour d’une stratégie globale de refondation du modèle économique et social. Discutons de ces points importants.  

Le choc pétrolier de 1986 a déclenché une double crise de la dette et des changes et conduit à la cessation de paiement du pays en 1993. Le contexte macroéconomique de la première moitié de la décennie 1980 était marqué par : (1) une croissance monétaire excessive finançant une forte demande globale (par des subventions implicites), les entreprises publiques (par les banques commerciales) et les déficits budgétaires élevés (par la planche à billets) ; et (2) l’approfondissement des marchés parallèles (entretenus par des pénuries généralisées et le rationnement, la thésaurisation, les activités informelles et les contrôles sur les cessions de devises).

 Dans cet environnement contraignant est alors intervenu le choc pétrolier de 1986 qui a fortement détérioré les termes de l’échange, réduit les recettes pétrolières et accéléré le recours à des emprunts massifs à court terme pour financer la consommation courante et des investissements industriels peu rentables. Face à toutes ces contraintes, les autorités temporiseront pendant deux années avant d’adopter trois plans partiels de stabilisation macroéconomique et de réformes structurelles (1988, 1989 et1991) qui ont tous échoué et conduit à une double crise de la dette et des changes à fin 1993. 

En effet, aucun de ces plans ne prévoyait de mesures adéquates pour assainir la dette extérieure qui étouffait l’économie du pays. Les autorités avaient curieusement opté en 1991 dans le cadre du premier accord de confirmation signé entre le FMI et l’Algérie pour un reprofilage inefficace de la dette (rééchelonnements partiels sur base volontaire) et continué à honorer un service de la dette extérieure devenu insoutenable (ce qu’elles n’étaient pas tenues de faire). A fin 1993, le stock de la dette extérieure de l’Algérie avait atteint $26,4 milliards (53% du PIB et 259,8% des exportations). Le service de cette dette était de $8,78 milliards (intérêts de $1,9 milliards et amortissement de $6,85 milliards) soit 92,3% des exportations. Avec des réserves de change de $1,5 milliards (1 mois d’importations), l’Algérie était en cessation de paiement. De plus, le taux de change passait de 4,8 DA pour un dollar en 1986 à 24,2 DA du fait d’une dévaluation massive en 1991 (100%) et d’une dépréciation annuelle de 4,5% en 1992-1993. En avril 1994, l’Algérie sollicitait l’appui du FMI et de la Banque Mondiale pour redresser la situation et alléger le poids de la dette. Trois années précieuses avaient été ainsi perdues à tergiverser et prendre des mesures partielles et incohérentes.


L’assainissement de la dette extérieure (1994-2005)  

Les accords de rééchelonnement du Club de Paris pour la dette de l’Etat vis-à-vis des créanciers publics (juin 1994 et juillet 1995) : l’Algérie avait obtenu un accord généreux car les créanciers avaient accepté d’inclure les dettes contractées avant septembre 1993 – la date butoir – et d’offrir un échéancier de remboursement progressif sur 15 ans avec une période de grâce de 2 ans (les conditions standard du Club de Paris sont de 10 ans avec cinq ans de grâce). Les accords du Club de Paris ont ainsi fourni plus de $11,95 milliards d’allégement de trésorerie et fait baisser le service de la dette de 92,3% des exportations en 1993 à 29,8% en 1997.

L’accord de rééchelonnement du Club de Londres pour la dette de l’Etat vis-à-vis des créanciers privés (juin 1996). Conclu en septembre 1995 avec les banques commerciales et approuvé par tous les participants en juin 1996, l’accord couvrait les dettes échues entre le 1er mars 1994 et 31 décembre 1997 ($3,23 milliards), y compris toutes les dettes précédemment rééchelonnées (à l’exclusion de celles dues aux sociétés de crédit-bail japonaises) avec une période de remboursement de 15 ans ½ et un délai de grâce de 6 ans ½. L’accord était très favorable car il offrait une période d’amortissement plus longue et incluait des créances antérieures à la date - butoir. Il comprenait également des dispositions pour les conversions de dettes / actions, les rachats de dettes et les échanges de dettes.

Les résultats de l’assainissement de la dette extérieure et les appuis financiers aux réformes (1994-1997)  Ainsi, le rééchelonnement a permis à l’Algérie d’économiser au total près de $15,18 milliards de trésorerie, un énorme ballon d’oxygène. Pour ce qui est de l’appui financier aux réformes macroéconomiques et structurelles, l’Algérie avait bénéficié des apports suivants : FMI ($2,52 milliards), institutions multilatérales ($1,55 milliards) et prêts divers projets et balances des paiements ($11,35 milliards). Soit des financements globaux de $30,6 milliards. Ces ressources ont permis de réamorcer la croissance qui est passée de -2-2% en 1993 à 3,8% en 1996 (des taux de croissance économique consécutifs les plus élevés depuis 1985), réduit l’inflation (de 20,7% en 1993 à 5,7% en 1997) et reconstituer les réserves de change qui sont passées de $1 milliard en 1993 à $8 milliards en 1997 (9,4 mois d’importations).

Le remboursement anticipé de la dette de 2004/2005 : Des prix en hausse et une expansion de la production de pétrole ont permis de dégager un énorme excédent du compte courant de la balance des paiements (18⅓% du PIB) et d’accumuler des réserves de change de $77,8 milliards en 2005, ouvrant la voie à un remboursement anticipé de la dette extérieure dès 2004/2005 (que certains créanciers ont combattu). Ainsi, l’Algérie commençait par un remboursement anticipé de $1,1 milliard à la Banque Européenne d’Investissement et à la Banque Africaine de Développement, suivi en novembre 2005 du rachat total et anticipé des emprunts auprès du FMI et complété par le remboursement de $10½ milliards aux créanciers du Club de Paris et du Club de Londres, faisant ainsi passer le ratio dette/PIB de 25,6% en 2004 à 4,9% du PIB en 2006 et le ratio dette/exportations de 64% à 9,8%. Une décision excellente mais qui n’a pas été accompagnée par une stratégie de réformes et d’attrait des capitaux extérieurs à la mesure du potentiel productif du pays et du besoin de se protéger de la volatilité des prix du pétrole et renforcer ainsi la résilience économique du pays. Une opportunité manquée.

L’accord de prêt de l’Algérie au FMI (2016-2019). Pour disposer de ressources importantes afin de lutter contre des crises mondiales, le FMI contacte régulièrement les états membres disposant de surplus extérieurs pour conclure des accords de prêt temporaires (rémunérés à un taux d’intérêt de 1% alors que les taux d’intérêt internationaux étaient négatifs). Ainsi, l’Algérie avait conclu un accord en 2016 pour un montant de $5 milliards, accord renouvelé en 2018 et arrivé à expiration en décembre 2019. En vertu de cet accord, l’Algérie devait transférer $5 milliards au FMI en cas de requête de ce dernier. Dans l’intérim, les ressources restaient à la disposition du pays.  

L’épargne étrangère, indispensable pour financer les réformes structurelles en Algérie :  Avec une dette extérieure en 2024 insignifiante ($3,4 milliards soit 1,3% du PIB) et des réserves de change de $68,9 milliards (14,1 mois d’importations), l’Algérie dispose de marges de manœuvre pour mobiliser l’épargne étrangère afin d’absorber une partie du coût des réformes macroéconomiques et structurelles.

La stratégie globale de reformes macroéconomiques et structurelles incontournables pour créer un nouveau modèle économique et social diversifié et inclusif. Au centre de cette stratégie globale et cohérente à long terme de croissance élargie et inclusive et de désinflation, un plan de rééquilibrage budgétaire symétrique (affectant les recettes, les dépenses et la structure de financement des déficits) s’impose. Ce dernier doit être accompagné par des réformes structurelles favorisant la réduction des formalités administratives, l’amélioration de l’accès au financement, le renforcement de la gouvernance, la transparence et la concurrence, l’ouverture de l’économie au commerce et à l’investissement étranger et l’amélioration du fonctionnement des marchés du travail. Pour un suivi rigoureux des réformes et une mesure des performances, la mise en place d’outils de pilotage est vitale.

Le coût des reformes et la couverture de l’écart de financement. En tendance actuelle, en l’absence de reformes, et pour la période 2025-2028, le double déficit budgétaire global et du compte courant de la balance des paiements se situerait en moyenne à 7,2% du PIB et 2,3% du PIB, respectivement. En conséquence, les besoins de financement prévisionnels pour couvrir ces déficits jumeaux devraient atteindre $115 milliards (dont $70 milliards pour le budget). La mise en place de reformes permettrait de réduire ces besoins de financement de $25 milliards (gains liés aux réformes). Combiné aux disponibilités en réserves de change à fin décembre 2024 ($71,3 milliards), le gap de financement restant à couvrir sera donc de $25 milliards sur 4 ans. A contrario, l’absence de réformes va accroitre l’endettement intérieur, entretenir l’inflation, mettre la pression sur le taux de change, endommager la compétitivité du pays, atténuer la baisse de croissance et détériorer le front social. Ajoutons la perte de crédibilité de la banque centrale et donc sa capacité à promouvoir la stabilité des prix et les effets sur le système bancaire qui détient une partie de la dette publique. Sur le plan extérieur, le pays va enregistrer une perte continue de réserves ce qui pourrait conduire à une crise de change en 2026.

L’adoption d’une stratégie d’endettement est incontournable et doit inclure :  (i) une définition claire de la gestion de la dette publique qui précise, entre autres, un plafond annuel d’endettement (cohérent avec les objectifs macroéconomiques du pays) ainsi que les usages productifs des emprunts ; (ii) des indicateurs macroéconomiques publiés régulièrement pour entretenir la confiance des investisseurs ; (iii) une coordination étroite entre les responsables de la politique budgétaire, de la politique monétaire et du secteur réel (public et privé) afin de maintenir l’endettement dans le cadre d’une trajectoire durable, viable et crédible ; (iv) des soldes budgétaires primaires : soit un excédent des recettes publiques par rapport aux charges, hors paiements d’intérêts ; (v) une croissance réelle positive ; et (vi) des taux d’intérêt réels inférieurs aux taux de croissance.

Les formes de financement externe à mobiliser pour absorber le coût des réformes macroéconomiques et structurelles : (1) Les créanciers officiels multilatéraux et bilatéraux : (2) L’émission d’obligations internationales augmenterait la visibilité du pays et à son tour faciliterait les emprunts extérieurs et générerait davantage d’investissements étrangers directs. Il crée aussi des incitations à suivre des politiques saines. Avec une dette extérieure marginale, l’Algérie a des marges de manœuvre pour emprunter sans menacer la soutenabilité de la dette si elle engage des réformes pour booster ses recettes budgétaires et diversifier ses exportations ; (3) 

Le crédit syndiqué est une autre option pour les marchés émergents et les pays en développement à faible revenu. Les prêts syndiqués permettent de financer les infrastructures, les projets énergétiques et l’industrie extractive. Les prêts syndiqués incluent généralement des clauses restrictives permettant de suspendre le financement à court terme et comportent donc un certain risque ; et (4) Les obligations souveraines internationales : l’Algérie n’a jamais émis d’obligation souveraine internationale et doit donc développer sa capacité à le faire. Ce qui implique le recrutement de banques d’investissement et l’acquisition d’une note de crédit souveraine auprès d’une ou plusieurs agences de notation (l’Algérie n’a pas de note de crédit). 

Compte tenu de l’intégration financière limitée de l’Algérie avec le reste du monde, la sensibilisation des investisseurs sera particulièrement importante pour expliquer les réformes, les perspectives économiques du pays et le programme de réformes du gouvernement.
 

Par Abdelrahmi Bessaha

Expert intarnationale

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