Le talon d’Achille des réformes économiques et l’actualité de la transition démocratique

22/11/2023 mis à jour: 14:05
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Pour notre pays, trouver le chemin durable et viable du développement et du progrès, car il s’agit de cela, implique d’entreprendre un ensemble de réformes qui nécessitent de prendre des décisions et des mesures politiques à la hauteur des espoirs et des ambitions de notre peuple.

 Ils ne sont pas modestes ces idéaux, mais notre histoire en premier, la géographie et nos ressources naturelles et humaines, ne nous destinent pas qu’à ne subir un environnement international dominé par les intérêts des plus forts. 

Dans un premier temps, nous allons tenter de démystifier les peurs réelles ou entretenues à dessein pour rejeter la voie d’une transition contractuelle de sortie de crise, mais aussi mettre le doigt sur les chemins simplificateurs qui attribuent spontanément des vertus à un processus qui suppose volonté politique à réunir les conditions d’un nouveau contrat social, mobilisation et détermination. Ensuite, nous esquisserons l’actualité de la transition démocratique chez nous et pourquoi les réformes économiques maintes fois annoncées sont reportées ou abandonnées.

Le concept de transition démocratique charrie, pas toujours à tort, les notions de libéralisme, d’une société dominée par plus d’inégalité et culturellement occidentalisée. Pourtant, il y a des exemples de transition démocratique réussis, comme il existe des cas où les citoyens ont été exclus du processus, et les tenants du pouvoir n’ont fait que gagner du temps pour reprendre de plus belle les rênes de la domination de la société.
On s’intéresse à la manière de mettre en place des mécanismes pour l’avènement d’un régime politique démocratique partant d’un système qui confisque la représentation populaire (dictature, despotisme, autoritarisme…).  

Les facteurs qui déterminent les méthodes découlent des conditions objectives dans chaque pays. Il n’y a pas de stratégie universelle, même si le développement économique et humain, les traditions sociales et culturelles et la valorisation de la position du pays au plan régional jouent un rôle. On ne passe pas, par exemple, d’une société «arriérée» avec un très faible niveau d’accumulation, sans classe moyenne constituée et sans véritables élites à une société démocratique uniquement par la grâce de nouveaux textes constitutionnels et institutionnels.
Quelques enseignements  sur des transitions
 

Il ne s’agit pas ici de lister toutes les transitions dont certaines constituent des cas d’école, comme l’Espagne ou l’Afrique du Sud ou l’exemple des pays de l’Est où les transitions ont été nettement encadrées par l’Union européenne et les Etats-Unis pour des motifs évidents.

 On s’intéresse à des cas où on peut tirer plus d’enseignements et de potentielles analogies pour notre pays. En Amérique latine, plusieurs pays se sont engagés dans le processus de «transitions pactées». Certains se sont plutôt embourbés dans l’application de la recette de l’orthodoxie néolibérale, laquelle, en engendrant plus d’inégalités, réalimente la violence. 

La transition démocratique est à l’opposé  d’une façade démocratique. D’une manière générale, s’il n’y a pas de compris qui implique suffisamment les forces politiques et sociales pour accompagner un modèle consensuel transitoire, l’épuisement pointe à court ou moyen termes devant une réalité têtue : l’inexorable montée des luttes sociales.

En Argentine, c’est un événement extérieur qui déclenche un processus de remise en cause de la junte militaire qui jouait sur l’orgueil national pour se légitimer auprès des masses et par-là même un processus de transition démocratique : la défaite lors de la guerre des Malouines contre l’Angleterre en 1982. 
 

Dans ce pays, la junte conduite par Vidèla a éradiqué physiquement toutes les alternatives plus ou moins égalitaires, objets des luttes dans les années 1970. «Comment peut-on ruiner un pays qui est si riche autant sur le plan économique que social et culturel», s’exclamait, dans les années 80, un sociologue argentin de l’UQAM (Université du Québec), ajoutant que son pays a fait le chemin inverse du développement.  

L’impréparation à la transition est évidente malgré les signaux des fragmentions au sein de la hiérarchie militaire quant à la politique à suivre après «la fin du nettoyage – la politique de réorganisation nationale qui s’est soldée par 30 000 disparitions, 15 000 fusillées et 1,5 million d’exilés».

 Les uns défendaient un modèle de société corporatiste avec une politique économique développementiste (les durs), d’autres, les partisans des réformes libérales, estimaient que la convergence entre militaires et civils ne pouvait être postérieure à la création d’une «nouvelle classe dirigeante», enfin ceux qu’on appelle les poliicistas (les politiques dans l’armée), considéraient les organisations civiles comme des interlocuteurs valables et s’opposaient à une politique économique qui accroîtrait l’isolement du régime (la politique sous la dictature argentine, Paula Canelo). 

Si on peut affirmer que la situation des droits et des libertés démocratiques s’est améliorée, en revanche, le poids de l’histoire illustré par le maintien de la rente agricole entre les  mains d’une poignée de propriétaires liée étroitement aux conglomérats internationaux mine le développement économique. 

Les inégalités se sont aggravées et le pourcentage de personnes, vivant sous le seuil de pauvreté, a grimpé à 42% en 2020. L’économie argentine est minée par un système de réseaux clientélistes financé par un fort déficit (Shannon O’ Neil 2019) ajoutant que le gouvernement publiait de fausses statistiques qui aggravaient encore la situation.

Au Chili, pour préparer le retrait de la junte, Pinochet négocie la fin du régime militaire en imposant un «consensus» qui exclut la «gauche radicale» et qui assure l’impunité à lui et aux dignitaires de son régime. Le dictateur chilien, avec l’appui de l’oligarchie et des Etats-Unis, a bouleversé la société par une politique de privatisations et de réduction des missions de l’Etat sous un régime de terreur.

 La bonne tenue des agrégats macroéconomiques et la modification des rapports sociaux, obtenus par l’application de réformes néolibérales dès 1975 (Chicago Boys) lui permettent d’imposer ce consensus. Mais le fait d’avoir dessiné les contours d’un compromis eu égard aux rapports de force du moment n’a pas constitué un obstacle à l’amorce de la démocratisation. 
 

L’existence d’engagements communs, même si les rapports de force ne sont pas en faveur des représentants les plus progressistes, est primordiale, sinon les réflexes du passé ont toujours la peau dur. C’est pourquoi, la garantie de l’existence de contrepouvoirs et d’un authentique multipartisme sont une exigence incontournable.
Qu’en est-il chez nous ?

Des nationalistes et démocratiques de notre pays ont, au lendemain de l’indépendance, «sacrifié» cette évidence pour s’impliquer sincèrement dans le processus de développement de l’Algérie. Evidemment, il ne s’agit pas de faire la leçon, d’autant plus à rebours, mais les désenchantements sont là. Le défunt Mostefa Lachref écrivait dans Les ruptures de l’oubli, sous le titre Hypertrophie du multipartisme en page 9 à propos de la Constitution de 1989. 

 «En effet, on sait ce qu’ont été les lendemains d’Octobre 1988, le même pouvoir qui, pendant huit ans ayant déstabilisé, appauvri, humilié cette ‘‘Algérie des dupes’’, et à peine confronté à une forte secousse, partie des masses et surtout de la jeunesse, s’est empressé d’exploiter la situation à son avantage, et en un tour de main, parce que le mot d’ordre relevant de la catégorie des slogans coutumiers, ‘‘mobilisateurs’’ et néanmoins mensongers, était celui de la ‘‘démocratie’’. Mais la chose, comme les mots, était désormais trafiquée par les appareils conservateurs de l’Etat et du parti unique qui, pour la circonstance et afin de sauver la face, parlait hypocritement de «nouvelle constitution» et, mieux encore, de multipartisme…».

Cette démarche, faite de subterfuges qui excluent toute recherche d’un nouveau contrat social et de fuites en avant, répétée à chaque nouvelle crise et reconduite même après la défaite militaire du terrorisme islamiste, qui a failli engloutir l’Etat national, finira par avoir raison de la résilience du  tissu social, semer le désespoir dans la jeunesse, approfondir les inégalités et le fossé entre les populations et des institutions pratiquement privatisées au profit de chapelles, de nantis et autres arrivistes vulgaires qui ont saigné le pays, tant les seuls chiffres apparents des détournements et da la corruption donnent le vertige.

Dans cette descente aux enfers et d’incertitudes, la mobilisation pacifique extraordinaire lors du mouvement de février 2019 est une chance pour le pays. Saura-t-on, enfin, la saisir pour asseoir d’autres mœurs ? 
 

Dans El Watan du 14 novembre 2023, A. Bessaha, expert international en macroéconomie déclarait, en substance que pour conduire l’Algérie à devenir un pays émergeant en 2050, le pays doit se donner une vision économique et sociale sur les 30 ans à venir. Traduit en termes de gouvernance, cela signifie que nous avons besoin d’un contrat social qui engage les forces politiques et sociales et qui mobilise les énergies de tous sur une longue période.

 Le préalable à cela passe par gagner les suffrages de ceux qui demandent ces réformes, c’est-à-dire, les forces vives et la majorité du peuple pour sortir du piège des clientèles que ces réformes sont censées disqualifier par la transparence. Rouquié (1978), cité dans la revue économie d’Asie et d’Amérique latine écrivait à propos des blocages des réformes dans de nombreux pays où l’armée est un acteur dans la gouvernance : «En l’absence de mécanismes institutionnels de médiation, seul le rapport de force détermine les acteurs dont les intérêts comptent. Par sa capacité de coercition et sa relative homogénéité institutionnelle, le bras armé de l’Etat devient un acteur central du système politique. 

Pour préserver le fragile équilibre du système, l’armée essaie d’harmoniser par la force la légitimité unique de l’orientation politique et économique… Les acteurs politiques recherchent alors le pouvoir non à travers des suffrages populaires, mais par les relations dans les milieux militaires.» 

Cette démarche, qui engendre des crises cycliques de par sa nature à une sortie par le haut : la transition vers l’effectivité des libertés pour tous de s’organiser et faire entendre sa voix, une justice indépendante,  un  contrôle  du peuple souverain sur les ressources du pays et des arbitrages institutionnels ouverts et transparents. 

Si à l’occasion du mouvement citoyen, on peut supposer que le sommet de la hiérarchie du pouvoir a pris conscience qu’on différant à chaque fois le traitement du problème, on ne fait qu’aggraver le mal, la reconduction des choix liberticides et des caporalismes sur les organisations civiles ne constituent pas une voie de salut pour cette Algérie du progrès. 

 

Par Ouamar Saoudi 
Secrétaire national du RCD aux relations internationales

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