Le retour de l’Etat dans la gestion économique des pays à travers le monde

26/03/2024 mis à jour: 01:01
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Pour des raisons macroéconomiques, structurelles, géostratégiques et sécuritaires, les politiques industrielles sont de retour au niveau mondial. Ce retour marque le recul du libéralisme et de la mondialisation et consacre les faiblesses du marché en tant que mécanisme de répartition des ressources par le biais de l’offre et de la demande.  

 

Les politiques industrielles (PI), symbole et outil d’intervention de l’Etat dans la gestion de l’économie, sont de retour au niveau mondial. Elles ont pour objectif de guider les gouvernements dans la conduite des transformations structurelles de leurs économies, transformations rendues incontournables du fait de nombreux facteurs économiques, structurels et sécuritaires. Le retour des PI qui remonte déjà au milieu des années 2010s marque un certain désintérêt des pays vis-à-vis du libre-échange et de la mondialisation et consacre une certaine faillite du marché comme instrument de répartition des ressources à travers le jeu de l’offre et de la demande. 

La récente vague des PI a été lancée au niveau des économies avancées, suivies ensuite par les économies émergentes et en développement. Les outils d’intervention des PI sont variés tant du côté des économies avancées que des économies émergentes et en développement, bien que ces dernières s’appuient moins sur les subventions et les dépenses budgétaires directes (du fait de marges de manœuvre budgétaire limitées) et davantage sur des restrictions affectant les importations et les exportations. Les PI ne sont toutefois pas une panacée universelle et ont des limites si elles ne sont pas conduites dans un cadre d’action cohérent et global doublé d’une gouvernance renforcée. 

Pour sa part, l’Algérie, qui n’a jamais renoncé au rôle direct de l’Etat dans l’économie, doit se donner un nouveau modèle économique et social favorisant une intégration économique interne (agro-industrie, industries de transformation et manufacturières, services à haute valeur ajoutée) et une ouverture sur l’extérieur pour bénéficier des opportunités économiques et financières qu’offre l’économie mondiale. Pour ce faire, une politique industrielle, bien ciblée avec des instruments idoines, se justifie pleinement et devrait permettre de contribuer à cette transformation structurelle tant nécessaire de l’économie. Discutons de ces questions importantes. 
 

Les politiques industrielles récentes : moins de libéralisme et plus d’Etat, de régulation et de souveraineté.  
L’analyse du concept : ce dernier réunit trois idées fondamentales interdépendantes : (i) les marchés ne fonctionnent pas toujours sur une base concurrentielle et ne favorisent pas le libre jeu de l’offre et la demande en toutes circonstances ; (ii) l’interventionnisme de l’Etat est un levier économique important pour faire face à certains défis structurels que le marché ne peut prendre en charge ; et (iii) certains instruments de politique publique peuvent être actionnés pour soutenir un objectif économique particulier et structurer l’économie dans l’intérêt national, ce que le marché ne pourrait réaliser. 


Les champs d’intervention ont évolué considérablement. A l’origine, les PI ciblaient la promotion des exportations et/ou la création des industries lourdes. Dans un second temps, elles se sont focalisées sur la protection des industries naissantes, le soutien aux champions nationaux et/ou la diversification économique dans le contexte des politiques protectionnistes de substitution aux importations (ces dernières étant découragées par le biais de tarifs douaniers et de restrictions commerciales). Les PI ont ensuite connu un certain recul au cours des années 1980 et 1990 avec l’émergence du Consensus de Washington (le développement économique est le résultat de politiques publiques favorisant la privatisation des entreprises d’État et la promotion du libre-échange). 

Pendant cette période de montée du libre-échange, les PI ont été, toutefois, réorientées pour favoriser l’activité militaire, l’aérospatiale, les semi-conducteurs et les véhicules électriques. Plus récemment, la résurgence des PI à partir du milieu des années 2010 est en train d’appuyer l’action de l’état dans sa prise en charge des grands défis liés à la pandémie (biens médicaux), la rivalité géostratégique Chine-Etats-Unis (les technologies de pointe et leurs intrants), la transition écologique (technologies à faible émission de carbone), l’essor des véhicules électriques (intrants en amont tels que les terres rares) et la sécurité nationale (fabrication de biens à double usage militaro-civil). 
 

Les autres facteurs justifiant l’interventionnisme d’Etat : En plus des facteurs cités ci-dessus, ajoutons les défis posés par l’adaptation/réorganisation des chaînes d’approvisionnement mondiales fragilisées par la pandémie, les défis démographiques au niveau des grandes nations qui transformeront drastiquement leurs modèles économiques sur le moyen et long termes, la gestion de la transition numérique et les nouvelles formes d’emploi sous l’effet de la montée de l’intelligence artificielle, la restauration de la compétitivité stratégique et le renforcement de la résilience aux chocs externes devenus réguliers. 
 

Les outils de politique publique mis en œuvre pour atteindre les objectifs des politiques industrielles.  Point 1 : Les pays avancés ont recours aux dons financiers, aux prêts gouvernementaux et autres formes d’aide publique d’État (y compris des incitations basées sur les dépenses telles que l’amortissement accéléré) ; Point 2 : Les pays émergents, pour leur part, interviennent par le biais de prêts d’Etat, d’allégements d’impôts sur les bénéfices, d’injections de capitaux, de restrictions commerciales sur les importations et les exportations et de zones économiques spéciales/franches (avec des réglementations, des infrastructures et des incitations supplémentaires uniques dont l’accès aux ressources minérales critiques), des soutiens ciblant la recherche et le développement, des marchés publics et des garanties de prêt ; et Point 3 : De façon générale, les gouvernements tendent à favoriser les producteurs nationaux en élargissant les outils d’intervention à un accès préférentiel aux matières premières et au crédit. 
 

L’efficience des politiques industrielles implique, entre autres, un cadre institutionnel solide. Les PI peuvent potentiellement contribuer à remédier aux défaillances du marché. Elles se justifient amplement en présence d’externalités (les effets indirects des décisions économiques) ou de projet de société du pays. De ce fait, l’efficience des PI implique que les mesures prises dans ce contexte doivent être bien ciblées, limitées dans le temps, rentables, transparentes et en mesure d’atteindre leurs objectifs, sans pour autant compromettre la stabilité macroéconomique nationale et la viabilité budgétaire et extérieure. 

De plus, vu le risque élevé de mauvaise répartition des ressources publiques, les PI doivent être bien conçues pour atténuer les incitations à la recherche de rente de situation et à la corruption, impliquant ainsi un cadre institutionnel solide. Finalement, les gouvernements devraient s’assurer que la mise en œuvre des PI ne soit pas en violation des engagements internationaux et ne nuisent aux partenaires commerciaux, ce qui pourrait déclencher des mesures de représailles.
 

Le nouveau rôle des politiques budgétaires au vu du retour de l’interventionnisme d’état: Après l’adoption de mesures budgétaires exceptionnelles pour faire face au choc sanitaire, les gouvernements sont désormais confrontés à deux types de défis qui demandent des approches budgétaires contradictoires: 

(1) une approche en faveur d’un resserrement budgétaire pour faire face à des niveaux d’endettement élevés, des politiques monétaires restrictives et des pressions inflationnistes ; et (2) une approche budgétaire expansionniste pour prendre en charge les défis structurels liés à la crise du pouvoir d’achat, au renforcement des chaînes d’approvisionnement, à la crise énergétique, à la transition écologique, au vieillissement de la population et aux objectifs de développement durable 2030. Dans ce contexte, il est opportun que la politique budgétaire soit alors articulée autour : (1) d’un cadre budgétaire à moyen terme renforcé qui combine des règles fiscales plus flexibles et des institutions renforcées afin de promouvoir des finances publiques saines, la viabilité de la dette et la constitution de réserves budgétaires ; (2) de plans budgétaires comprenant des objectifs transparents et réalisables; (3) d’une flexibilité dans la gestion des finances publiques pour répondre aux chocs ; et (4) des réformes visant : (i) à réduire la dépendance excessive à l’égard des budgets annuels, à intégrer la transition écologique et le vieillissement des populations dans le processus budgétaire ; et (ii) améliorer la transparence budgétaire. 
 

L’Algérie : La politique industrielle, levier principal de la vie économique en Algérie depuis 1962. 
Contexte : La PI a tout naturellement été le guide dans le processus de construction d’une économie d’état (1962-1993) afin de rompre avec le schéma d’extraversion économique hérité de la période coloniale. La PI allait être provisoirement abandonnée entre avril 1994 et fin 1998, période au cours de laquelle l’Algérie amorçait, avec l’appui financier et technique de la communauté internationale, un virage stratégique pour s’extraire des rigidités et dysfonctionnements du modèle de développement public et autocentré et embrasser un processus de libéralisation de l’économie. 

Entrepris sous la contrainte d’une banqueroute financière en raison d’une mauvaise gestion du choc pétrolier de 1986, ce virage n’a pas été conduit à son terme et les réformes interrompues à la faveur d’un super cycle des produits de base (pétrole compris) qui a émergé au début de l’année 2000 (entretenu par le super cycle économique de la Chine). Le rebond des prix du pétrole a permis aux autorités de revenir sur toutes les réformes entreprises au cours de la seconde moitié des années 1990s et réhabiliter la PI comme levier économique qui continue d’ailleurs à dominer la vie économique jusqu’à présent. 
 

Le modèle économique et social actuel est essoufflé et doit être reconstruit : L’essoufflement se lit à travers la prédominance du secteur des hydrocarbures ; la persistance des déséquilibres macroéconomiques (déficit budgétaire hors pétrole insoutenable, inflation élevée, taux de change surévalué entretenant une croissance faible et par extension un chômage élevé affectant les jeunes et les femmes fortement) ; les rigidités structurelles ; et le faible degré d’ouverture de l’économie qui contraint sa diversification et son accès à l’épargne extérieure. 
La reconstruction d’un nouveau modèle économique et social est une priorité stratégique et le recours à une politique industrielle dans le contexte actuel est justifiable et méritoire. Pourquoi ? (1) Les nombreux dysfonctionnements de l’économie nés au cours de la phase de planification des investissements et amplifiés ces dernières décennies par l’absence de plans de redressement stratégiques. Citons : (i) la fragmentation de l’économie en trois compartiments : officiel ($219 milliards), parallèle (environ $40 milliards) et contrebande (environ $15 milliards). 

Cette fragmentation amortit certes les coûts sociaux des crises économiques mais sont un véritable frein à une croissance en hausse et à des finances publiques saines ; (ii) l’inefficience des marchés de biens et services (tensions sur les produits, inflation structurelle), de la monnaie (économie de cash et thésaurisation en raison de l’absence de profondeur financière) et des changes (marché parallèle dynamique) ; et (iii) l’affaiblissement de la gouvernance qui contraint le recouvrement de l’impôt et la gestion des ressources publiques ; et (2) l’ambition du projet de développement économique et social qui va dominer les prochaines décennies.  
 

Les objectifs fondamentaux de la politique industrielle en appui au projet de refondation de l’économie du pays : 
Objectif 1 : Assainir les fondamentaux macroéconomiques. Cet assainissement est incontournable. Il implique un budget sous contrôle, une inflation maîtrisée et un déficit de la balance des paiements soutenable, socles de base pour favoriser l’investissement, ouvrir la voie à la croissance, créer des emplois et réduire les inégalités sociales. 
 

Objectif 2 : (1) Renforcer la qualité de la politique macroéconomique (réformes sur les recettes, les dépenses, le processus et cadre budgétaire pour réhabiliter le budget en tant qu’outil de le gestion macroéconomique ; les statistiques macroéconomiques ; la politique monétaire et la politique de change) ; et (2) Relancer l’investissement privé productif, inclure les femmes dans le marché de l’emploi, améliorer l’accès au financement, mettre en place un système financier moderne et lutter contre la corruption pour rétablir la confiance de la population vis-à-vis des pouvoirs publics et s’approprier les réformes.
 

Objectif 3 : Moderniser et diversifier l’économie algérienne en pariant sur l’économie verte et numérique et l’intelligence artificielle afin d’accroître la productivité et les activités à forte valeur ajoutée. Un autre facteur en faveur des réformes est de renforcer sa résilience aux chocs extérieurs et intérieurs. Deux voies qui permettront au pays de bénéficier du génie créateur de sa jeunesse.  
 

Objectif 4 : Mettre en place un cadre de gouvernance approprié pour réduire les risques de recherche de rente, de corruption et de distorsion des avantages comparatifs. Cela implique des mécanismes transparents de sélection des projets et leur suivi régulier, une capacité technique et administrative solide et un processus de décision ancré sur des éléments factuels. 

 

 

Par Abdelrahmi Bessaha

 Expert international en macroéconomie.

 

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