En droit international, l’interdiction du recours à la force et le respect de la souveraineté de l’Etat sont des principes cardinaux de la Charte des Nations unies.
Le caractère indérogeable de ces principes a pour but de maintenir la paix et la sécurité internationales ainsi que de favoriser le règlement pacifique des conflits. L’indérogeabilité de cette règle est tout de même sujette à exception quand le recours à la force est utilisé comme moyen de légitime défense d’un Etat face à une attaque militaire ou en application des prérogatives coercitives concédées au Conseil de sécurité par le chapitre VII de la Charte des Nations unies.
L’article 51 de la Charte des Nations unies consacre le droit naturel d’un Etat à la légitime défense dans les limites du respect des pouvoirs du Conseil de sécurité qui a l’ultime mission de maintenir la paix et la sécurité internationales. Le droit à la légitime défense ne peut être invoqué par un Etat pour justifier le recours à la force qu’en cas de menace imminente et inévitable jusqu’à l’adoption de mesures nécessaires par le Conseil de sécurité pour rétablir la paix et la sécurité internationales.
La riposte de l’Etat défenseur doit aussi répondre aux exigences de nécessité et de proportionnalité des moyens consacrés par le droit international humanitaire au sens des quatre Conventions de Genève. Cette interprétation stricto sensu de l’article susmentionné n’est pas partagée par tous les Etats et est souvent confrontée aux notions d’autodéfense ou de légitime défense unilatérale, anticipée et préventive. Le recours à ces notions a pour but de justifier toutes les formes de recours à la force et de s’affranchir des règles de droit international dans la gestion des conflits. L’introduction officiellement de ces notions en matière de gestion moderne des relations internationales a été ré-invoquée par la fameuse doctrine Bush durant les années 2000.
Cette dernière a remis sur la scène internationale le droit à la légitime défense anticipée ou préventive pour justifier l’envahissement de l’Irak et de l’Afghanistan. Cette doctrine ré-interprète l’article 51 de la Charte des Nations unies, en considérant que le droit à la légitime défense doit impliquer le droit de recourir à la force de manière unilatérale et le droit d’attaquer avant l’arriver de la menace imminente. Cette conception est largement partagée par Israël qui a toujours invoqué son droit à la légitime défense unilatérale pour justifier son recours illégal à la force depuis sa création jusqu’aux actuels bombardements en Palestine et au Liban.
Cette position israélienne nous incite ainsi à nous questionner sur les caractéristiques du droit à la légitime défense au sens de l’article 51 de la Charte des Nations unies et sur la légalité de sa réinterprétation. En droit international, l’exercice de la légitime défense est soumis aux doubles conditions de la nécessité et de la proportionnalité des règles du jus in bello (droit dans la guerre). Nonobstant que l’usage de la force au sens de l’article 51 de la Charte se vide de sa valeur juridique, dès lors que le Conseil de sécurité prend des mesures nécessaires pour gérer le conflit.
La condition de la nécessité implique l’existence d’un danger réel et imminent d’agression portant atteinte à la souveraineté et à la sécurité de l’Etat. Quant à la condition de proportionnalité, la riposte doit être proportionnelle à l’attaque et doit évaluer les conséquences dramatiques qu’une attaque mal dirigée pourrait avoir sur les personnes civiles.
Dans le cadre des bombardements planifiés sur la bande de Ghaza et ailleurs, Israël justifie ses attaques devant le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale des Nations unies par son droit à la légitime défense selon l’article 51 de la Charte des Nations unies. Cependant, lorsqu’on se penche sur la légalité de l’usage du droit de légitime défense dans ce cas de figure, il s’avère que les conditions d’exercice de ce droit n’ont pas été respectées.
Depuis le début des hostilités à Ghaza, des pertes considérables en vies humaines ont été recensées avec l’extension des attaques à d’autres villes, notamment au camp de réfugiés de Rafah.
Dans sa réplique présentée devant la Cour internationale de justice (CIJ) concernant l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Ghaza (Afrique du Sud contre Israël), Israël a minimisé l’ampleur désastreuse des attaques sur le camp de Rafah, en soulignant que c’était «une opération limitée dans la nuit du 11 février 2024, qui visait des cibles militaires et a permis la libération de deux otages israéliens».
Dans sa décision du 24 mai 2024, la CIJ répond aux allégations d’Israël, en soulignant que «l’offensive militaire terrestre à Rafah, lancée par Israël le 7 mai 2024, se poursuit à ce jour et a donné lieu à de nouveaux ordres d’évacuation. En conséquence, selon des informations recueillies par l’ONU, près de 800 000 personnes avaient été déplacées de Rafah au 18 mai 2024».
Cette réponse de la Cour est une indication claire du caractère disproportionné des offensives israéliennes dans la bande de Ghaza et à Rafah. Puisque d’une part, les actions militaires menées par l’armée israélienne en Palestine vont au-delà de ce qui est généralement nécessaire pour repousser une agression.
Il est aisé de constater que l’offensive militaire sur de la bande de Ghaza depuis le 7 octobre 2023 sont des représailles punitives et nullement des ripostes au sens de l’article 51 de la Charte des Nations unies. La résolution 2625 du 24 octobre 1970 de l’Assemblée générale des Nations unies établit clairement que les Etats ont le devoir de s’abstenir d’actes de représailles impliquant l’emploi de la force.
La jurisprudence de la CIJ dans sa globalité ne reconnaît pas d’ailleurs à l’Etat le droit de justifier le recours à la force en invoquant le droit la légitime défense «que dans des circonstances exceptionnelles motivées par l’urgence et imposées par l’absence d’alternatives».
Cette position de la CIJ confirme ainsi l’illicité de la légitime défense invoquée par Israël pour justifier ses attaques. Il est important de rappeler aussi que l’article 51 de la Charte des Nations unies insiste sur le caractère temporaire de l’exercice du droit à la légitime défense qui se termine à partir de l’intervention des Nations unies pour mettre un terme à l’agression.
Cependant, Israël refuse catégoriquement depuis le 7 octobre 2023 l’intervention des Nations unies, notamment le Conseil de sécurité et toutes tentatives de règlement pacifique du conflit. Ce refus est en contradiction totale avec les dispositions de la Charte des Nations unies et confirme une interprétation abusive et dérivée de l’article 51 de la Charte. Il est ainsi indéniable d’affirmer qu’Israël n’a pas exercé le droit à la légitime défense au sens de l’article susmentionné, mais qu’elle a plutôt appliqué la doctrine de la légitime défense unilatérale qui fait fi de toutes règles et normes du droit international.
Cette affirmation est d’autant plus consolidée avec l’extension des attaques préventives lancées par l’armée israélienne sur le Liban. Ce qui constitue une interprétation perverse du droit international. En droit international, la légitime défense préventive est une doctrine contestée, car elle désigne le droit pour un Etat d’employer la force militaire pour se défendre contre une menace présumée avant qu’elle ne prenne la forme d’une attaque concrète. Elle se distingue ainsi du droit à la légitime défense au sens de l’article 51 de la Charte des Nations unies qui autorise l’Etat de riposter à une attaque imminente et en cours.
La principale critique formulée à l’encontre de la légitime défense préventive ou anticipée est d’une part le non-respect des principes de nécessité et de proportionnalité. D’autre part, elle pose surtout l’épineuse question de la véracité de la preuve avancée par l’Etat invoquant le droit à la légitime défense préventive.
Les bombardements préventifs en Cisjordanie ou l’extension des attaques au Liban sont d’ailleurs des illustrations parfaites de la doctrine de la légitime défense préventive qui porte atteinte à des règles indélogeables du droit international. Israël tente d’ailleurs de justifier la pénétration du territoire libanais dans la lettre adressée au secrétaire général et à la présidente du Conseil de sécurité des Nations unies le 1er octobre 2024, en rappelant qu’elle «a le droit de prendre toutes les mesures nécessaires pour se protéger et protéger ses citoyens contre les actes d’hostilité».
Elle souligne aussi que l’attaque sur le Liban est une opération militaire planifiée depuis plus d’une année et qui vise à prévenir une éventuelle attaque du Hezbollah. Israël souligne aussi que cette opération militaire a permis de recueillir «les éléments de preuves permettent de mieux comprendre le mode opératoire du Hezbollah».
Ces justifications israéliennes sont déconcertantes, car elles sont en totale contradiction avec les dispositions de l’article 51 de la Charte des Nations unies qui exigent l’existence de preuves réelles avant le lancement d’une attaque militaire et non pas pendant ou après.
Cette exigence est confirmée par la CIJ dans son arrêt sur l’affaire des Contras (Nicaragua c. Etats-Unis, 1986) qui précise que le droit international ne reconnaît «de légitimité à une riposte qu’en cas d’agression armée déjà survenue et non pas à une menace d’attaque hypothétique».
De plus, l’extension territoriale des attaques israéliennes sur le Liban pose surtout la question du respect de la souveraineté de cet Etat et la violation d’un principe sacro-saint du droit international. Israël justifie cette violation par le fait que le Liban héberge le Hezbollah et l’accuse de complaisance à l’égard de ce dernier.
La question de la légalité de l’extension des attaques militaires sur le territoire d’un Etat tiers a été clairement examinée par la CIJ dans son arrêt sur les affaires des activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda, 2005), en affirmant que l’intervention armée d’un Etat sur le territoire d’un autre Etat, sous prétexte de soutenir des groupes non étatiques, constitue une violation de la souveraineté, à moins que l’Etat en question ne soit lui-même impliqué dans l’agression.
Dans le cas du Liban, il ne subsiste aucune participation militaire ou implication directe de cet Etat aux actions du Hezbollah. Les allégations avancées par Israël pour justifier son recours à la force au Liban au nom de son droit à la légitime défense préventive se basent sur un jugement unilatéral et représente simplement un déni flagrant du droit international. Il apparaît ainsi que l’exercice du droit à la légitime défense en droit international obéit à des règles très strictes qui ont pour but de limiter le recours à la force unilatérale et de maintenir la paix ainsi que la sécurité internationales.
La revendication permanente d’Israël d’exercer son droit à la légitime défense unilatérale pour justifier les pertes considérables en vies humaines en Palestine et l’invasion du Liban sont qualifiées d’actions illégales en droit international. Il serait par conséquent compliqué de justifier des opérations militaires meurtrières sur la base d’un présumé risque d’agression, car nul ne peut être juge de sa propre cause.
Par Kahina Merzelkad , Docteure en droit international et avocate