Le ramadhan à Constantine : Une ambiance festive dans un environnement insalubre

25/03/2024 mis à jour: 19:55
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La vieille ville demeure la principale destination en ce mois sacré ( photo : El Watan)

 Depuis le début du mois, les rues sont envahies par une nuée de préparateurs et de vendeurs de confiseries 
traditionnelles et de sucreries qui s’adonnent à leur activité sur la voie publique, en toute quiétude.

 

Jeudi 21 mars 2024. On entame déjà la 11e journée du mois de Ramadhan par cette chaude journée de printemps. Il est à peine 11h. Les quartiers et les ruelles étroites de la vieille ville de Constantine grouillent de monde. Depuis le début du mois du jeûne, tous les coins ont été transformés en un  véritable marché à ciel ouvert. 

Des étals de confiseries, de sucreries traditionnelles, de bourek et de soupes spéciales prolifèrent, attirant comme des abeilles des consommateurs en quête de «douceurs» pour rompre le jeûne. Une atmosphère festive s’empare des lieux dont la chaleur monte avec le mercure. Les lumières scintillantes, les effluves sucrés et les cris des vendeurs créent un décor unique. 

De nombreux jeûneurs, en majorité des hommes au «ventre creux», s’agglutinent autour des étals, admirant «des pyramides» de samsa et des plateaux de produits aux différentes couleurs et saveurs, faisant couler la salive. Cependant, derrière cette ambiance festive se cache une réalité moins reluisante et souvent trompeuse. 
 

La prolifération des vendeurs informels exerçant dans une anarchie indescriptible et échappant à tout contrôle pose de nombreux et sérieux problèmes. Les règles d’hygiène sont le dernier souci de ces gens qui reviennent chaque année en cette période, durant laquelle les ventres sont «surexcités». 

Toute la journée, les produits sucrés et colorés sont exposés à la chaleur, à la poussière, aux insectes et à toutes sortes de saletés, sans aucune protection. Il est inutile de décrire les bousculades et les «bouchons» créés dans des ruelles étroites par des individus qui semblent emportés par une étrange vague d’hallucination sous l’effet conjugué de la faim et de la soif, poussant les commerçants à sortir leurs marchandises comme «des appâts» alléchants devant leurs échoppes. 

Les files d’attente interminables bloquent la circulation et agacent des riverains, déjà fatigués par les nuisances sonores sous les fenêtres de leurs habitations. Tous les ingrédients sont réunis pour un «cocktail d’anarchie» source d’un stress chronique. Si le consommateur est en grande partie responsable de l’expansion de ce commerce informel, la passivité et le laisser-aller des autorités locales face à ces manquements flagrants aux normes d’hygiène et de sécurité sont incompréhensibles, surtout en ce mois de Ramadhan où la santé publique n’est pas un jeu de gamins. 
 

Un phénomène qui se banalise

Cette ambiance créée par l’informel et le non-respect des normes d’hygiène n’est pas unique à la vieille ville, mais elle a été constatée un peu partout dans la wilaya de Constantine, particulièrement dans les quartiers populaires impénétrables par les services de contrôle. Notons à titre d’exemple la cité des frères Abbès (communément appelée Oued El Had) et la mégacité d’El Gammas, où les denrées alimentaires sont exposées sur des étalages sans être couvertes. Pis encore, les vendeurs ou les préparateurs des plats, chacun dans sa spécialité, bénéficient d’une publicité gratuite orchestrée par leurs relais sur les réseaux sociaux. 

Ce qui attire une nombreuse clientèle qui fait le déplacement rien que pour assouvir ses appétits. Le même constat est signalé dans les boulevards principaux, comme celui de Djebel Ouahch, dans la banlieue nord de Constantine, mais aussi ceux des communes de Didouche Mourad et Hamma Bouziane. «Certes, l’aspect économique et l’importance de ce commerce pour les jeunes chômeurs des quartiers de la vieille ville de Constantine sont autant de facteurs à prendre en considération, mais cela ne justifie en aucun cas le laisser-aller qui règne actuellement», fulmine un homme âgé agacé par les bousculades qui marquent le quotidien à la rue Sidi Nemdil, dans le quartier d’El Batha, dans la vieille ville de Constantine. Malheureusement, face à ce chaos, les autorités concernées semblent impuissantes. 

«La situation s’est inscrite dans la durée au fil des années, surtout que l’on a malheureusement tendance à banaliser ces mauvaises pratiques commerciales génératrices de saletés, au point d’en faire un charme incontournable du mois du Ramadhan dans la vieille ville. Alors que ce n’est pas vrai. Les commerçants ambulants ou autres existent partout, mais pas de cette manière», regrette notre interlocuteur. 

Certains accusent les autorités de laxisme, arguant que des raisons politiques motivent leur inaction. Et d’estimer qu’il est primordial de prendre des mesures pour réguler ce secteur et garantir la sécurité et l’hygiène des produits alimentaires. Car, il faut noter que le danger sanitaire n’est pas soulevé seulement durant une partie de la journée au niveau des quartiers de la vieille ville, tel que la rue Mellah Slimane, une partie de la rue Larbi Ben M’hidi (Trik Jdida), l’entrée de la rue Casanova, Sidi Bouanaba ou autres. 
 

Les vendeurs, dont la majorité représentent la jeune génération, travaillent en alternance, où dans l’après-midi, des quartiers sont envahis par les fameux vendeurs de «pizza ronde spécial Ramadhan» à 200 DA, et de la pâtisserie proposée dans des plateaux à l’air libre, dont la provenance est douteuse. Certaines pâtisseries sont préparées dans des ateliers clandestins et en l’absence des mesures de contrôle, ce qui peut provoquer des risques d’intoxication alimentaires collectives. «Durant la première semaine du Ramadhan, des jeunes ont squatté l’espace public pour vendre des moules de pizzas devant la mosquée El Wihda, située à la cité de Boussouf en l’absence des moindres conditions d’hygiène», a affirmé une femme habitant la troisième tranche de la cité Boussouf. Pourtant, ils sont nombreux ces vendeurs qui s’emparent de la voie publique, entravant et gênant la circulation piétonne garantie par les lois algériennes.
 

Des lois bafouées

Pourtant, côté loi, ce ne sont pas les textes réglementaires qui manquent. Notons à titre d’exemple le décret exécutif 17-140 promulgué en 2017. Ce texte est venu pallier les failles de la loi 09-03 relative à la protection du consommateur et à la répression des fraudes. Le décret régit les conditions et les normes d’hygiène pour la commercialisation d’une denrée alimentaire, tout en interdisant l’étalage et l’exposition des  produits en dehors du local. «Nous avons mis en place un dispositif, trois mois avant le Ramadhan, en renforçant les équipes sur terrain. 

D’ailleurs, les équipes ont été déployées 10 jours avant le Ramadhan. Nos inspecteurs sont dotés de ‘‘valisettes’’ d’équipements et d’outils pour une analyse sur place de la conformité ou non d’un produit», a déclaré à El Watan Fayçal Djeghim, chef de service protection du consommateur et répression de la fraude à la direction du commerce de la wilaya de Constantine. Il a ajouté que durant les dix jours précédant le mois de Ramadhan, les mêmes services ont mené 1592 sorties sur terrain, enregistrant 204 infractions suivies de procès verbaux de poursuites judiciaires. 
 

Les services de la répression de la fraude ont également effectué 25 prélèvements envoyés au Centre algérien du contrôle de la qualité et de l’emballage (CACQE) de Constantine, après proposition de fermeture administrative de quelques locaux commerciaux. La décision finale de fermeture revient au wali de Constantine. 

Les statistiques illustrent parfaitement les efforts de la direction du commerce. Hélas, la persistance de l’esprit de fraude est remarquable. Les mêmes services du commerce ont recensé durant les 10 premiers jours du mois de Ramadhan 989 interventions, aboutissant au signalement de 156 infractions et l’établissement de 154 procès verbaux de poursuites judiciaires. Ces interventions sont assorties d’une proposition de fermeture administrative de cinq locaux durant la même période, dont deux magasins ne respectaient pas les normes d’hygiène. 
 

Lutte sans relâche contre l’informel

Ce genre d’opération se poursuit toujours et demeure timide face au tableau offert par l’informel, mais aussi les commerçants qui changent d’activité durant ce mois, ce qui est formellement interdit, tout en exposant des denrées alimentaires en dehors des locaux, et sans aucune protection contre les saletés. «Il faut savoir que nos services contrôlent les vendeurs disposant d’un registre du commerce et ayant un local, à l’instar des marchés et autres. Cela ne nous empêche pas de mener des sorties dans le cadre des brigades mixtes avec les éléments de sécurité, conformément à nos compétences bien sûr, pour le cas du commerce informel», a souligné Fayçal Djeghim, concernant leur champ d’intervention. Le même responsable a tenu à préciser que les activités informelles ont connu une baisse considérable dans certains endroits, à l’instar de la circonscription administrative d’Ali Mendjeli, suite aux interventions des éléments de la sûreté. 

En attendant plus d’effort, des habitants, particulièrement ceux des quartiers populaires et de la vieille ville de Constantine doivent composer avec cette ambiance festive «imprégnée» d’insalubrité, où même des agents des services censés lutter contre ce fléau viennent eux-mêmes s’en approvisionner. En conclusion, le phénomène de la prolifération des vendeurs de confiseries et de sucreries traditionnelles durant le Ramadhan est vraiment complexe et nécessite une intervention multisectorielle. Il est crucial de trouver un équilibre entre la préservation des traditions culinaires de la ville et la garantie de la santé publique. 

Cela pourrait se faire par la mise en place d’un système de contrôle et d’inspection des produits alimentaires, la délimitation des espaces de vente et de régulation du nombre de vendeurs, l’organisation de campagnes de sensibilisation sur les règles d’hygiène, avant l’application des sanctions prévues par la loi en cas d’infraction.                    

Reportage réalisé par Yousra Salem

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