Le projet de loi sur la monnaie et le crédit implique des transformations macroéconomiques et structurelles importantes

06/03/2023 mis à jour: 07:10
5228

Le projet de Loi sur la monnaie et le crédit (LMC) propose un cadre juridique nouveau sur lequel devrait être ancrée une nouvelle architecture financière et monétaire, dont la mise en place effective implique des transformations stratégiques, macroéconomiques et structurelles longtemps reportées.

Au centre de la problématique du pays se trouve un modèle de développement en panne et en total décalage avec les nouvelles réalités du pays et du monde fondé sur : (1) le rôle central de l’Etat en matière de redistribution de la rente pétrolière (en baisse tendancielle) par le biais de subventions budgétaires insoutenables et mal ciblées ; (2) un réseau d’entreprises publiques inefficientes disposant d’une position de monopole dans leurs secteurs respectifs ; et (3) un édifice financier, monétaire et de change qui bloque la croissance économique et l’emploi dont a énormément besoin l’Algérie. Dans ce contexte, le projet de LMC propose un cadre juridique pour une nouvelle architecture moderne sur les plans financier, monétaire et de change dont la mise en place offrira les fondations d’un nouveau modèle de développement à bâtir avec patience et résolution. En termes pratiques, l’opérationnalité de la future LMC implique ipso facto : (1) des réformes incontournables sur les plans macroéconomique, structurel et sectoriel ; et (2) l’intégration de ces réformes dans le contexte d’une stratégie à long terme de création d’une économie productive, diversifiée, résiliente et inclusive. Discutons de ces points.

La croissance économique est fortement contrainte par des défis financiers, monétaires et de change.

Les défis monétaires : Incluent : (1) le blocage du canal de transmission de la politique monétaire (canal inefficient et lent qui complique la gestion du niveau de liquidité et le développement du secteur financier et rend le signal de la politique monétaire indéchiffrable) ; (2) le manque de profondeur du système bancaire; et (3) la dualité du marché des changes (officiel et parallèle) qui complique la gestion macroéconomique ; et (4) la faiblesse du processus de stérilisation de la liquidité en contexte de monétisation du déficit budgétaire.

Les défis compliquant la politique de change : Incluent l’existence d’un marché parallèle de change profond et une monnaie nationale éloignée de sa valeur d’équilibre et qui érode la confiance des agents économiques. Ces distorsions traduisent l’asymétrie du marché interbancaire des changes, le flou entourant la libre convertibilité des paiements et transferts afférents aux transactions internationales courantes, la rigidité du régime de flottement dirigé, un secteur financier réprimé et faiblement intégré au système financier international et l’absence de politiques budgétaire et structurelles de soutien.

Les défis financiers : Concernent : (1) la faiblesse de la supervision bancaire ; (2) l’absence de capacité de gestion des crises financières ; (3) la gestion des risques en matière de crédit et liquidité au niveau des banques; (4) la gouvernance des banques publiques ; (5) l’inefficacité et le coût élevé des programmes de crédit subventionnés gérés par les banques publiques ; (6) la mauvaise conception et le manque de ciblage des subventions au logement et des prêts subventionnés aux petites et moyennes entreprises ; (7) l’absence de cadre réglementaire pour la microfinance privée ; (8) l’inefficience des mécanismes de garantie publique pour les régimes de crédit ; (9) un système bancaire sous-performant et sous perfusion ; et (10) le sous-développement des paiements numériques.

Contenu et analyse du projet de LMC

Contenu : Le nouveau texte propose une nouvelle architecture financière, monétaire et de change dont les piliers sont :  (1) la bonne gouvernance : (i) de la Banque d’Algérie (articles13,14, 20 et 28) ; (ii) du conseil de la monnaie et du crédit (articles 60-63) qui doit désormais accompagner de nouveaux acteurs de l’environnement bancaire (banques d’affaires, banques digitales, prestataires de services de paiement et intermédiaires indépendants de courtage et bureaux de change) ; et (iii) des banques et établissements financiers qui doivent se doter de règles internes de gouvernance solides (articles 96, 97, 98, 99,102, 106 et 106) ; (2) le renforcement de la supervision des banques et établissements financiers : (articles 115-131) en transformant la commission bancaire en autorité de supervision, seule habilitée en matière de gestion des risques (dont le risque de crédit) ; (3) la promotion de la stabilité financière : avec la création d’un comité de stabilité financière, chargé de la surveillance macroprudentielle et la gestion des crises (articles 161-164). En outre, un nouvel outil (Apport de liquidité d’urgence) est proposé pour appuyer en dernier ressort toute banque solvable faisant face à des besoins temporaires de liquidité (article 46); (4) l’inclusion financière par le biais d’un renforcement des paiements afin de bancariser les transactions (les articles 162-164 prévoient un Comité national des paiements, chargé de l’élaboration du projet de stratégie nationale de développement des moyens de paiement scripturaux) ; (5) l’encadrement du financement monétaire : (articles 47-48) par la mise en place d’un découvert (plafonné à 10% des recettes ordinaires pour une durée maximale de 240 jours) ainsi qu’une avance de la Banque d’Algérie au Trésor public ; (6) le renforcement du canal de transmission de la politique monétaire : relatifs aux nouveaux instruments de politique monétaire (articles 42-44); (7) l’unicité du taux de change : (article 144) ; (8) l’octroi d’instruments de gestion adaptés à la finance islamiste et finance verte (articles 70,71 et 72); (9) un renforcement de la gestion des risques par le biais de la création d’une centrale des risques et des impayés (articles 105-109); (9) La numérisation de l’activité bancaire : avec des banques digitales, des prestataires de services de paiements et la monnaie électronique comme moyen de paiement (articles 89, 90 et 104); (10) la sécurisation des paiements : qui devra désormais couvrir aussi les systèmes de compensation, de règlement et de livraison des instruments financiers (articles 57-59); (11) l’encadrement de l’endettement extérieur (articles 146-148) ; et (12) l’encadrement de la profession bancaire (article 104) .

Analyse : notons : (1) la singularité de la démarche qui consiste à établir le cadre juridique avant les  transformations radicales subséquentes pour le rendre opérationnel alors que l’inverse aurait été une approche plus pragmatique ; (2) l’opérationnalité de la nouvelle loi implique : (i) un énorme travail sur le plan juridique ; (ii) de multiples réformes ambitieuses macroéconomiques (meilleur mix et cohérence des politiques macroéconomiques) et structurelles (réformes des banques, des entreprises publiques, numérisation de l’économie, diversification des activités et des sources de financement) accompagnées d’un sequencing détaillé ; et (iii) une forte capacite technique et administrative ; et (3) aucune référence à une indépendance de la Banque d’Algérie qui lui permettrait d’exercer sa mission de lutte contre l’inflation sans influence politique.

L’ouverture des bureaux de change en Algérie et le taux de change unique. Deux exemples pour souligner l’ampleur des implications du projet de LMC.

La question des bureaux de change :

Leur rôle : l’achat et la vente de devises internationales. Ils se rémunèrent grâce à la marge (spread) supérieure par rapport au prix auxquels ils achètent des devises. En règle générale, les bureaux de change facturent également une commission en plus du spread. La valeur d’une monnaie résulte ainsi de l’interaction de l’offre et de la demande.

Les bureaux de change et la convertibilité du dinar ont déjà été adoptées : Entre autres réformes entreprises dans le cadre de l’accord de standby (1994-1995) et de la facilité élargie de crédit (1995-1998) du FMI, les autorités algériennes avaient consenti dès septembre 1997 à l’ouverture de bureaux de change et à la convertibilité du dinar algérien au titre des transactions du compte courant (achat de devises étrangères pour voyages, études et soins à l’étranger). Cependant, vu le faible niveau des réserves de change à fin 1997 ($8 milliards et des importations de $11 milliards), les autorités algériennes avaient demandé à juste titre le report de ces deux dernières mesures. Toutefois, ce report dure jusqu’à ce jour bien que le pays eût accumulé des réserves internationales de changes atteignant $198 milliards en 2012.

L’ouverture des bureaux de change doit être accompagnée par une convertibilité du dinar.  Certaines conditions préalables doivent être établies pour que les démarches vers la convertibilité aient une chance raisonnable de succès, notamment : (1) un taux de change réaliste ; (2) des politiques monétaires et budgétaires cohérentes et crédibles ; (3) un niveau adéquat de réserves internationales ; et (4) l’élimination de la plupart des contrôles de prix. Les trois premiers sont nécessaires pour garantir que la suppression des restrictions n’entraîne pas un affaiblissement insoutenable de la balance des paiements et éventuellement une inversion du mouvement vers la convertibilité du compte courant. La quatrième est nécessaire pour s’assurer que la convertibilité se traduise par une plus grande efficacité via un alignement de la structure des prix relatifs intérieurs sur ceux qui prévalent sur le marché mondial.

La question du taux de change unique

Le taux de change unique implique l’élimination du marché parallèle. Le marché des changes de l’Algérie se caractérise par une dualité de compartiments (officiel et parallèle) depuis de longues années. La remontée des prix du pétrole depuis 2000 et l’accumulation de réserves de change significatives combinées à une politique de change plus active n’ont pas contribué à l’élimination de ce marché parallèle. En fait, le choc pétrolier de 2014 lui a permis d’acquérir de la profondeur et de la sophistication. En dernière analyse, le marché parallèle est entretenu par de nombreuses distorsions, notamment la persistance des restrictions commerciales et externes (injustifiés d’ailleurs), une gestion macroéconomique inefficiente, des réformes structurelles inachevées relatives à la baisse de la protection tarifaire et à la diversification des exportations, la recherche par les agents économiques d’une valeur refuge face à l’érosion continue de la monnaie nationale et la résistance aux réformes.

Les distorsions résultant d’un taux de change considérablement surévalué sont préjudiciables au développement économique. Un tel taux exclut certains agents économiques de l’accès à la devise internationale, décourage l’épargne étrangère, favorise les surfacturations des importations et les sous-facturations des exportations, réduit les recettes fiscales de l’Etat, empêche une certaine profondeur du marché interbancaire des changes et encourage les pratiques frauduleuses.

Ce que les expériences internationales nous enseignent en matière d’unification des marchés de change. (1) En raison des diverses transactions dénouées sur le marché parallèle (transactions de compte courant, transactions en capital légitimes et/ou transactions illégales), le taux établi sur le marché parallèle n’est pas le taux d’équilibre ; (2) Un taux d’équilibre du marché n’exige pas nécessairement l’adoption d’une politique de taux de change flottant. Les autorités peuvent être en mesure de veiller à ce que l’offre et la demande soient équilibrées à un taux de change fixe (le cas de certains Etats du Golfe) ou dans le cadre d’un régime de taux de change flottant géré ou en utilisant des instruments et des politiques autres que les opérations de change pour influencer le taux de change ; (3) La décision de faire bouger de façon rapide le taux de change officiel à un niveau de rencontre entre l’offre et la demande n’entraine pas nécessairement la chute abrupte de la valeur de la monnaie à condition de se doter d’une politique monétaire resserrée et d’une politique budgétaire appropriée. Une approche progressive est toujours plus risquée ; et (4) il faut se donner un certain temps pour que l’unification des taux de change se normalise.

Comment unifier les marchés de change officiel et parallèle ? L’élimination à terme de la dualité du marché des changes (une œuvre de longue haleine) est un objectif à long terme qui s’articulerait autour de 4 grands axes : (1) un premier axe à court terme (12 mois) visera la réduction de l’écart entre le taux officiel et le taux parallèle ; (2) un second axe (moyen terme) devra renforcer le fonctionnement du marché officiel de change ; (3) un troisième axe (moyen terme) a pour objectif d’assécher les sources d’offre du marché parallèle ; et (4) un quatrième axe (long terme) permettra d’unifier les deux compartiments du marché des changes par le biais d’une libéralisation du compte capital de la balance des paiements pour faire bénéficier le pays d’entrées de ressources extérieures.

La conception, le suivi et le recalibrage des réformes macroéconomiques et structurelles sont cruciaux. De ce fait, il serait opportun : (1) d’étaler les réformes sur 3-5 ans vu leur complicité, leur interdépendance et les résistances qu’elles vont susciter de la part d’intérêts bien enracinés ; (2) d’assurer une bonne conception et conduite des réformes avec calibrage constant pour les adapter aux changements des circonstances ; et (3) de déployer une politique de communication portant sur les objectifs des réformes, les contraintes rencontrées mais aussi les progrès accomplis. Le prolongement international de cette communication régulière doit être assuré par le réseau diplomatique du pays qui devrait désormais inclure des missions économiques.  

A. B.

Expert international 

Copyright 2024 . All Rights Reserved.