Le musée Zabana organise une rétrospective sur le parcours de Nouredine Belhachemi : Une passion artistique doublée d’une curiosité intellectuelle

21/10/2024 mis à jour: 15:45
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Nouredine Belhachemi

D’abord, une rétrospective de ses œuvres à travers le vernissage d’une exposition, puis la vente-dédicace de son livre intitulé Peinture Aouchem, un patrimoine visuel en question, un ouvrage qui lui tient particulièrement à cœur.

 L’exposition en question est un aperçu global de son travail, même si une bonne partie des œuvres exposées sont récentes entre 2023 et 2024.  Le visiteur est amené à faire le tour de ses inspirations débordantes mais aussi des techniques utilisées oscillant entre les huiles sur toile, les acryliques, les aquarelles, les collages et autres techniques mixtes. Un coin de l’exposition est réservé à sa collection privée. «Ce sont des travaux qui me tiennent à cœur et dont je ne m’en séparerai jamais car réalisés durant la décennie noire», indique-t-il. Ressentie au plus profond de lui-même, la tragédie l’avait presque empêché de peindre lui qui était juste auparavant considéré comme un peintre flamboyant d’illumination. 


LE DÉSIR DE L’EXTERIORISATION 
 

Peintre de l’émotion pure, il était à ce moment-là presque revenu à l’enfance comme l’attestent certaines représentations de monstres d’apparence naïve mais qui traduisent sans doute les tout premiers cauchemars imprimés dans le subconscient. 

Le désir d’extériorisation était alors total. Cette parenthèse malheureuse ne l’a pas poussé à l’exil malgré les sollicitations. Il en tire une certaine fierté encore aujourd’hui malgré les difficultés liées à la vie d’artiste en Algérie. Ses capacités d’émerveillement sont restées intactes et un des tableaux le prouve particulièrement bien. Œil de Hubble, ce tableau en acrylique sur toile de dimension moyenne est une inspiration artistique en résonnance avec l’exploration de l’espace profond (deep space) faite par le télescope en question, découvreur d’objets interstellaires aux dimensions inimaginables et aux noms évocateurs de «piliers de la création» ou de «montagne mystique», etc. 

Cependant, Belhachemi ne peint pas en illustrateur et la vision qu’il donne à voir n’est peut-être que le reflet de sa propre intériorité. Ses rêveries et sa sensibilité hors pair ne l’empêchent pas d’être dans son temps. 

Concernant l’événement, l’intériorité de sa création artistique riche et diverse est ainsi complétée par l’extériorité de son sens critique et le regard qu’il pose sur l’art en général et sur la peinture algérienne en particulier. L’artiste, natif de Sidi Chahmi à Oran, est l’un des plus talentueux de sa génération. En tant qu’enseignant, à 70 ans, c’est seulement cette année qu’il sort en retraite après 45 ans de loyaux services. Il n’avait que 16 ans et demi lorsqu’il rentre en tant qu’élève à l’Ecole des beaux-arts d’Oran.  

Il est diplômé des Ecoles des beaux-arts d’Oran, mais aussi d’Alger, et sa formation s’est poursuivie en France où il a également décroché un DEA en arts plastiques à l’université Paris VIII. Il compte aussi, à son actif, trois années doctorales (faculté des arts et des lettres de l’université de Mostaganem) ainsi qu’un poste de chercheur au Crasc (Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle) entre les années 2008 et 2013. N’ayant jamais cessé de peindre, ses tableaux ont été exposés un peu partout dans le monde. Il a sans doute raison de dire sans ambages : «A mon âge, en fin de carrière, une façon de parler, car un artiste ne sait jamais lorsqu’il va s’arrêter de peindre ; je suis scandalisé par ceux qui, organisateurs de manifestations culturelles, journalistes ou gens du métier, me disent : ‘’M Belhachemi, donnez-nous votre CV !» 


INTÉRÊT D’UN DICTIONNAIRE DES ARTISTES

Ce sentiment traduit la place peu enviable qu’ont les beaux arts dans la société d’aujourd’hui, et c’est ce qui le révolte non pas pour sa personne mais pour l’ensemble des artistes, du moins les plus créatifs d’entre eux. Il évoque l’intérêt d’un «dictionnaire des artistes algériens» comme celui édité par Mansour Abrous qui, au passage, lui a consacré une page entière. «Je ne le remercierai jamais assez pour ce travail colossal et professionnel où, me concernant, j’ai trouvé des écrits anciens dans El Moudjahid par exemple (car j’écrivais depuis mon jeune âge) dont moi-même je n’avais aucun souvenir», nous indique-t-il agréablement surpris. 
Ses contributions dans les journaux et les périodiques algériens sont innombrables. Il a également exposé très jeune. «Au début des années 1980, j’étais parti en Chine et j’ai exposé avec Issiakhem, Khadda, Martinez, bref,  les grands de la peinture algérienne», se remémore-t-il pour ce cas précis, mais pouvant citer un très large éventail d’autres artistes anciens ou nouveaux avec lesquels il a partagé l’affiche à un moment ou un autre de son parcours. Son amour pour l’art n’a pas de limites, et c’est ce qui le fait réagir à chaque occasion. 


Une passion artistique doublée d’une curiosité intellectuelle qui lui fait rencontrer des chercheurs universitaires, comme le regretté Hadj Meliani (1951-2021) avec lequel il a collaboré à l’université et sous la direction duquel il a effectué des années de recherches pour aboutir au livre en question ou le sociologue Abdelkader Djeghloul (1946-2010) qui a été à l’initiative de l’organisation en 1982 du «premier séminaire national sur les arts plastiques» au CDSH qui deviendra CRIDSSH (Centre de recherche et d’information documentaires en sciences sociales et humaines), aujourd’hui fermé. 

Il constate un manque terrible de réflexion sur l’art et se désole du fait que les formations à l’université dans ce domaine soient globalement réduites aux aspects pratiques (ateliers), «des Ecoles de beaux-arts bis», selon sa propre formulation. «Je suis, ajoute-t-il, peiné de constater que des collègues enseignants ne savent rien sur le groupe Aouchem, alors qu’à mon sens c’est la première école picturale autonome algérienne et sa mise sur pied remonte à 1967 à la galerie Racim, à Alger». Il cite quelques-uns des neuf peintres fondateurs que sont Mesli, Adane, Saadani Martinez, Baya, Benbaghdad, Zerarti, Dahmani, Abdoune. 


Il y en aura d’autres parmi lesquels Ali Silem qui, note-t-il, «voit dans les innovations du groupe une résistance contre les trois tendances dans la peinture algérienne qu’étaient, primo, la pratique d’un art abstrait d’influence occidental amnésique des spécificités orientales et africaines, secundo, l’arrière-garde médiocre traitant de sujets exotiques et pittoresques au mépris de la véritable culture, mais aussi, et tertio, de la tendance naissante et déjà dans l’impasse concernant une certaine idée du patriotisme qualifiée de réalisme patriotard». 

Une école qui n’a pas manqué de susciter un débat houleux à son époque, mais c’est le propre de toutes les innovations de se heurter à des résistances. 
                                  

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