Le marché de l’art en débat à la galerie Guessoum à Alger : «le marché de l’art est simple et compliqué à la fois»

21/10/2024 mis à jour: 03:39
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De gauche à droite, les artistes Rachid Nacib, Moncef Guita, Mustapha Nedjai et Karim Sergoua (Photo : H. Lyes)

A la faveur d’une intéressante et passionnante rencontre- débat, organisée, samedi dernier, à la galerie d’art Guessoum, à Alger, les nombreux convives ont pu suivre les interventions d’une haute portée intellectuelle de quatre artistes peintres et plasticiens algériens de renom, à savoir Karim Sergoua, Mustapha Nedjai, Moncef Guita et Rachid Nacib. Les communicants ont essayé de répondre à la question suivante : existe-t-il un véritable marché de l’art en Algérie  ? 

Les artistes ont donné leur appréciation avec à l’appui, toutefois, des argumentaires mitigés. Pour ces quatre artistes à la longue carrière - auréolée de succès -, le marché de l’art peut être défini comme un système d’offre et de demande qui relie les nombreux acteurs du monde de l’art, dont entre autres les galeries d’art, les maisons de vente, les collectionneurs d’art, les musées, les commissaires-priseurs, les salles de vente, les critiques d'art et les experts. 

L’artiste peintre et plasticien Karim Sergoua est convaincu que le marché de l’art en Algérie est quasiment inexistant. Ce qui se profile, actuellement, sur le marché est fait d’une manière anarchique. «L’Etat doit être présent. Il faut qu’il y ait une véritable politique culturelle bien claire avec des lois précises.

 L’artiste doit avoir, aussi, ses droits. Il faudrait qu’il y ait des spécialistes de l’art et des institutions, spécialisés, comme cela se passe dans le monde. Les industriels se doivent  aussi d’être présents. L’Etat doit aider les artistes. L’art doit s’épanouir et s’agrandir. Il doit avoir une connexion avec entre autres les musées et les galeries. Le marché de l’art suppose une longue chaîne d’actants. C’est l’affaire de l’écho-système. S’il y a quelque chose dans le maillon qui va mal.» 

Notre orateur rappelle que par le passé, le ministère de la Culture et des Arts avait convié certains artistes à travailler sur un projet pendant trois ans. «Hélas, cela n’a rien donné. Il y a cinq ans, il y a eu l’organisation d’une grande exposition à Alger qui n’a pas marché. 


L’URGENCE D’UNE POLITIQUE CULTURELLE

Le marché de l’art ne se limite pas à vendre une peinture. Là, il y a urgence, car il y a une anarchie totale», lance-t-il sur un ton passionnant. Il plaide pour que l’Etat soit le premier client. Dans la foulée, Karim Sergoua déplore la disparition des commissions des musées et du Grand Prix de la ville d’Alger, institué en 1984. Abondant dans le même sens, l’artiste peintre, plasticien, scénographe et écrivain algérien, Mustapha, soutient qu’un marché de l’art est palpable si vous le sentez et vous le subissez. «Là, il y a absolument rien sur le marché algérien. Ce n’est pas la première fois que le sujet est abordé. Nous avons fait des séances de travail avec trois ministres qui se sont succédé. 

Cela fait deux décennies qu’on parle du marché de l’art. Ce dernier est simple et compliqué à la fois. On schématise : si on fait une pyramide, vous avez la pointe de l’iceberg, c’est les artistes, et toute la pyramide est vide. C’est pour cela qu’on tourne en rond. 

C’est toujours nous-mêmes, en tant qu’artistes, nous parlons de quelque chose dont on ne peut rien faire. On a déjà lancé, aussi, le débat au niveau de facebook… mais en vain», explique-t-il. Avec la franchise qu’on lui connaît, Mustpaha Nedjai est persuadé que de son vivant, il ne verra pas l’instauration du marché de l’art en Algérie. «Je vous dis pourquoi ? Ce n’est pas du pessimisme. Un marché de l’art a des acteurs principaux avec ses commissaires-priseurs, ses critiques d’art, ses galeries, ses experts… et j’en passe. C’est le fondement même du marché de l’art. S’il n'y a pas ce monde. On ne peut pas coter les artistes. 

C’est un travail de fond», nous confie-t-il en aparté. Ce spécialiste avisé rappelle que souvent, quand on parle du marché l’art, on néglige une partie majeure : le public qui est d’une importance cruciale. Toujours selon notre interlocuteur, si on n’a pas une éducation artistique à partir du primaire, jusqu’à l’université, on aura jamais ce public. «On retrouve toujours les mêmes têtes dans les expositions. Ceux qui aiment l’art et les artistes. Rarement, vous trouvez de nouvelles personnes. Il y a des jeunes qui peuvent avoir 18 ans ou 40 ans qui n’ont jamais visité de galeries. Cela est le rôle de l’école de sensibiliser les enfants. 

On doit même introduire dans les manuels scolaires l’art. Maintenant, pour ce qui est l’art en lui-même ou le marché de l’art, il y a des acteurs principaux dans cet univers, à commencer entre autres par les galeristes, les commissaires-priseurs. Il y a tout un monde autour de l’artiste qui n’existe pas de nos jours chez nous. On n’a même pas la formation de ces gens. Pour définir un marché de l’art, il faut d’abord avoir une politique culturelle claire.» 


L’IMPORTANCE DU PUBLIC

Poursuivant son argumentaire, notre plasticien est de l’avis que l’Etat doit encourager toute initiative privée, même la subventionnée. Donner des lieux de productions et de diffusions. «Vous vous rendez-compte le nombre d’espace qui ne sont pas utilisés. Pourquoi ne pas les donner à des artistes qui veulent créer des biennales ou encore de grandes galeries. L’Etat ne doit pas être un acteur de la culture mais une vision. Il faut encourager les artistes.» 

Dans une autre approche, l’artiste peintre, sculpteur et poète Moncef Guita, atteste que le marché de l’art existe à l’état embryonnaire en Algérie. Il est convaincu, que le marché prendra de l’ampleur. Pour lui, la définition même du marché de l’art, c’est la rencontre de quelqu’un qui présente un produit à vendre avec en face de lui un acquéreur. Il indique qu’il y a quand même vente de tableaux à l’échelle nationale. «Je ne dis pas que cela se fait dans la transparence, mais je dis qu’il y a des acquéreurs et des collectionneurs. Il faut essayer de canaliser un peu les ventes», argue-t-il. 

Lui emboîtant le pas, l’artiste peintre Rachid Necib révèle que le marché de l’art est une nébuleuse. Parlant de sa propre expérience en tant que conseiller spécial de l’ex-ministre Nadia Labidi, l’intervenant révèle qu’il y a dix ans, le ministère et certains artistes avaient créé une dynamique pour une éventuelle tradition d’acquisition d’œuvres par l’Etat. «La vente se fait là où il y a les moyens. J’avais visé, à l’époque, les banques, les opérateurs économiques étrangers et nationaux pour donner l’exemple lors d’une vente dans une exposition que j’avais créée au siège de l’UGTA. Pour la symbolique que l’artiste est un travailleur. 

Cela n’a pas suivi puisque à chaque gouvernement, on efface tout et on redémarre. Le marché de l’art est une nébuleuse. Il concerne, entre autres, la brocante, les musées, les galeries. Autour de cela, il faut qu’il y ait une bonne production artistique. On ne peut pas créer un marché de l’art avec un niveau moyen. 

Le mieux est d’avoir un travail de qualité. Il faut, en outre, que le marché parallèle soit structuré. Il faut qu’il rentre dans une dynamique de politique culturel. L’Etat doit faire l’acquisition de certaines œuvres pour encourager les artistes.» 
 

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