Latifa Bennari. Fondatrice et présidente de l’association l’Ange bleu : «Ne pas céder au chantage quelle que soit sa nature»

12/04/2023 mis à jour: 04:51
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Latifa Bennari est la fondatrice et présidente de l’association l’Ange bleu, créée en 1998 afin de venir en aide aux victimes de pédophilie. Elle active en France et en Algérie. Elle est auteur de deux ouvrages : La Fin d’un silence, pédophilie, une approche différente et Pédophiles, ex-auteurs, victimes, Méthode Latifa. 

 

-Quels sont les dangers auxquels sont confrontés les enfants sur internet ? 

L’utilisation d’internet par les enfants et les adolescents sans contrôle représente pour eux un grand risque d’addiction d’une part, et de dérives virtuelles d’autre part. Les protagonistes de la pédocriminalité sans frontières produisent de plus en plus de photos et de vidéos avec des victimes dont la moyenne d’âge est de plus en plus basse. Lorsque l’on évoque la «pornographie infantile», nous avons tendance à penser que ce sont les mafias organisées qui alimentent les réseaux. Force est de constater que la majorité des acteurs est bien souvent un proche de la victime, contactée soit par le biais des jeux à distance ou de personnes issues de la même famille. Les infractions se multiplient : exploitation virtuelle, passage à l’acte, production, diffusion avec parfois arrangement financier ou chantage…
 

-La pédophilie et les atteintes aux personnes connaissent une constante augmentation, comment analysez-vous la situation ? 

Juste un éclairage sur le terme pédophilie. La pédophilie désigne une attirance sexuelle ou amoureuse figée et fixée inclinée vers les enfants prépubères. Un pédophile n’est pas forcément un agresseur. Les crimes sexuels ne sont pas exclusifs aux pédophiles. Un grand nombre de délinquants sexuels condamnés ne sont pas pédophiles en termes étymologique. Beaucoup d’auteurs passent à l’acte par défaut ou par manque de contrôle. 

-Comment assurer la protection des enfants et des jeunes adolescents qui sont souvent addicts à internet ? 

Nous sommes face à un nouvel inconnu sans visage et encore plus dangereux dans la mesure où il réussit à pénétrer dans l’intimité des enfants à l’insu de leur parents ou proches sans se montrer. Malheureusement, ces mineurs qui sont les proies des prédateurs maîtrisent souvent et paradoxalement internet mieux que leurs aînés et particulièrement les parents. Les utilisateurs d’internet sont de plus en plus précoces, et par conséquent le danger est de plus en plus grand. Il faut commencer par la vulgarisation du sujet et le dialogue avec les enfants avec les mots adaptés à chaque âge. 

La meilleure manière d’assurer leur protection réside dans la sensibilisation en milieu scolaire, à travers les campagnes de sensibilisation visant les parents et les enseignants. Des mesures et des moyens gouvernementaux sont aussi nécessaires pour une meilleure prévention. Une recrudescence des demandes d’aide via ma «hotline» («ligne téléphonique directe») émane des parents de très jeunes victimes en Algérie, exploitées physiquement ou virtuellement. Notons que les signalements et les mesures judiciaires qui s’imposent en cas d’abus virtuel sont rares, voire impossibles. 

Sachez que plus vous porterez plainte rapidement, plus important sera le nombre de victimes potentielles que vous arracherez des griffes de votre prédateur et que vous sauverez ainsi du suicide auquel aboutissent les victimes les plus fragiles psychologiquement. Pour les victimes des cyberprédateurs, je conseille qu’elles ne paniquent pas et essayent de garder la tête froide. Il faut enregistrer la plus grande partie des échanges, même ceux qui semblent les plus anodins. 

Ne pas céder au chantage quelle que soit sa nature. Ne pas se soumettre aux ordres ou aux pressions même sous la menace de diffusion ou de partage des photos ou vidéos. Et surtout ne pas manifester de crainte ou d’inquiétude face au bourreau. La victime peut à son tour menacer de révéler toute la vérité aux parents. Il est aussi important de ne pas avoir honte ou peur de se confier sans tarder à aux personnes de confiance, les parents ou frères et sœurs. 

Entretien réalisé par  Nassima Oulebsir

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