Les chocs externes déstabilisent les économies du Maghreb qui doivent toutes engager des réformes structurelles pour renforcer leur résilience et diversification.
L’économie mondiale fait face à de multiples chocs, notamment des niveaux d’inflation jamais vus depuis quatre décennies déclenchant un resserrement des politiques monétaires des grandes banques centrales (avec des conséquences graves), l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le ralentissement en Chine et la persistance de la pandémie de COVID-19. Ces chocs pèsent lourdement sur les perspectives économiques mondiales. Déjà, de nombreux pays font face à un ralentissement de la croissance et/ou d’un recul marqué. C’est le cas des pays de la région Maghreb qui doivent de plus faire face à la forte appréciation du dollar américain qui renchérit le coût des importations, déclenche des pressions additionnelles sur les prix domestiques, aggrave la crise du coût de la vie et placent les dettes publiques sous stress. Les pays importateurs de pétrole du Maghreb (Maroc, Mauritanie et Tunisie) sont durement touchés par ces chocs et font face à des factures énergétiques et alimentaires insoutenables, déstabilisant ainsi leurs comptes extérieurs et l’environnement social. A contrario, les pays exportateurs de pétrole (l’Algérie et la Libye) sont en mesure d’amortir les chocs externes en raison de recettes d’exportations des hydrocarbures en hausse. Sans pour autant épargner les finances publiques. Dans un tel contexte externe et interne, l’articulation de politiques publiques n’est pas sans poser de nombreux défis et implique un mix macroéconomique précis. Cet article va donc discuter de l’environnement externe international sur les plans macroéconomique et géostratégique, analyser les performances économiques et financières des pays du Maghreb en 2022 et passer en revue les perspectives pour 2023 avant de souligner les grands axes des politiques publiques à court et moyen terme. Les perspectives économiques mondiales sont défavorables en filigrane d’un contexte de guerre en Ukraine et de nombreux risques macroéconomiques et géostratégiques. A ce sujet, notons :
Les risques macroéconomiques
L’entrée en phase de ralentissement des trois pôles de croissance mondiaux (États-Unis, Union Européenne et Chine) en raison, entre autres, de la hausse des taux d’intérêt et des risques grandissants d’une récession en 2023, notamment après la quatrième augmentation par la FED de 0,75 points de pourcentage son taux directeur (qui est désormais de 4%). La croissance du PIB mondial devrait ainsi baisser à 3,2 % en 2022 et 2,7 % en 2023.
Les prix très élevés des matières premières et des denrées alimentaires. Selon le FMI, ces derniers devraient augmenter de 14,2 % à fin 2022 et se situer à environ 80 % au-dessus de leur niveau moyen de 2019. De tels prix posent des risques sérieux de sécurité alimentaire au Maghreb. Quant aux prix du pétrole (dont la moyenne est de 98,2 $ le baril pour 2022), ils enregistrent une hausse de 41,2 % par rapport à 2021.
Un clivage entre les exportateurs et les importateurs de produits de base. Si les premiers vont bénéficier de la hausse des prix des produits de base et renforcer leurs espaces budgétaires et consolider leurs comptes extérieurs, a contrario les pays importateurs vont subir une forte détérioration de leurs termes des échanges qui va exacerber leurs déséquilibres macroéconomiques et transférer des flux de richesse en direction des pays exportateurs et du système financier américain.
L’appréciation du dollar (de 20% par rapport aux devises majeures), est un facteur de déstabilisation économique de nombreux pays (alourdissement du poids de la dette extérieure, même si cette dernière est en monnaie locale, sortie des capitaux à court terme des pays émergents, etc.).
La nature de l’inflation : le ralentissement de la mondialisation, la montée des régimes nationalistes, la perturbation continue des circuits d’approvisionnement, la transition écologique et la nature complexe des facteurs de l’inflation (demande excessive, coûts de production en hausse et marges de profits indécentes) font entrer le monde dans un phase d’inflation élevée et volatile qui ne sera pas facile à contenir à 2% de sitôt.
Les risques géostratégiques :
Au niveau mondial : inclusion faite du changement climatique, de la désorganisation des chaines de valeur mondiales, de la numérisation de l’économie, des mouvements migratoires et des découplages géopolitiques et géoéconomiques.
Au niveau maghrébin : trait d’union entre l’Afrique et l’Europe, le Maghreb est une zone stratégique autour de laquelle gravitent de nombreux enjeux internationaux, y compris sur les plans énergétique, sécuritaire, économique et en termes d’émigration Sud-Nord. Au centre de cet ensemble, l’Algérie est incontournable.
Situation économique et financière des pays du Maghreb en 2022 et projections pour 2023.
L’économie algérienne en 2022 ou des atouts importants à consolider. Le choc énergétique a été favorable dans un certain sens. La hausse des prix du pétrole (une moyenne de $98,2 le baril pour l’année) et une augmentation des prix et du volume de gaz, combinées à une bonne tenue de la production céréalière sont les drivers d’une amélioration de la croissance économique et du compte courant de la balance des paiements. Ajoutons un endettement extérieur insignifiant, l’Algérie dispose d’atouts pour affronter 2023 et le futur en prenant en charge par le biais d’un traitement structurel les autres défis de l’inflation et de la viabilité des finances publiques.
Analyse comparative avec les pays du Maghreb en 2022 : Les projections macroéconomiques du FMI en octobre font apparaitre ceci : (1) la croissance réelle : Le PIB réel de l’Algérie augmenter de 4,7 % en 2022 du fait d’une hausse de 7,5 % des activités pétrolières et de 4,1 % des activités non pétrolières. Pour le Maroc, la Mauritanie, la Tunisie et la Libye, la croissance se situera à 0,8 %, 4 %, 2,2% et -18,5 %, respectivement ; (2) l’inflation : devrait atteindre 9,7 % en Algérie, 6,2 % au Maroc, 7,1 % en Mauritanie, 8,1 % en Tunisie et 5,5 % en Libye ; (3) les finances publiques : le déficit budgétaire global devrait se situer à 12,3 % du PIB en Algérie, contre 5,3 % du PIB au Maroc, 2,1 % du PIB en Mauritanie, 6,6 % du PIB en Tunisie et un surplus de 15,8% du PIB en Libye; (4) le compte courant des balances de paiements : l’Algérie devrait enregistrer un surplus de 6,2 % du PIB, comparativement à des déficits de 4,3% du PIB au Maroc, 11,6 % du PIB en Mauritanie. 9,1 % du PIB en Tunisie et un surplus de 16,6 % du PIB en Libye; (5) les réserves internationales de change brutes: leur niveau est prévu d’atteindre $57,4 milliards en Algérie (13,3 mois d’importations en 2023) par rapport à $32 milliards au Maroc (5,2 mois d’importations), $1,7 milliards en Mauritanie (4 mois d’importations), $9,2 milliards en Tunisie (3,7 mois d’importations) et $78,4 milliards pour la Libye ; (6) la dette publique brute: est de 62,7 % du PIB en Algérie, 70,3 % du PIB au Maroc, 50,7% du PIB en Mauritanie et 88,8% du PIB en Tunisie; et (7) la dette extérieure. Elle représente 1,7% du PIB en Algérie, 37% du PIB au Maroc, 47,5% du PIB en Mauritanie et 92% du PIB en Tunisie. Globalement, la majeure partie de la région du Maghreb est en situation précaire.
Les perspectives macroéconomiques du Maghreb restent défavorables en 2023. En filigrane d’une détérioration marquée des conditions économiques du monde, y compris de la zone du Moyen Orient, les projections du FMI font ressortir ce qui suit : (1) croissance réelle : le PIB de l’Algérie devrait chuter à 2,6% en reflet d’une baisse à 3,1% des activités non pétrolières et d’une croissance nulle des activités pétrolières et gazières (stagnation des volumes d’exportation). Pour le Maroc, la Mauritanie, la Tunisie et la Libye, la croissance se situera à 3,1%, 4,8%, 1,6% et 17,9%, respectivement ; (2) l’inflation : devrait légèrement baisser à 8,7% en Algérie, 4,1 % au Maroc, mais remonter à 7,8 % en Mauritanie et 8,5% en Tunisie et chuter à 4% en Libye; (3) les finances publiques : en raison de baisses des recettes fiscales et des dépenses au niveau des 5 pays du Maghreb, le déficit budgétaire global devrait légèrement chuter à 11,3% du PIB en Algérie, contre 5,1% du PIB au Maroc, 2,4% du PIB en Mauritanie, 5,3 % du PIB en Tunisie et un plu gros surplus de 22,1 % du PIB en Libye; (4) le compte courant des balances de paiements : l’Algérie devrait enregistrer un effondrement de son surplus qui atteindra 0,6 % du PIB, comparativement à des déficits de 4,1 % du PIB au Maroc, 9,1 % du PIB en Mauritanie, 8 % du PIB en Tunisie et un surplus record de 24,5 % du PIB en Libye; (5) les réserves internationales de change brutes: leur niveau est prévu d’atteindre $60,1 milliards (13,4 mois d’importations en 2023) en Algérie par rapport à $32,7 milliards au Maroc (5,1 mois d’importations), $1,4 milliards en Mauritanie (3,5 mois d’importations), $10,1 milliards en Tunisie (4,1 mois d’importations) et $88,1 milliards pour la Libye; (6) la dette publique brute. Elle est prévue de passer à 70,3 % du PIB en 2023 en Algérie, 70,1 % du PIB au Maroc, 51,6 % du PIB en Mauritanie et 89,2 % du PIB en Tunisie ; et (7) la dette extérieure. Elle devrait rester inchangée à 1,7 % du PIB en Algérie, baisser légèrement au Maroc à 36,2 % du PIB, mais remonter à 48,3 % du PIB en Mauritanie et de façon marquée en Tunisie à 100,4 % du PIB. La région du Maghreb entre dans une phase de stagnation et de détérioration des fondamentaux macroéconomiques.
Quelle feuille de route pour 2023 ? Vu les risques d’une récession, le dosage et la qualité des politiques publiques est cruciale. De ce fait, les services du FMI proposent à juste titre aux pays du Maghreb ce qui suit :
A court terme : lutter contre l’inflation et contenir les endettements, essentiels pour conserver la stabilité macroéconomique et éviter l’aggravation des inégalités et de la pauvreté. Pour ce faire, un mix cohérent des politiques monétaires, budgétaires et structurelles est incontournable. Certes, il devra varier d’une économie à une autre en raison des facteurs et du niveau des pressions sur les prix. En tout état de cause : (1) la politique budgétaire devra protéger les populations vulnérables (appuis temporaires et bien ciblés) et favoriser les programmes ciblant les ressources humaines, la numérisation, les énergies renouvelables et la diversification des chaînes d’approvisionnement (cas de l’Algérie dans le projet de budget de 2023) ; (2) la politique monétaire aura pour rôle de stabiliser les prix domestiques (notamment en cas de forte demande) ; et (3) la politique de change visera à ajuster le taux de change pour préserver les réserves de change internationales si précieuses pour affronter le futur immédiat.
A moyen terme : l’objectif est pour les pays importateurs du Maghreb de préserver la viabilité des finances publiques et la stabilité sociale alors que pour les pays exportateurs, il faut renforcer les niveaux de réserves de change et accélérer les processus de transition énergétique et de diversification pour favoriser une croissance économique élargie, saine et inclusive.
À plus long terme, l’enjeu est de se doter d’un cadre de politique monétaire facilitant le contrôle de l’inflation. Pour ce faire, il est important de : (1) focaliser la politique monétaire sur la stabilité des prix intérieurs : (2) renforcer l’autonomie des banques centrales ; (3) lutter contre les marches parallèles et la dollarisation en développant les marchés et les institutions financières ; (4) se doter de politiques de communication ; et (5) disposer d’une cible d’inflation pour mieux ancrer les anticipations d’inflation A. B.