La Tunisie au rythme de la contestation : Grève des magistrats après la révocation de confrères

07/06/2022 mis à jour: 02:05
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Les magistrats tunisiens ont entamé, hier, une grève d’une semaine pour protester contre la révocation de 57 de leurs confrères par le président Kaïs Saïed, a indiqué le chef d’un de leurs syndicats, relayé par l’AFP.

 «La grève a commencé dans tous les tribunaux du pays et, selon nos informations, elle est très suivie, a déclaré le président de l’Association tunisienne des jeunes magistrats, Mourad Massoudi. La grève, pour une semaine renouvelable, est observée à l’appel des principaux syndicats professionnels des magistrats pour protester contre le limogeage, jeudi par le président Saïed, de 57 juges, accusés notamment de corruption. 

Dans un communiqué publié samedi, ces syndicats ont «fermement condamné l’ingérence permanente du Président dans le pouvoir judiciaire». Ils l’accusent de s’octroyer le pouvoir de les révoquer «sans le moindre recours» possible, «violant le droit le plus basique à se défendre, garanti dans la Constitution». 
 

Le président Saïed, qui s’est octroyé les pleins pouvoirs en juillet dernier, a révoqué les 57 magistrats, les accusant de corruption et entrave à des enquêtes, après avoir renforcé sa tutelle sur le système judiciaire. Parmi les magistrats limogés qui pourront faire l’objet de poursuites, sont cités un ancien porte-parole du pôle de lutte contre le terrorisme, un ancien directeur général des Douanes et l’ancien président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). 

Les révocations concernent aussi des magistrats soupçonnés d’avoir entravé l’enquête sur les assassinats, en 2013, de deux dirigeants de gauche, Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, imputés à des djihadistes. Le Président a aussi fait amender la loi qui régit le CSM, autorité de tutelle de la justice tunisienne, pour pouvoir révoquer les magistrats, invoquant une «atteinte à la sécurité publique ou à l’intérêt suprême du pays». 
 

Samedi, des échauffourées ont eu lieu entre la police et une centaine de manifestants qui protestaient à Tunis contre le référendum constitutionnel prévu en juillet par le Président. La police a bloqué les manifestants qui tentaient d’atteindre le siège de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), dont le président a été nommé par K. Saïed. Le 22 avril, ce dernier s’est arrogé le pouvoir de nommer trois des sept membres de l’Isie, dont le président. Le 9 mai, il a nommé Farouk Bouasker, ancien membre de l’Isie, président de cette instance en remplacement de Nabil Baffoun, qui a critiqué le coup de force de juillet 2021.
 

Crise multiforme
 

Outre la crise politique, le pays se débat dans des problèmes économiques qui alimentent la contestation sociale. Il a besoin ainsi d’une aide d’environ quatre milliards de dollars, la troisième en 10 ans. Le gouvernement a soumis un plan de réformes au FMI, qui prévoit un gel de la masse salariale de la Fonction publique, une réduction progressive de certaines subventions étatiques et une restructuration des entreprises d’Etat. Mais le Fonds veut que ces promesses soient soutenues par les partenaires sociaux, dont la centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), pour garantir leur application. 

Celle-ci a annoncé mardi dernier une grève nationale du secteur public le 16 juin, pour protester contre l’inflation galopante et empêcher une privatisation des grandes entreprises étatiques. «Tout le personnel» des 159 institutions et entreprises publiques cessera le travail afin d’obtenir «des négociations immédiates pour restaurer le pouvoir d’achat des Tunisiens», a indiqué l’UGTT dans un communiqué. La centrale demande «des garanties» pour que les entreprises publiques, dont beaucoup de monopoles (Office des céréales, électricité, carburants, phosphates, entre autres), ne soient pas privatisées. Elle a accusé le président Saïed de «saper les principes de la négociation et de revenir sur des accords conclus précédemment». 
 

Le 23 mai, l’UGTT a annoncé dans un communiqué son refus de participer au «dialogue national sous le format proposé par le Président (…), qui n’a pas fait l’objet de consultations préalables et ne répond pas aux attentes des forces nationales pour mettre en place un processus patriotique permettant de sortir de la crise». Elle a observé que ce dialogue vise à «cautionner des conclusions décidées unilatéralement à l’avance et les faire passer par la force comme faits accomplis». Pour la centrale syndicale, «non seulement ce dialogue n’est pas de nature à sortir le pays de la crise, mais il risque de l’aggraver et la prolonger». 
 

Depuis le 25 juillet 2021, assurant agir dans l’intérêt du pays, Kaïs Saïed concentre tous les pouvoirs et dirige la Tunisie par décrets-lois, faisant craindre une dérive autocratique. Pour sortir de l’impasse provoquée par son coup de force, qualifié de «coup d’Etat» par ses opposants, il a proposé une feuille de route qui prévoit un référendum sur la Constitution le 25 juillet et des législatives anticipées le 17 décembre. 
 

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