La Révolution algérienne et l’Afrique : Ombres africaines dans la Guerre froide ( Suite et fin)

30/05/2023 mis à jour: 20:00
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Dès l’indépendance de son pays le Congo, Lumumba avait reconnu le GPRA et apporté son soutien au FLN. Au cours d’une visite, très remarquée, en Tunisie, il rencontrera des dirigeants de la Révolution algérienne, en particulier le président du GPRA, Ferhat Abbas, à qui il a apporté un soutien politique sans réserve. Il avait, à cet effet, demandé au président Habib Bourguiba et au roi Hassan II une aide politique et militaire pour asseoir et consolider l’indépendance de son pays. 

La Tunisie et le Maroc apparaissaient à cette époque-là comme des Etats avancés, stables et, de ce fait, pouvant avoir un rôle de premier plan en Afrique. Le roi du Maroc a envoyé Oufkir, dont le rôle futur lors de l’assassinat de Lumumba mériterait d’être éclairci. Nous ne connaissons pas tous les tenants de cette affaire, mais bien des bruits avaient alors circulé sur un certain «laxisme» d’Oufkir qui aurait permis l’assassinat de Lumumba. La Tunisie, pour sa part, avait dépêché des cadres administratifs et financiers qui n’auront pas suffisamment de temps pour apporter une aide précieuse à l’unification de l’Etat. 

Quant à la Guinée, dont la disponibilité était sans réserve, elle enverra une petite unité militaire sous la direction d’un membre du bureau politique du PDG promu à l’occasion comme général d’armée. Ce dernier, Diané Langana, n’avait aucune formation militaire et ne pouvait de ce fait jouer un rôle important. Tibou Tenkara, responsable des jeunesses du PDG, sera lui aussi envoyé à Kinshasa pour aider à la mobilisation et l’organisation de la jeunesse. 
Pour revenir à la vocation de l’Algérie, la Révolution algérienne à partir de la Guinée et du Ghana et ensuite du Mali a pu intervenir dans les mouvements de libérations nationaux qui agitaient les masses africaines. 

C’est ainsi que le FLN à partir de Bamako, d’Accra et de Conakry a encouragé les mouvements oppositionnels au Sénégal, au Niger, au Nigeria, en Côte d’Ivoire et dans les colonies portugaises. En Côte d’Ivoire et au Nigeria, des mouvements estudiantins assez avancés, avec des options progressistes, étaient en relation avec le FLN. Le Sénégal et en particulier le PAI avaient réservé un mauvais accueil au général de Gaulle en proclamant leur solidarité avec la Révolution algérienne et en optant pour l’indépendance. Nous étions en relation avec le Niger, la Sawaba, avec Osman et Sékou, le responsable des jeunesses, et tout particulièrement avec Djibo Bakari, dont le leadership était indiscutable. 

Partant d’une vision unitaire du continent, le Ghana, la Guinée et le Mali s’étaient rassemblés en une Union. Vision unificatrice qui ne manquera pas d’être combattue par le colonialisme, puisqu’elle s’inscrivait obligatoirement dans le cadre d’une stratégie de déstabilisation du colonialisme et de l’impérialisme. Les grandes puissances, quant à elles, savaient déterminer à sa juste valeur le rôle de notre pays. L’URSS et surtout la Chine populaire considéraient que le combat de l’Algérie servait leurs intérêts stratégiques en affaiblissant le colonialisme en Afrique. 

Les Etats-Unis et les puissances occidentales entendaient limiter nos possibilités d’action, estimant à juste titre que notre combat affaiblissait, effectivement, leurs positions en Afrique. Nous pouvons donc affirmer que la Révolution algérienne s’inscrivait objectivement dans le cadre du mouvement révolutionnaire mondial. Elle représentait un danger non négligeable pour les puissances impérialistes. Le rôle de l’Algérie apparaîtra de façon beaucoup plus évidente avec l’éclatement de la Fédération du Mali, qui comprenait initialement l’ex-Soudan français et le Sénégal, avec comme capitale Dakar. 

Le FLN incitait Modibo Keita, chef du gouvernement, à des positions de pointe, et en particulier au choix de l’indépendance et à la reconnaissance du GPRA. Frantz Fanon et Omar Oussedik étaient en relation permanente avec le ministre résident du Mali, Dialo Demba (1925-2001). Celui-ci, militant indépendantiste convaincu, révolutionnaire authentique, patriote africain passionné, était proche de l’Algérie, dont il comprenait et soutenait le combat et à laquelle il voulait exprimer une solidarité beaucoup plus agissante. 

Nous, Algériens, avions foi en l’Union soudanaise (RDA) dirigée par Modibo Keita, Mamadou Madéra Keita (1917-1997), le journaliste et écrivain  Mamadou El Béchir Gologo (1924-2009), et par d’autres militants de tout premier ordre. Avant l’éclatement de la Fédération, nous avions été informés de la tactique soudanaise pour faire glisser celle-ci vers des positions plus radicales. Nous ne nourrissions pas d’illusions quant à la réaction française. 

Aussi n’avions-nous pas été surpris de l’arrestation à Dakar de Modibo Keita. Poursuivant sa politique de déstabilisation du néocolonialisme et de l’impérialisme en Afrique, le FLN avait informé l’Union soviétique, la Chine populaire et le Vietnam du scénario, qui allait se révéler exact. Lorsque Modibo Keita avait été arrêté, Frantz Fanon, venu du Ghana à Conakry, est immédiatement parti, en compagnie de Omar Oussedik, sur Bamako, où ils ont été accueillis à la frontière par des militants de l’Union soudanaise (RDA). Logés dans un hôtel géré par des militants, ils ont eu des entretiens avec tous les militants du Bureau politique (BP) se trouvant en liberté.

A ce stade, s’est déroulé un événement qui mérite d’être rapporté. Lorsque Modibo Keita a quitté Dakar, après sa libération, pour rejoindre Bamako, où les masses populaires lui ont réservé un accueil enthousiaste, il avait demandé aux missions diplomatiques de le rejoindre au Mali. Seules quatre d’entre-elles, celles de Taïwan, de la Corée du Sud, du Vietnam Sud et d’Israël, avaient accepté de le faire avec très certainement l’accord de leur mentor, Washington. Or, ces quatre missions diplomatiques, qui étaient installées à Bamako, avaient une position internationale quelque peu contestée. A l’époque, seulement aux alentours de Bamako, il y avait un camp militaire français de 5000 hommes. 

Par ailleurs, il y avait d’autres casernements. Les Français pouvaient intervenir directement à partir du Niger, de la Haute Volta, Burkina-Faso aujourd’hui, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, ainsi que de la Mauritanie. Omar Oussedik avait discuté de cette éventualité avec le B.P. de l’Union soudanaise (RDA). Pour parer à cela, l’Union voulait avoir des armes pour pouvoir organiser une résistance populaire à l’échelle du Mali tout entier. L’Occident ne pouvait pas, pour des raisons évidentes, lui en fournir. La délégation du FLN s’est engagée à lui procurer des armes et, pour ce faire, elle s’est adressée aux ambassades de l’Union soviétique et de la Chine populaire à Conakry. Si l’ambassadeur de l’Union soviétique avait fait montre à cette occasion d’une réserve de grande puissance, la Chine, en revanche, a prêté une oreille attentive à notre demande. 

L’Union soviétique voulait d’abord l’établissement des relations diplomatiques avec le Mali et une demande directe et explicite du gouvernement malien. La Chine, elle, était disposée à fournir toutes les armes que pouvait souhaiter le Mali, dans la mesure où la mission diplomatique de Taïwan serait fermée et que s’établissaient les relations directes entre Pékin et Bamako. Les amis maliens voulaient également des professeurs, des enseignants ainsi que des spécialistes de maladies tropicales. Omar Oussedik et Frantz Fanon se sont également adressés au Vietnam. Ce dernier était disposé à satisfaire toutes les demandes du Mali, à condition que les relations diplomatiques s’établissent entre la République démocratique du Vietnam et le Mali et que la mission du Vietnam du Sud soit fermée. 

Les ambassadeurs de la Révolution algérienne ont donné toutes les assurances au Vietnam. Il fallait ensuite mettre la Chine populaire et le Vietnam en contact direct avec le Mali.Le président Sékou Touré effectuait à ce moment-là une tournée en Chine, en Union soviétique, en Tchécoslovaquie et au Maroc. Il fallait donc attendre son retour. Le soir même de son retour, après la réception donnée au Palais présidentiel en l’honneur du président Sékou Touré, Omar Oussedik et Frantz Fanon sont restés à s’entretenir avec le chef de l’Etat. Ismaïl Touré et d’autres membres du B.P., l’écrivain, compositeur et dramaturge Fodéba Keita (1921-1969), qui assurait l’intérim en l’absence du président Sékou Touré, et Hadj Diallo Seif Allah, non convaincus, n’avaient pas adhéré à la position de l’Algérie. Par contre, le Président écoute avec attention nos deux ambassadeurs et prend les décisions qu’ils n’espéraient plus. Il avait décidé de mettre aussitôt à la disposition du Mali toutes les armes qui étaient entreposées en Guinée quitte à les renouveler ensuite auprès de l’Union soviétique ou de la Chine populaire. Et ainsi le président Sékou Touré avait encouragé nos deux chefs de mission à reprendre contact avec les frères du Mali, ce qu’ils avaient fait immédiatement. 

Frantz Fanon est rentré au Ghana, avant de rejoindre Tunis, transmettre au GPRA, plus précisément à Abdelhafid Boussouf, les résultats des démarches faites par Sékou Touré auprès de l’Union soviétique, quant à l’achat des armes pour le front Ouest. Trois jours après, Madéra Keita était à Conakry. Omar Oussedik se trouvait aussi bien à l’aéroport qu’à toutes les réceptions données en l’honneur de ce militant. Il devait prendre contact avec l’ambassadeur d’Algérie, rendant ainsi un hommage combien touchant à notre pays. A ce sujet, rappelons une discussion qu’avait eue Omar Oussedik avec l’ambassadeur de Chine.

 Il avait demandé à celui-ci l’octroi de 25 000 armes au Mali. L’ambassadeur de Chine répondit qu’il allait en informer son gouvernement. Omar Oussedik lui a alors affirmé, qu’en l’occurrence, il n’avait pas agi en tant qu’ambassadeur accrédité par le GPRA en Guinée, tout comme il n’avait pas agi comme ambassadeur de Chine, mais qu’il avait fait des promesses formelles au nom du président Mao Tsé Toung, tant il avait confiance en un parti qui avait fait la longue marche et qui avait su arracher l’indépendance à la suite d’un long et difficile combat. 

L’ambassadeur de Chine s’engage à honorer les engagements pris par Omar Oussedik, et rendez-vous a été pris pour rencontrer l’envoyé malien. Ce dernier avait émis le souhait que notre ambassadeur l’y accompagne. Mais arrivés ensemble à l’ambassade de Chine, et après les présentations d’usage, Oussedik s’était retiré pour permettre aux deux intéressés d’avoir un entretien sans témoin. 

Après l’entrevue, l’ambassadeur de Chine a invité Omar au déjeuner qu’il offrait en l’honneur de Madéra Keita. La République populaire de Chine avait décidé d’envoyer immédiatement en Guinée toutes les armes demandées par le Mali, ainsi que l’aide matérielle souhaitée. Avant son départ de Conakry, Madéra Keita avait pu mettre au point, avec Fodéba Keita, les modalités qui devaient présider à la remise des armes guinéennes et ensuite à leur substitution lors de l’arrivée des armes chinoises. 

Toujours par l’intermédiaire de la mission diplomatique algérienne, l’ambassadeur du Vietnam a également invité Madéra Keita. L’entretien a été très positif. Toutes les demandes formulées par Madéra Keita ont été satisfaites. Restaient les conditions émises à respecter, à savoir la rupture des relations diplomatiques entre le Mali d’une part, et le Sud Vietnam et Taïwan d’autre part. Tombant dans le piège habilement tendu par Gologo, les ambassadeurs de Taïwan et de Saïgon ont alors fait des déclarations publiques dans lesquelles ils vantaient leur régime et attaquaient Pékin et Hanoï. 

Le gouvernement malien, qui n’attendait que cela, a immédiatement réagi par la rupture des relations diplomatiques, accusant ces deux pays d’ingérence dans la politique du Mali. Le jour même du départ les deux ambassadeurs, la porte de Bamako était ouverte aux diplomates de Pékin et d’Hanoï. Notre ambassadeur Omar Oussedik, très rapidement informé par Madéra Keita et Dialo Demba, est entré en contact avec les ambassadeurs de la Chine populaire et du Vietnam du Nord, pour la mise en place d’un protocole d’accord sur les décisions conjointes citées plus haut. L’ambassadeur de la Chine populaire avait été accueilli par les membres de l’Union soudanaise (RDA), Modibo Keita était absent. 

L’accueil avait été chaleureux, fraternel et très émouvant. Le même accueil a été réservé au représentant du Vietnam, immédiatement arrivé après celui de la Chine. 

Par le Commandant Azzedine 

 

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