La reprise du contrôle des finances publiques en Algérie : Planification budgétaire et meilleure gestion des risques

18/06/2023 mis à jour: 23:54
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Le retour à des finances publiques saines implique une stratégie globale, des institutions, des règles et des outils appropriés. 

Une politique budgétaire laxiste est source d’inflation, d’éviction, d’incertitude et de volatilité et in fine un facteur de blocage de la stabilité macroéconomique, elle-même essentielle pour une croissance soutenue et saine. Il faut donc, dans ce cas, reprendre le contrôle des finances publiques par le biais d’un ajustement budgétaire de qualité, seul en mesure de mobiliser l’épargne intérieure, accroître l’efficacité de l’allocation des ressources et contribuer à atteindre les objectifs de développement du pays. 

En Algérie, la prépondérance du pétrole a toujours compliqué la conduite de la politique budgétaire qui est affaiblie par un certain nombre de vulnérabilités mis à nu par le choc pétrolier de 2014. De plus, une série de risques budgétaires aggravent le niveau du déficit budgétaire et de l’endettement interne. Les autorités ont commencé à prendre des mesures pour restaurer la viabilité des finances publiques et renforcer l’efficacité des politiques publiques. Elles se sont données un certain nombre d’outils importants en mesure de faire la jonction entre les objectifs économiques et budgétaires. Cette démarche est la bienvenue, mais elle doit être désormais inscrite dans le contexte d’une stratégie globale et cohérente à moyen et long termes de refondation de l’économie nationale. Discutons de ces points importants. 

Cadre conceptuel. (1) Les déficits budgétaires ont des effets macroéconomiques en cascade. Ils peuvent, en effet, générer de l’inflation (notamment en cas de recours à la planche à billets), faire baisser la productivité globale (du fait de l’incertitude des ménages et des entreprises), déclencher un effet d’éviction (l’état capte des fonds prêtables diminuant ainsi le volume des ressources à la disposition des investisseurs privés), pousser les taux d’intérêt à la hausse (ce qui tend à attirer les capitaux étrangers, apprécier le taux de change et rendre les exportations coûteuses), augmenter l’endettement domestique et/ou externe, décourager et/ou affaiblir l’investissement privé et favoriser la fuite des capitaux ; et (2) Le caractère incontournable du rééquilibrage des finances publiques (viabilité budgétaire) : le retour aux grands équilibres est vital pour créer des espaces budgétaires et préserver les conditions de réussite des objectifs à long terme, comme la croissance économique et la réduction de la pauvreté. Ces objectifs doivent s’insérer dans un cadre à moyen et long terme. 
Pour restaurer la viabilité des finances publiques, il faut se donner une stratégie budgétaire et des outils de pilotage  

Outil 1 : Le budget programme (et le besoin de rationalisation des choix budgétaires) : Contrairement au budget classique annuel où les ressources publiques tirées de la fiscalité sont réparties administrativement par ministère, le budget-programme s’articule autour de trois axes, la mission, le programme et l’action. (1) La mission : est un ensemble de programmes s’inscrivant dans le contexte d’une politique publique définie relevant d’un ou plusieurs services ou d’un ou plusieurs ministères. Grace à ces missions, l’état peut assurer la cohérence des politiques publiques qu’il finance ; (2) Le programme : se décline en actions ou activités coordonnées dans le temps (entre 2-5 ans) et dans l’espace destinées à atteindre des résultats objectivement vérifiables ; et (3) L’action : l’élément de décomposition le plus fin pour rendre lisible et exécutable la politique publique portée par le gouvernement à travers ses programmes et ses objectifs stratégiques.  

Au préalable de la mise en place d’un budget-programme, il y a d’abord la définition d’une priorité stratégique nationale servant de socle à des programmes sectoriels regroupant des actions cohérentes quantifiées en fonction de leurs coûts et qui serviront de base aux crédits octroyés dans la limite des ressources globales disponibles. De ce fait, le budget-programme offre transparence (affichage des actions) et performance (détermination des objectifs à réaliser) et érige le budget en un plan des dépenses à engager. Plus important, le budget-programme s’inscrit dans une démarche de rationalisation des choix budgétaires que les anglo-saxons appellent le planning-programming-budgeting systems (PPBS). Cette approche facilite l’évaluation constante des politiques publiques. 
Outil 2 : Le cadre budgétaire à moyen terme (CBMT), vecteur de maitrise des finances publiques. 

Le budget triennal aide à réduire les lacunes de la budgétisation annuelle en favorisant : (1) la stabilisation du cadre macroéconomique ; (2) la répartition efficiente et équitable des ressources ; (3) la fourniture effective et efficace de services publics ; et (4) la transparence et la bonne gouvernance. En même temps, sa mise en place implique : (1) un réalisme dans les travaux de projection par le biais d’un travail régulier de réévaluation des hypothèses macroéconomiques (croissance, inflation, taux de change, risques budgétaires), des recettes, des plafonds de dépenses et des soldes budgétaires afin d’éviter un endettement élevé ou une accumulation d’arriérés de paiement domestiques et/ou externes ; (2) la fixation de plafonds de dépenses (par missions et programmes si besoin est) sur une base triennale glissante : ces plafonds sont fermes la première année (car ils ont vocation à être repris dans la loi de finances initiale) mais révisables les deux années suivantes ; (3) la création et la participation d’un conseil indépendant des finances publiques dont le but est d’évaluer le réalisme des prévisions macroéconomiques associées aux lois de finances textes financiers et d’assurer la cohérence de la trajectoire des finances publiques avec les axes stratégiques du pays ; et (4) une comptabilité budgétaire (lois de règlements, explications des déviations, etc..).   

Autres outils complémentaires : pour asseoir la crédibilité du CBMT, ce dernier doit être cohérent et articulé autour d’outils de pilotage complémentaires de l’économie dont au moins : (i) un cadre macroéconomique à moyen terme (CMMT) pour assurer la cohérence avec les autres objectifs macroéconomiques du pays (monnaie, agrégats extérieurs, etc.) ; et (ii) un cadre de dépenses à moyen terme (CDMT) pour mettre en cohérence les dépenses sectorielles avec les programmes de dépenses à moyen terme. De plus, il implique la disponibilité de nombreux indicateurs économiques, financiers et sociaux. 

Le cas de l’Algérie : doit reprendre le contrôle de ses finances publiques pour créer de la croissance et des emplois  

Vulnérabilités et risques budgétaires. Les finances publiques sont caractérisées par : (1) la faiblesse des recettes fiscales : (2) le poids de certaines dépenses courantes : (3) l’inefficience des dépenses en capital ; et (4) l’absence d’équilibre entre viabilite budgétaire et croissance économique dans la gestion du déficit budgétaire. Au cours des vingt dernières années, les déficits budgétaires ont été couverts par le recours à l’épargne budgétaire, les tirages sur les comptes des entités publiques au Trésor, la création monétaire (2017, 2018 et 2019), la diminution des dépôts du gouvernement et d’autres entités publiques (2020) et une combinaison de mesures (investissement d’une partie des fonds propres de la Banque d’Algérie (BA) dans des obligations du Trésor à trois ans, avances temporaires au Trésor de la part de la BA et programme spécial de refinancement (une opération impliquant la BA, l’État, les banques privées et le Trésor (2021). 

De plus, d’autres risques aggravent la viabilite des et finances publiques, y compris : (1) les chocs macroéconomiques (les plus fréquents) ; (2) la volatilité des prix du pétrole ; (3) les garanties implicites et explicites accordées aux entreprises publiques ; (4) le déséquilibre financier du système de retraites ; (5) les partenariats public –privé ; et (6) le poids financier des administrations locales. 

Les perspectives financières 2023-2024 ne sont pas favorables. En 2022, la remontée des prix du pétrole a permis de dégager pour la première fois en quelques années un surplus global de 2,2 % du PIB. Toutefois, en tant que pays pétrolier, la viabilité des finances publiques se mesure à travers le solde global non pétrolier (solde des recettes non pétrolières et des dépenses totales en pourcentage du PIB non pétrolier) qui fournit une base solide pour l’adoption de mesures de consolidation budgétaire. 

Or pour 2022, ce dernier a enregistré un déficit de 24,4 % du PIB hors pétrole (en comparaison d’un déficit normatif de 10 % selon la méthode du revenu permanent). Pour 2023 et 2024, les projections le situeraient à 29,5 % et 25,4 % du PIB hors pétrole, en raison de projections macroéconomiques externes et internes qui affecteront la croissance du pays (chute de l’activité de 2,9% en 2022 à 2,6 % en 2024), les recettes hors pétrole (stagnation des recettes hors pétrole à 19,8 % du PIB hors pétrole en 2023-2024) et les depenses totales d’une hausse des dépenses totales de 2,4 points de pourcentage entre 2022-2024.  

Un ajustement budgétaire significatif est incontournable pour restaurer la viabilite des finances publiques. De près de 15 points de pourcentage du PIB hors pétrole, l’ajustement budgétaire impliquera : (1) une stratégie globale et cohérente à long terme de croissance élargie et inclusive ;  (2) des réformes profondes devant affecter les recettes fiscales (politique fiscale, administration fiscale et douanière et avantages fiscaux), les dépenses courantes (rationaliser la masse salariale et les subventions et transferts), les dépenses en capital (simplifier et renforcer l’efficience de la chaine de gestion institutionnelle des investissements publics) et la structure de financement des déficits (combiner des sources variées stables afin d’éviter de bloquer la croissance économique) ; et (3) des instruments de pilotage et des institutions de suivi et de gestion des finances publiques. 

Les mesures prises à ce jour : par les autorités incluent : (1) l’adoption du premier budget-programme en 2023 suite à l’adoption de la loi organique (mise en place par la constitution de 1996) portant lois de finances du 2 septembre 2018 ; (2) une nouvelle procédure pour réduire le lag de la publication des lois de règlement de 3 ans (N-3 jusqu’en 2022) à un lag de 2 ans (N-2 pour les lois de règlement des exercices budgétaire 2023, 2024 et 2025) et un lag de 12 mois (N-1 pour les lois de règlement de l’exercice budgétaire 2026). De ce fait, les lois de règlement pourraient progressivement servir de base de projection et renforcer la crédibilité du CBMT et partant celui du CDMT en cohérence avec le cadre macroéconomique à moyen terme ; et (3) la réactivation du cadre budgétaire à moyen terme couvrant la période 2023-2025. 

Ce qui pourrait améliorer le CBMT lui-même: (1) abandonner l’approche descendante du CBMT pour mieux intégrer les stratégies de dépenses des ministères ; (2) s’assurer que le champ du CBMT intègre toutes les opérations financières de l’administration financière pour disposer d’une vision globale de cette dernière ; (3) bien maitriser les déterminants des coûts des programmes et actions sur la base de stratégies sectorielles détaillées; (4) maitriser les risques budgetaires à travers un travail d’évaluation de leurs impacts ; et (5) le renforcement des capacités statistiques de l’administration financière couvrant les budgets et leur exécution (dont le tableau des opérations financières de l’état), la trésorerie et tous les états financiers. Les axes de réflexion au titre de la préparation de l’avant-projet de budget-programme pour 2024. La note d’orientation est détaillée et se place dans une perspective de remise en ordre des finances publiques sur le moyen terme. 

A juste titre, elle donne des orientions claires pour renforcer le recouvrement des recettes, rationaliser et améliorer la qualité et l’efficacité de la dépense publique et promouvoir la transparence.  Attendons donc le projet de loi de finances pour 2024.Les dispositifs en place et les orientations budgetaires gagneraient à être renforcés par un écosystème plus favorable comprenant: (1) le développement d’un savoir-faire en matière économique ; (2) des points d’ancrage à long terme (consacrés par une vision du futur et une stratégie de développement à long terme) qui servent de référents de gestion ; (3) des politiques publiques régulièrement adaptées aux défis de l’heure, ce qui implique une flexibilité décisionnelle pour intégrer les changements qui surviennent ; (4) une panoplie d’outils de projection et de gestion macroéconomique ; (5) un mode opératoire et un cadre institutionnel flexible et efficient ; et (6) des mécanismes et politiques en place pour communiquer, rendre compte et maintenir l’adhésion des populations et des partenaires. 

 

Par Abdelrahmi Bessaha  , Expert international

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