La rébellion de Wagner suscite beaucoup d’interrogations : Maskirovka ou la Taqiyya russe

27/06/2023 mis à jour: 07:43
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Les soldats du groupe paramilitaire de Wagner ont regagné leurs campements

Wagner contre Moscou ! L’épisode de samedi mérite l’exclamation pour avoir soulevé le doute, l’incompréhension et surtout la surprise après avoir fait trembler la planète par sa gravité. Scénario improbable du début jusqu’à la fin donc pour cet événement inclassable dont le dénouement rapide a dû décevoir quelques capitales et soulager d’autres. 

Avec un peu de recul, des analyses détachées tentent de décrypter ce qui s’est passé en Russie entre le Kremlin et Prigojine, et comprendre cette folle journée qui a fait marcher les soldats de Wagner sur Moscou avec une audace inattendue. « La rébellion secoue la Russie ; est-ce une mutinerie ou une “Maskirovka” ? » s’interroge le magazine indien The Week. 

Difficile, en effet, de digérer un certain nombre de faits, avance l’article en question, notamment, la facilité avec laquelle le groupe Wagner a pris le contrôle de Rostov et des villes voisines, la nonchalance de l’armée russe face à l’avancée rapide des combattants de Wagner sur Moscou, l’audace de cette «petite» armée face à l’armée russe et, enfin, la large couverture médiatique inhabituelle pour les médias officiels russes.

La Maskirovka, le mot du jour d’ailleurs, se traduit par camouflage, dissimulation et tromperie ; une sorte de Taqiyya russe. Cette doctrine remonte au XIVe siècle, quand les Russes utilisaient déjà cet art contre les Mongols. 

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Armée rouge avait réussi à plusieurs reprises à tromper les nazis en ayant recours à Maskirovka. En juin 1944, la célèbre opération Bagration avait coûté 500 000 soldats à Hitler. Ce qui a fait dire à Winston Churchill que la Russie était un mystère enveloppé d’une énigme. 

Durant la guerre froide, les faux-semblants et le jeu double, voire triple, étaient courants entre Américains et Soviétiques. «L’Union soviétique a développé une doctrine de Maskirovka qui appelle à l’utilisation du camouflage, de la dissimulation et de la tromperie dans les programmes liés à la défense et dans la conduite des opérations militaires», écrivait le président Ronald Reagan en 1983. Plusieurs analyses publiées hier considéraient que la mutinerie de Wagner ressemble plus à Maskirovka conçue dans les laboratoires du Kremlin pour tromper l’ennemi et l’attirer dans le piège. «La Russie remporte l’oscar du meilleur coup d’Etat, Prigojine remporte le prix du meilleur acteur », commentait Larry Johnson sur son site web.
 

Une certitude et des hypothèses 

L’ancien analyste de la CIA commence d’abord par poser la question de savoir de quoi cet épisode est-il le nom, puisque, dit-il, il n’y a pas eu d’effusion de sang, ni de kilomètres de chars en flammes, ni de cravate Mussolini pour Vladimir Poutine. Et la réponse qu’il construit sur un nombre d’observations veut que «toute l’histoire du coup d’Etat a été conçue pour permettre le déplacement des forces militaires russes vers les régions situées au nord et à l’ouest de Voronej sans alerter les planificateurs de l’OTAN. La Russie ne faisait que déplacer des forces pour arrêter les auteurs du coup d’Etat et non pour constituer des forces en vue d’un nouvel axe offensif». Il s’agit donc d’un coup de mystification, selon Johnson, une diversion servant à dissimuler le déplacement stratégique des troupes russes sans alerter l’ennemi. 

Si la tromperie du samedi est une certitude chez beaucoup d’analystes, son but suscite en revanche plusieurs hypothèses. En plus de celle de Johnson, on pense que l’opération vise à attirer l’armée ukrainienne dans un piège, ou à affaiblir l’état-major de l’armée russe face au Kremlin, sinon à raffermir les liens de confiance entre le peuple russe et ses dirigeants. Samedi, de nombreux plateaux télévisés occidentaux se sont frotté les mains en voyant dans la «mutinerie» de Prigojine le début d’une chute rapide de Poutine entraînant la Russie avec lui. 

Enthousiasme vite renversé par la douche froide suite à l’annonce dans la soirée d’un accord trouvé entre le patron de Wagner et ses employeurs. Renversement déconcertant certes, mais n’est-ce pas le rôle des analystes politiques et des médias de faire preuve de prudence. Quelques jours auparavant, le géo-politologue américain George Friedman interrogeait la structure chaotique des forces russes en Ukraine et sur le temps et les ressources que la Russie consacre aux cibles secondaires, notait-il sur le site web de GPF, le groupe d’analyses prospectives qu’il a fondé. 

Résumant brillamment sa pensée face au phénomène russe, il écrit : «Il est tentant de supposer que Moscou est en train de sombrer ou qu’elle était vouée à la défaite, mais le fait que la maskirovka soit si profondément ancrée dans la psyché militaire russe rend nécessaire de repenser périodiquement les plans et les ressources russes. 

Ces choses sont inconnues à dessein, mais que se passe-t-il s’il s’avère que la maladresse russe est un stratagème, sa force et son intention réelles cachées, attendant de frapper ? Lorsque l’on pense aux Russes, il est essentiel de créer un modèle diamétralement opposé à ce que vous croyez, puis de le démonter.»
 

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