La pub, les médias et le devoir de vérité

08/03/2023 mis à jour: 05:08
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Sur la question de la gestion de l’argent de la publicité publique gérée par l’ANEP, jamais la justice n’est allée aussi loin. Il y a deux années, elle a condamné à six mois de prison un ex-footballeur international pour avoir continué à bénéficier de l’argent de la publicité versée à un journal lui appartenant mais qui avait cessé de paraître. Ce fut la seule personne a avoir été poursuivie. Cette fois-ci, la justice a frappé plus fort en plaçant en détention provisoire deux des anciens directeurs généraux de l’ANEP et mis sous contrôle judiciaire cinq personnes, dont un ancien ministre de la Communication. Ils sont accusés d’avoir «octroyé»  des espaces publicitaires à «des journaux minuscules» et d’autres «fictifs», c’est-à-dire sans existence sur la scène médiatique et d’avoir fait œuvre de «népotisme»  dans «le choix»  des titres de presse. Les juges devront se prononcer sur leur cas, mais on ne sait jusqu'où ils iront dans la quête de la vérité sur ce dossier très lourd, sur lequel a toujours pesé une forte chape de plomb.

Jusqu'à ce qu’un de ses directeurs généraux, au milieu de l’année 2020, Larbi Ouanoughi, ose lancer publiquement un pavé dans la mare. A coups de révélations fracassantes, il dit qu'il y a eu main basse sur l’ANEP par des groupes d’influence, que l’entreprise, en vingt années, a eu à gérer un portefeuille de plus de 15 000 millions de centimes et que près de 5000 milliards de centimes de créances douteuses ont été perdus. Il ajouta qu'il y avait au sein de l’entreprise des conflits d'intérêts et que plus de 40 journaux sortaient sous des prête-noms, sans relation avec la presse. L’ANEP, dira-t-il, était une vache à lait, au détriment du Trésor public, de la presse et même de son personnel, devenu victime. Les enquêtes qui ont eu lieu, à ce moment-là, de la gendarmerie et de l'inspection des finances ont révélé l’ampleur du préjudice. Il dépasse de loin le cadre du groupe de personnes qui viennent d’être poursuivies et la justice ne pourra pas ne pas en tenir compte dans ses investigations. Elle devra aller le plus loin dans le passé afin de débusquer tous ceux qui tiraient les ficelles. Le mal remonte à l’instauration du monopole de la gestion de la publicité étatique confiée à l’entreprise ANEP, au milieu des années 1990. Les donneurs d’ordres, la plupart du temps par téléphone, agissaient pour des raisons soit financières soit politiques, ou les deux en même temps. Les deux décennies du règne de Bouteflika furent le summum de la prédation. Son clan immédiat agissait directement ou par le biais de Premiers ministres ou des ministres de la Communication. Aujourd'hui, que le tabou est levé, il faut aller loin. Un devoir de vérité s’impose dans ce secteur sensible qui a impacté le cours des médias. Privés de ressources publicitaires, un grand nombre de titres ont disparu, quelques-uns ont continué difficilement à vivre. La loi sur la publicité a été bloquée afin que soit évitée toute transparence dans ce domaine et que la distribution des espaces publicitaires n'échappe pas au clan de l'Exécutif qui se l’est octroyée. Cette loi s’imposait pourtant, et s’impose toujours pour aider les médias à vivre et se développer et prendre en charge l'apparition et l’essor des nouvelles formes de presse que sont l’audiovisuel et l'électronique. Et pour donner une assise à un projet plus large, celui de l’aide étatique à la presse, dispositif existant dans les pays développés comme un des garants de la pluralité de l’information et donc de la démocratie. Un tel dispositif doit voir le jour en Algérie, dans une loi ou par la réglementation en étroite collaboration avec les professionnels. C’est une des conditions de la survie des médias, plus particulièrement de statut privé, actuellement en grande souffrance, voire à l’agonie.

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