Franchissement d’une étape cruciale de la vie parlementaire tunisienne avec l’entrée en activité hier du nouveau Parlement ; emprise complète du président Saïed sur les rênes du pouvoir ; les médias privés et étrangers interdits de la couverture de l’événement.
154 députés ont animé hier la coupole de l’Assemblée des représentants du peuple au Bardo, après une veille depuis le 25 juillet 2021, lorsque le président Kaïs Saïed a gelé les activités de l’ancien Parlement, avant de le dissoudre le 30 mars 2022.
Les élus des élections législatives du 17 décembre 2022 et 29 janvier 2023 ont choisi hier le bureau de la nouvelle ARP, soit son président et ses deux vice-présidents, ainsi que les membres de la commission de règlement intérieur, entamant ainsi la nouvelle session parlementaire. Seule la télé et la Radio nationales, ainsi que l’Agence TAP ont été autorisées à couvrir l’événement.
Si le référendum sur la nouvelle Constitution du 25 juillet 2022 a réuni 2 830 094 votants, soit 30,5% du corps électoral, les deux sessions des élections législatives n’ont réuni, respectivement les 17 décembre 2022 et 29 janvier 2023, que 11,2% et 11,4% du corps électoral, posant le problème crucial de la légitimité de ces élus.
«Ils n’ont réuni qu’à peine 11% des électeurs, ce qui veut dire que 88% des électeurs ont boycotté le scrutin et le Parlement élu n’est pas représentatif du peuple», n’a cessé de répéter le journaliste Zied Krichen dans ses interventions sur les ondes de Radio Mosaïque.
Lesquels propos ne sont pas partagés par Chokri Ben Nessir, journaliste et responsable à la Snipe, éditrice des quotidiens Assahafa et La Presse, adepte de la participation au processus. «Ceux qui ont boycotté ne vont pas pouvoir corriger les erreurs de la nouvelle transition», a-t-il défendu hier dans une intervention sur la télé nationale.
Ben Nessir a demandé à «positiver», considérant «implicitement» que l’on ne pouvait plus faire marche arrière et qu’il fallait éviter d’autres écarts en accompagnant la transition. «Le boycottage est une erreur et il fallait être présent pour défendre ses avis», a dit Chokri Ben Nessir, qui ne cherchait pas à polémiquer sur la question de légitimité du processus, entamé le 25 juillet.
Prérogatives
Les résultats du référendum du 25 juillet 2022 ont laissé entendre qu’une majorité écrasante de Tunisiens (94,6%) préfère le régime présidentiel, tel qu’énoncé par la nouvelle Constitution. Le taux de participation à ce référendum, 30,5% et 2 830 094 votes exprimés, est pratiquement similaire à ceux des élections de 2011, 2014, 2018 ou 2019.
La différence étant inférieure à 20% comparativement à la participation à toutes ces élections. Il n’empêche que la question des nouvelles prérogatives a soulevé de la polémique. La principale différence réside dans la nomination du gouvernement et sa responsabilité.
La nouvelle Constitution accorde au président de la République la responsabilité de désigner le gouvernement, responsable de l’application de la politique du Président. La Tunisie est revenue à son caractère politique mono-Céphale, suivi sous les présidents Bourguiba et Ben Ali.
Cette différence n’a pas empêché le député universitaire Riadh Jaidane, issu de France, de dire dans une intervention à la télé nationale que «la nouvelle ARP dispose de prérogatives réelles dans l’élaboration de projets de loi et peut assurer le contrôle du pouvoir, en approuvant les conventions internationales ou les prêts». Jaidane, spécialiste du droit public et du contentieux administratif, «n’est pas d’accord que l’ARP sera facilement manipulée par l’Exécutif». Il a insisté sur «l’existence de la séparation des pouvoirs au sein de la nouvelle Constitution du 25 juillet 2022». Une autre Tunisie s’annonce.
Couverture médiatique restreinte
Les médias présents sur place ont constaté que seuls les journalistes appartenant à des médias publics peuvent assurer la couverture de la séance inaugurale, excluant ainsi les médias privés et les médias étrangers.
La députée Fatma Mseddi a expliqué qu’«il s’agit d’une proposition d’un groupe de députés, pour garantir la stabilité des travaux de cette séance cruciale ; tout reviendra dans l’ordre après cette séance».
Le député Badreddine Gammoudi a nié ces propos, évoquant l’intervention d’une partie étrangère à l’ARP. Le syndicat des journalistes a contesté cette décision.
La vice-présidente du SNJT, Amira Mohamed, a organisé un point de presse devant l’ARP, où elle a condamné cette ségrégation, menaçant de «boycotter l’activité parlementaire, si ces restrictions ne sont pas levées». M. S.