La matière reste la bête noire des candidats aux examens scolaires : Mathématiques, l’équation insoluble ?

15/06/2022 mis à jour: 07:11
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Photo : D. R.

Le ministre de l’Education nationale a affirmé tout récemment que l’encadrement spécialisé des mathématiques en Algérie «ne répond pas aux besoins du secteur, au vu du faible intérêt pour les filières des mathématiques et mathématiques-techniques par les élèves».

L’épreuve des mathématiques au baccalauréat est la plus redoutée par les candidats. Cette année encore, ils ont eu des difficultés aux épreuves des mathématiques.

Faut-il s’en étonner lorsque l’on sait que lors de la dernière Olympiade internationale des maths, tenue en Russie, notre pays s’est classé parmi les cinq derniers, soit la position 100 sur 103 ? Qu’est-ce qui s’est passé pour que l’option des mathématiques au secondaire soit devenue la moins demandée, voire carrément rejetée par les élèves ? Les élèves algériens sont-ils atteints d’arithmophobie (la peur des mathématiques) et comment y remédier ?

D’ores et déjà, il faut dire que les responsables du département de l’Education se montrent conscients du problème. Le ministre de l’Education nationale a affirmé tout récemment que l’encadrement spécialisé des mathématiques en Algérie «ne répond pas aux besoins du secteur, au vu du faible intérêt pour les filières des mathématiques et mathématiques-techniques par les élèves».

Le directeur de l’enseignement moyen au ministère de l’Education a souligné que «les élèves détestent généralement les maths et pour cela, nous tentons par tous les moyens de leur faire aimer cette matière dès le cycle primaire», qualifiant de «catastrophique» le mode d’enseignement actuel des mathématiques. Le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdelbaki Benziane, a indiqué, pour sa part, que «les mathématiques sont en crise en tant que phénomène mondial».

Aussi, le ministère de l’Education nationale s’apprête-t-il à «revoir» les modalités d’orientation des élèves vers les filières mathématiques et math-techniques, en accordant la priorité aux bacheliers matheux pour les spécialités universitaires, en vue de renforcer le propre choix des élèves de l’enseignement secondaire par rapport à ces deux filières.

Le ministre a fait état de la création de nouveaux lycées spécialisés en mathématiques en vue de former des pôles d’excellence harmonieux à la faveur des ecoles supérieures existantes dans différentes wilayas.

Concernant le plan d’encadrement, le ministère de tutelle œuvre, selon M. Belabed, à l’élaboration de mécanismes permettant d’élargir la formation des enseignants spécialisés dans les mathématiques au niveau des Ecoles normales supérieures (ENS) et de réviser le contenu de la formation en accordant un intérêt particulier pour l’ouverture de spécialités en informatique au niveau des écoles supérieures.

Cela fait des années que les experts remettent en cause un enseignement qui ne préparerait pas les élèves à aimer les mathématiques et à développer l’esprit de réflexion ainsi qu’une formation des enseignants jugée lacunaire.

Le professeur Rachid Bebbouchi, président de la Société des mathématiques d’Algérie de l’université de Bab Ezzouar, pointe du doigt l’insuffisance de moyens qui plombe «l’organisation d’une formation didactique en la matière, des manifestations de vulgarisation de la discipline, etc.» «L’approche par compétence adoptée comme mode d’enseignement n’a pas donné ses fruits parce que nos enseignants n’y étaient pas préparés. Aujourd’hui, l’enseignement de cette discipline se fait encore sous une forme un peu archaïque, qui se limite à appliquer des théorèmes.

On n’étudie plus, par exemple, la géométrie dans l’espace, qui est extrêmement intéressante et incite l’élève à réfléchir pour résoudre un problème sur une figure donnée. J’assimile les maths d’aujourd’hui à la cuisine qui applique des recettes. Les mathématiques doivent devenir innées chez les gens», a-t-il affirmé dans une récente interview à El Watan.

Résistance des enseigants au changement...

Cette carence de l’enseignement des maths doit être prise en charge dès les premières années, insiste Kamel Baddari, professeur des universités en mathématiques et en physique et expert de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, dans une récente tribune médiatique.

«L’allergie (aux maths, ndlr) peut se manifester dès l’enfance, à l’école, où les premières frustrations apparaissent chez l’enfant, le plus souvent pour des raisons de méthodes pédagogiques inadaptées, de la formation pédagogique incomplète des instituteurs, du climat qui n’incite pas à la compétition entre élèves, du rôle passif de certains parents…

Telle une boule de neige, cette frustration se transmet d’un cycle d’études à l’autre, jusqu’à atteindre son point culminant à l’université. Les conséquences, on le sait : une chute de manière drastique du niveau dans cette discipline et l’augmentation du nombre d’étudiants réfractaires aux mathématiques», explique-t-il.

Et de préciser : «Les qualités requises pour étudier les mathématiques sont, entre autres, la capacité d’abstraction, le travail méthodique et rigoureux, un penchant positif pour le calcul, les démonstrations, la géométrie dans l’espace et la maîtrise du hasard. Tous les observateurs avérés s’accordent que ces qualités ne sont pas innées. Elles se construisent dès l’école primaire, mûrissent au secondaire et se consolident à l’université.» L’une des raisons du peu d’attrait de la filière mathématique au lycée, selon lui, serait liée au manque de débouchés dans le marché du travail.

Aussi préconise-t-il la «méthode Singapour», ce pays qui a placé l’enseignement des mathématiques comme priorité nationale, semant chez les élèves les graines de l’amour des mathématiques dès l’école primaire, à travers une refonte des programmes et la formation pédagogique et didactique des enseignants, sans oublier la nécessité d’aider les entreprises à concevoir des projets structurants fondés sur les mathématiques. Chez nous, l’enseignement reste essentiellement centré sur les mathématiques traditionnelles.

«Apprendre à un étudiant à dériver une fonction en un point, c’est bien, mais cela reste incomplet, voire inutile, si l’on ne montre pas son usage sur des cas réels de la vie, ou sur son utilité pour d’autres disciplines. Il vaut mieux dans ce cas avoir oublié la démonstration d’un théorème que d’avoir oublié son usage et les diverses formes qu’il donne aux formules», écrit le Pr Kamel Baddari.

L’un des points d’achoppement serait également lié à la résistance des enseignants au changement. Dans une étude sur l’enseignement des maths en Algérie, Slimane Hammoudi, inspecteur de mathématiques à Tizi Ouzou, décrit un paysage de l’enseignement des mathématiques en Algérie contrasté.

D’un côté, selon lui, les programmes des d’enseignements ont évolué, donnant une large place à la résolution des problèmes, prescrivant une intégration progressive des TICE (technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement) et introduisant au lycée une dimension probabilité-statistique.

De l’autre, les enseignants ont du mal à rompre avec les pratiques anciennes, l’existence d’un manuel unique, auquel les enseignants sont très attachés (plus qu’aux programmes eux-mêmes), un enseignement guidé essentiellement par les examens et par le souci de finir les programmes à temps.

L’équation est d’autant plus difficile pour les responsables du secteur que les performances en maths sont intimement liées, selon les spécialistes, à la future compétitivité économique et scientifique du pays.

Tout n’est pas noir dans ce tableau : la branche des mathématiques s’est classée en tête des résultats du baccalauréat session 2021, preuve qu’il est encore possible de sauver cette filière en Algérie.

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