La loi du 23 février 2005 et les «bienfaits» de la colonisation : Quand des députés de droite torpillèrent le rapprochement algéro-français

25/03/2025 mis à jour: 10:34
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Le rapprochement de Jacques Chirac avec le président Bouteflika avait laissé entrevoir la perspective d’une refondation des relations bilatérales, qualifiées de «privilégiées», d’où l’annonce, à la faveur de la visite d’Etat du président français en mars 2003 en Algérie, de la signature d’un «pacte d’amitié» entre les deux pays. 

Aussi, devant les élus de la nation, lors de cette visite, le président Chirac avait exprimé la volonté de construire un «partenariat d'exception» avec l’Algérie. 

«La signature, en 2005, d’un traité d’amitié avec l’Algérie posera les fondations d’une relation forte et ambitieuse, tournée vers l’avenir», réaffirmait Jacques Chirac à la clôture de la XIIe conférence annuelle des ambassadeurs, à Paris, le 28 août 2004… «Ainsi, travaillons-nous avec l’Algérie à un traité d’amitié qui illustrera cette ambition. Il y va de la prospérité, de la sécurité et de la stabilité de la région». 

Mais le vote à l’Assemblée nationale française de la loi N°2005-158, le 23 février 2005, «portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés» et plus particulièrement son article 4 relatif à «l’enseignement des aspects positifs de la colonisation», lequel, bien que gelé un  an après, à la demande du président Chirac, par le Conseil constitutionnel après une levée de boucliers tant en Algérie qu’en France, avait coupé court à cette perspective. Le mal étant fait.  

Le traité d’amitié non abouti devait être le cadre de référence des rapports dans tous les domaines entre la France et l’Algérie, et ce, quels que fussent les changements politiques dans l’un ou l’autre pays.  L’écriture de l’histoire et le travail de mémoire devaient, par ailleurs, constituer des chantiers-pivots de la relation algéro-française rénovée. Soit un traité d’amitié à l’instar de celui qui a été passé entre la France et l’Allemagne. 

«Les circonstances n'ont pas permis qu'il soit immédiatement conclu, malgré la qualité des relations avec le président Bouteflika. C'est pourtant là qu'il conviendra de traiter de la question difficile, souvent douloureuse, de la mémoire des relations entre nos peuples. 

C'est là aussi qu'il faudra instaurer les dispositifs de dialogue et de coopération que justifie notre proximité», écrivait Jacques Chirac, pages 434 et 435 du Le temps présidentiel (deuxième tome de ses Mémoires, éditions NIL). Et d’ajouter que «le principal obstacle (du pacte d’amitié, ndlr) viendra de l’acte de repentance que le gouvernement algérien nous demande quelques mois plus tard de faire figurer dans le préambule, acte par lequel la France exprimerait ses regrets  pour  les ‘torts portés à l’Algérie durant la période coloniale’. 

Il me paraît utile et même salutaire, comme je l’ai indiqué dans mon discours de l’Unesco à l’automne 2001, qu’un peuple s’impose à lui-même un effort de lucidité sur sa propre histoire. Mais ce qu’exigent de nous les autorités d’Alger n’est rien d’autre que la reconnaissance officielle d’une culpabilité. Je ne l’ai naturellement pas accepté, consentant tout au plus à souligner, dans une déclaration parallèle et distincte du traité, ‘les épreuves et les tourments’ que l’histoire avait imposés à nos deux pays. 

C’est le maximum de ce que je pouvais faire. Il n’était pas davantage question pour moi de célébrer, comme certains parlementaires UMP m’y invitaient, le bilan positif de notre héritage colonial. C’eût été tout aussi excessif et injustifié, pour ne pas dire indécent». 

Appelant la France à «reconnaître ses crimes commis à l’encontre du peuple algérien durant la période coloniale», le président Bouteflika déclarait dans un discours prononcé le 25 août 2005, à Sétif : «Nous chanterons à l’unisson l’hymne de la coopération avec la France pour peu que celle-ci reconnaisse ses responsabilités dans les dégâts de la colonisation.» Ajoutant que «les Français n’ont d’autre choix que de reconnaître qu’ils ont torturé, tué, exterminé durant la colonisation de l’Algérie». 

Ainsi, le projet de traité d’amitié tourna court, torpillé par le vote en seconde lecture d’une poignée de députés de l’UMP (Majorité présidentielle de droite) de la loi du 23 février 2005 à laquelle avait été ajouté en dernière instance l’article 4 qui disposait que «les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord». 

La loi a été votée en l’absence d’un grand nombre de députés par une trentaine d’élus. Les plus actifs autour de cette loi ont été les députés des régions comptant le plus grand nombre de rapatriés, plus particulièrement le Sud-Est, proches des plus extrémistes de es derniers.

Une loi au profit des extrémistes de «l’Algérie française», dénoncent les spécialistes de l’histoire coloniale 
Les premiers à réagir à l’article 4 de la loi du 23 février 2005 ont été des historiens-chercheurs et des enseignants d’histoire accompagnés par des associations, comme le MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) et la Ligue des droits de l’homme. 

Dans une plateforme, des historiens spécialistes de l’histoire coloniale précisent que «les historiens ont la responsabilité de promouvoir des recherches et un enseignement qui confèrent toute leur place à la colonisation et à l’immigration, processus contradictoires comme tous les phénomènes historiques. Leur fonction leur impose de ne rien cacher ni édulcorer : le processus colonial a été vécu par les colonisés souvent dans la douleur et la répulsion, mais aussi dans l’ouverture et l’attirance pour d’autres modèles de société ; qui rendent compte de la complexité de ces phénomènes. Ce travail doit être un travail international, notamment dans le débat avec les historiens»… 

La publication de cette plateforme avait été suivie d’une pétition intitulée «Colonisation : non à l’enseignement d’une histoire officielle», à l’origine d’un mouvement de protestation représentatif de la majorité des enseignants et des chercheurs. 

Les initiateurs de cette pétition, les historiens feu Claude Liauzu, professeur émérite à l’université Denis Diderot-Paris 7, feu Gilbert Meynier, professeur émérite à l’université de Nancy, Gérard Noiriel, directeur d’études à l’EHESS, Frédéric Régent, professeur à l’université des Antilles et de Guyane, Trinh Van Thao, professeur à l’université d’Aix-en-Provence, Lucette Valensi, directrice d’études à l’EHESS, avaient alors estimé que cette loi «a des implications sur l’exercice de notre métier et engage les aspects pédagogiques, scientifiques et civiques de notre discipline».

Et de considérer que «les historiens ont une responsabilité particulière pour promouvoir des recherches et un enseignement qui confèrent à la colonisation et à l’immigration, à la pluralité qui en résulte, toute leur place, qui, par un travail en commun, par une confrontation entre les historiens des sociétés impliquées rendent compte de la complexité de ces phénomènes, qui, enfin, s’assignent pour tâche l’explication des processus pendant vers un monde à la fois de plus en plus unifié et divisé». 

A l’initiative des regrettés professeurs Claude Liauzu et Gilbert Meynier et de l’historienne-enseignante Sylvie Thénault, notamment, une pétition «Nous n’appliquerons pas l’article 4 de la loi du 23 février» stipulant que «les programmes scolaires  reconnaissent le rôle positif» de la colonisation avait été ouverte à signatures. 

Le texte soulignait que c’est «une loi qui ne peut être appliquée, mais dont on ne peut obtenir l’abrogation» ; «une loi qui compromet le traité franco-algérien de paix et d’amitié en préparation, alors que des liens étroits et anciens associent les deux sociétés» ; «une loi amputant le passé des millions d’habitants de ce pays, nationaux ou étrangers, qui ne se reconnaissent pas dans cette déformation unilatérale de l’histoire» ; «une loi qui impose une histoire officielle et nie la liberté des enseignants, le respect des élèves».

«Révisionnisme colonialiste», affirme la gauche

«Cette loi, imposée par des groupes de pression nostalgiques du colonialisme et revanchards, nourris d’une culture d’extrême-droite, est une loi de régression culturelle en ce début de XXIe siècle, où toutes les sociétés doivent relever le défi de leur mondialisation, assumer leur pluralité, qui est une richesse». 

Dans un texte signé par de nombreuses personnalités, la Ligue des droits de l’homme soulignait pour sa part qu’«en dictant une vision partielle et partiale de l’histoire, le Parlement tente d’exonérer la République de ses responsabilités… 

Oublier les centaines de milliers de victimes qu’a entraînées la volonté d’indépendance et de dignité des peuples que la France a colonisés, c’est nier les atteintes aux droits de l’homme qu’ils ont endurées et les traiter, ainsi que leurs descendants, avec mépris». Quant à la classe politique, sa réaction avait été bien tardive, il a fallu, pour ce faire, toute la mobilisation d’historiens et d’enseignants pour que l’opposition de gauche se manifestât.

C’est ainsi que le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault avait reconnu «un manque de vigilance», arguant que «l'amendement (article 4, ndlr) a été présenté à la sauvette un vendredi en fin d'après-midi». Il avait souligné que «dès (qu'ils avaient) perçu sa portée», députés et sénateurs PS avaient écrit au premier ministre, mais ce dernier avait «renvoyé la question à une commission d'historiens qui n'a jamais vu le jour». 

Comme plusieurs orateurs de l'opposition, il avait estimé que cet article controversé avait contribué à «l'enlisement» du traité d'amitié franco-algérien. Les députés socialistes et apparentés à l’origine de la proposition de loi d’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 soulignaient qu’«il serait indigne pour l’ensemble de la nation de passer sous silence les exactions et les répressions policières dans les territoires colonisés comme sur le territoire métropolitain, de mentir par omission en oubliant la torture et les massacres. 

Or, n’avancer que le rôle positif de la présence française outre-mer et particulièrement en Afrique du Nord, sonne comme une justification de la difficulté qu’a eue la République française à reconnaître le principe de libre détermination des peuples»… Et que cette disposition de la loi «menace l’élaboration et la signature d’un indispensable traité d’amitié franco-algérien qui devrait permettre à nos deux peuples de devenir demain, le moteur de la coopération euro-méditerranéenne comme l’a été le couple franco-allemand dans la construction européenne». Le Parti communiste s'était élevé pour sa part «contre la résurgence colonialiste». 

«On ne peut prétendre que le colonialisme eut 'un rôle positif'. Ce n'est pas seulement un mensonge historique éhonté. C'est aussi l'affirmation consternante d'un révisionnisme colonialiste», avait écrit la secrétaire nationale du PCF, Marie-George Buffet, dans un communiqué. 

L’article 4, gelé et non abrogé, demeure tout le reste

Les nombreux messages et signaux adressés par l’Elysée et Matignon à des députés récalcitrants et enferrés dans une attitude jusqu’au-boutiste pour des raisons électoralistes, mais pas seulement, sont restés lettre morte, tandis que la proposition du groupe socialiste appuyé par les députés des autres courants de gauche d’abroger l’article incriminé avait été repoussée par leurs collègues de la majorité sans être même examinée. Le président Chirac signifia, début janvier 2006, la fin de l’article 4 controversé, tel qu’il était rédigé dans le but de mettre un terme à plusieurs mois d’une âpre polémique.

«Le texte actuel divise les Français. Il doit donc être réécrit». «Après avoir consulté les principales associations, le président de l'Assemblée nationale déposera une proposition de loi en ce sens afin de réécrire ce texte et de parvenir à une rédaction qui rassemble et qui apaise les esprits», avait annoncé Jacques Chirac lors de ses vœux à la presse à l'Elysée, début janvier 2006.

Le chef de l'Etat français avait également «souhaité que cette démarche s'inscrive dans le cadre d'une réflexion générale, car ce n'est pas à la loi d'écrire l'histoire». Le président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, avait confirmé qu'il présenterait «le plus vite possible» une proposition pour modifier l'article 4 de loi. «Je n'exclus rien ni l'abrogation ni la réécriture (...) Mais ma conviction, c'est qu'on ne peut pas continuer avec cet article 4 ainsi rédigé». «J'ai une conviction : ce n'est pas le rôle de la loi que d'écrire l'histoire, ce n'est pas à nous, législateurs, de donner à des événements historiques un sens», avait-il expliqué sur Europe 1. 

 A noter que le président Chirac n’avait pas prôné  l’abrogation de l’article 4 controversé, mais en appelant à la réécriture de cet article, il avait choisi une mesure médiane.  La loi du 23 février 2005 ne sera pas abrogée. Seul son article 4 a été retiré. Demeurent tout le reste et notamment l’article 1er qui fait référence à «l’œuvre accomplie par la France» dans les colonies.  

Dossier réalisé par  Nadjia Bouzeghrane

 

 

 

Les principales dispositions du texte adopté le 23 février 2005 : 

Article 1er : Reconnaissance de l’œuvre de la France outre-mer

«La nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française.

Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d’indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu’à leurs familles, solennellement hommage.»

Article 4 : Ce rôle positif sera enseigné. (gelé en janvier 2006)

«Les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite.
Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.
La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l’étranger est encouragée.»

Articles 5 à 11 : Droits des harkis

Article 13 : indemnité forfaitaire (et non imposable) au bénéfice de «personnes [...] ayant fait l’objet, en relation directe avec les événements d’Algérie [...], de condamnations ou de sanctions amnistiées [...]». 

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