La guerre contre Ghaza : L’autre crime contre l’environnement

29/10/2023 mis à jour: 02:59
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La dégradation à grande échelle de l’environnement et de manière intensifié et systématique est une arme de terreur comme une autre ; c’est aussi une stratégie de guerre.

Dans la longue histoire reliant la guerre et l’environnement, les exemples sont légion, en passant par les incendies volontaires des terres agricoles, l’empoisonnement des réservoirs d’eau, les bombardements des ports de pêche ou des frappes chirurgicales contre des dépôts et des ports d’hydrocarbures pour laisser couler des milliers de tonnes de pétrole. Il y a aussi les bombardements des usines utilisant des produits chimiques comme intrants provoquant une pollution volontaire de l’atmosphère et de l’eau, privant ainsi les populations de ressources vitales ou d’une qualité de vie minimale. 

Par le passé, l’utilisation par les Etats-Unis d’éléments chimiques hautement dangereux, comme le napalm, et l’agent orange, au Vietnam, avaient déjà interpellé sur leur dangerosité pour l’environnement ; il en est de même des essais nucléaires de Béchar réalisés par la France durant la colonisation de l’Algérie. L’essayiste et journaliste Emily Anthes cite dans le New York Times, la «victime silencieuse» de la guerre, elle désigne bien entendu comme victime la nature. «Les guerres détruisent les habitats, tuent la faune, génèrent de la pollution et refont entièrement les écosystèmes, avec des conséquences qui se répercutent sur des décennies.»

 Un terme a été inventé pour cela, c’est «l’écocide». Il n’existe pas de guerre ou de conflits armés sans dommages environnementaux. La stratégie de la terre brûlée et l’empoisonnement des sources naturelles se sont de depuis longtemps révélés des armes redoutables. Ghaza ne fait pas exception, Ghaza croule sous les bombes, l’air de Ghaza devient irrespirable sous l’effet des gaz, l’eau de Ghaza est contaminée et devient non potable, toxique même, la mer de Ghaza fait fuir le poisson. Qui va interpeller Israël sur l’empreinte carbone ou plus globalement sur l’empreinte écologique de ses bombardements sur Ghaza ? Tout cela, la faute à la folie d’Israël sous le regard de ses alliés et d’une communauté internationale désorientée pour l’attitude qu’elle devrait avoir. 

Le silence complice des pays arabes et/ou musulmans ayant normalisé leur relation avec Israël ou qui entretiennent des relations non affichées aggrave  davantage la situation. La guerre inclus des préjudices et des dommages infligés à la nature, ceux-ci ne sont pas des dommages collatéraux, comme aiment bien les nommer les armés de tous les envahisseurs et colonisateurs.

 Ces dommages font partie de la stratégie de la guerre que mène Israël en Palestine. En effet, la destruction des capacités de la nature à générer des bénéfices aux populations déjà meurtries à Ghaza fait partie des objectifs stratégiques de l’ennemi à amoindrir le potentiel de la nature à subvenir aux besoins de la population de Ghaza, détruire la nature signifie moins de nourriture, moins d’eau, moins d’énergie, moins d’espace pour ces populations. 

Cela fait partie des nuisances directes et indirectes, qui affectent ou pourraient affecter le moral de ces populations, avec la perspective de les déconnecter de la résistance. La dégradation à grande échelle de l’environnement, et de manière intensifiée et systématique est une arme de terreur comme une autre ; c’est aussi une stratégie de guerre. 

Cette guerre contre Ghaza se déroule à quelques encablures et quelques semaines du lieu de la COP 28 à Abu Dhabi, l’effet accélérateur des bombardements de Ghaza sur la dégradation du climat dans la Bande de Ghaza et surtout l’effet inhibiteur de toute capacité d’adaptation de la population de Ghaza aux effets dévastateurs agglomérés du changement climatique, et des bombardements seront-ils à l’ordre du jour ? Finalement, Ghaza nous montre que l’environnement peut se transformer en arme de guerre de destruction massive. Les USA ont bien inventé le concept de «light footprint» ou l’empreinte limitée, qui vise à diminuer la force projetée pour limiter les dommages collatéraux et l’impact environnemental en temps de guerre. Cet angélisme militaire vis-à-vis de la question environnementale à même conduit au concept de «défense durable» ! 
 

Outre les morts nombreuses, affreuses, inacceptables, il est un crime qui est passé sous silence ; c’est celui qui est commis par Israël contre la nature et l’environnement. Des conséquences dramatiques sur la préservation des sols, de l’eau et de la santé publique sont déjà perceptibles à chaque coin de Ghaza, cela s’amplifiera certainement dans les jours, semaines et mois qui viennent car les dégâts, même non mesurés, sont à l’évidence gigantesques pour un territoire déjà durement frappé par la pollution industrielle et les rejets y afférents ainsi que des changements climatiques. Si la vie humaine n’a pas plus de valeur dans cette contrée du monde, que dire alors des plantes et des animaux. Ni la valeur des écosystèmes naturels ni la symbolique de la nature n’ont trouvé compassion chez un colonisateur pris par sa folie et le sentiment d’une impunité totale quels que soient les exactions ou crimes qu’il est amenés à exécuter, y compris ceux contre la nature. 

Une immunité quasi-totale, quel que soit le crime commis, acquise au prix de mensonges, de manigances et de manœuvres jusqu’au sein du Conseil de sécurité de l’ONU avec la complicité active ou passive de certaines puissances. Pourtant, il existe un sens juridique de ce qui pourrait être appelé un crime contre la nature. Au sens de la législation européenne, le crime environnemental est défini par la Commission européenne comme l’ensemble «des faits constituant une violation des législations environnementales et causant ou susceptibles de causer des dommages significatifs à l’environnement ou à la santé humaine» auxquels il convient d’ajouter les infractions spécifiques arrêtées par le droit international. 

Il semblerait que même la nature n’a plus la même valeur partout ; à l’évidence, elle compte beaucoup moins à Ghaza ; au diable la biodiversité, les aires protégées, la qualité de l’air et de l’eau ! Il n’y a pas si longtemps, la presse internationale s’inquiétait et s’émouvait que «la guerre contre l’Ukraine pollue. Les dommages pourraient être irréversibles. Le sol, lui, durablement contaminé». Mais qui se soucie des effets de la guerre de Ghaza sur l’environnement ?

Stress hydrique

La nature, l’autre victime de cette guerre, est en première ligne, tant les bombardements ont déjà causé de graves pollutions et des dégradations incalculables. Pour le moment, il n’y a pas suffisamment de données pour évaluer les effets dévastateurs de ces bombardements sur l’environnement, priorité est donnée à sauver les vies humaines, mais il est certain que la facture sera lourdement payée par les Palestiniens pour des décennies encore. La Bande de Ghaza est déjà confrontée à un stress hydrique qui devrait s’aggraver en raison de la diminution des précipitations due au changement climatique. 

Cette situation a exercé une pression sur les aquifères qui sont menacées de salinisation et de contamination par les eaux usées. Les problèmes sont particulièrement aigus à Ghaza, où les infrastructures d’approvisionnement en eau et d’évacuation des eaux usées sont régulièrement et gravement endommagées. Tout cela va limiter les pâturages et l’agriculture, entraînant une intensification dans les zones encore exploitables, confrontées au demeurant au surpâturage et à la dégradation des sols. 

Que dire des déchets, décombres des bombardements, béton, fer, toutes les formes de déchets solides qui sont le résultat de la fragmentation de structures, maisons et infrastructures qui se retrouvent en plein air, ni moyens de les récolter, encore moins ceux de les traiter ou de les valoriser ! Ces déchets sont déjà un grand problème environnemental car devenant sur place des foyers de maladies et de concentration d’insectes et d’animaux nuisibles à la santé publique.   Ces déchets se conteront par millions de tonnes, voire par dizaines de millions de tonnes si les bombardements continuent. 

A la base, à Ghaza, la gestion des déchets solides est très médiocre, faute de moyens adaptés, et des cas des déversements de déchets toxiques par Israël ont été signalés par le passé, tandis que les industries et les carrières israéliennes contribuent à des émissions à des niveaux élevés de pollution de l’air. La gestion des vastes quantités de débris et de la contamination résultant de cinq guerres successives et dévastatrices menées contre la Bande de Ghaza (2008, 2012, 2014, 2021 et celle actuellement en cours), qui ont laissé d’importantes décombres à la suite de bombardements, posant un grave et persistant problème, bientôt un autre fardeau insurmontable.
 

Est-il nécessaire de rappeler que la population déjà très dense et les conflits récurrents ont soumis l’environnement de la Bande de Ghaza à une pression considérable, endommageant les infrastructures essentielles et générant des débris. Selon les rapports onusiens, la gouvernance environnementale, tant à Ghaza qu’en Cisjordanie, a été rendue plus complexe par l’occupation, qui a aggravé les problèmes tels que la pénurie d’eau, la pollution, la dégradation des sols et la gestion des déchets. Selon l’observation de l’environnement des conflits, l’eau distribuée dans la Bande de Ghaza est à 95% impropre à la consommation humaine ; cette eau est essentiellement acheminée vers la population de Ghaza par camion. 

Compte tenu de la situation des routes après les bombardements actuels, il est certain que cette eau ne pourra être acheminée à toute la population de Ghaza, qui commence déjà malheureusement à manquer d’eau pour ses besoins élémentaires. En parallèle, les installations essentielles de distribution d’eau et d’assainissement déjà très touchées par les coupures récurrentes de l’électricité sont cette fois-ci détruites par les bombardements. Ajouté à cela les déversements quotidiens d’eaux usées non traitées dans la Méditerranée, estimées à Ghaza à environ 100 millions de litres. 

A cet égard, il est utile de rappeler que vers 2099-2010, les organisations environnementales des Nations unies avaient fixé la date limite pour remédier à la contamination de l’aquifère de Ghaza avant que les dommages ne soient irréparables 2020. Doit-on penser après les bombardements de 2023, en cours encore, que la situation est irréversible ? 
 

Selon le PNUE, les réserves d’eau souterraine sur lesquelles dépendent les Palestiniens pour l’eau potable et l’agriculture risquent de s’effondrer en raison de nombreuses années d’extraction excessive et de la pollution qui a été aggravée par les bombardements et les guerres successives. Un rapport publié par le Programme des Nations unies pour l’environnement sur la situation environnementale dans la Bande de Ghaza après la fin de la précédente guerre contre Ghaza appelait à laisser «reposer» la nappe phréatique et à trouver des sources alternatives d’eau. Ce rapport fait un constat terrible. «A moins que la tendance ne soit inversée immédiatement, les dégâts pourraient être ressentis pendant des siècles.»

 L’Egypte étant directement concernée par cette situation car la nappe phréatique est une continuité de celle avec les territoires occupés, et cela appelle à une coordination. Le problème, le vis-à-vis dans cette affaire de l’Egypte est Israël et non pas le Gouvernement palestinien. Ce rapport met en relief l’augmentation de la salinité de la nappe phréatique due à l’immixtion d’eau salée causée par l’extraction excessive d’eau souterraine, ainsi que la pollution par les eaux usées et les eaux d’irrigation agricole. Les taux de pollution de l’eau dans la Bande de Ghaza sont tels que les nourrissons risquent l’empoisonnement aux nitrates. 

Le PNUE estimait en 2009 que «le coût du rétablissement de la nappe phréatique - qui inclut l’installation d’usines de désalinisation pour réduire la pression sur les réserves d’eau souterraine - à bien plus de 1,5 milliard de dollars US sur 20 ans». A l’évidence, et dans un proxy au premier degré, après les derniers bombardements et l’accroissement démographique et des besoins y afférents, il faudra au moins 5 milliards de dollars US pour rétablir une situation normale pour la nappe phréatique de la Bande de Ghaza. Qui mettra la main à la poche pour une telle enveloppe ? Rétablir la durabilité environnementale de la Bande de Ghaza relève aujourd’hui des travaux d’Hercule. 

Pour l’une des rares évaluations faites dans la Bande de Ghaza sur les coûts des dommages environnementaux dus à la guerre, celle de 2009 dans la Bande de Ghaza suite aux frappes aériennes israélienne, ces frappes aériennes sur les bâtiments et autres infrastructures avaient généré 600 000 tonnes de débris de démolition. Le coût de l’enlèvement et l’élimination des gravats, dont certains sont contaminés par l’amiante, à plus de 7 millions de dollars US. 17% des terres cultivées, dont des vergers et des serres, avaient été gravement affectés. Ce rapport estimait le coût de l’impact sur les moyens de subsistance des agriculteurs, combiné à celui des mesures de nettoyage nécessaires, s’élève à environ 11 millions de dollars US. 

A l’évidence, et compte tenu de l’intensité des bombardements actuels sur la Bande de Ghaza, les quantités des déchets, leurs effets dévastateurs et les coûts de traitement et de remédiation devront être calculés, ils seront bien plus importants que ceux estimés en 2009. 
 

La guerre contre Ghaza a aussi un côté pernicieux, ce sont tous les effets des déversements d’eaux usées dus à des coupures de courant dans les stations d’épuration. La possibilité de voir une partie des eaux usées atteindre via le sol poreux de la Bande de Ghaza, la nappe phréatique est une réalité. En effet, l’occupation israélienne en bloquant en août 2020, l’entrée de carburant à Ghaza a provoqué de manière délibérée et cynique l’arrêt de l’unique centrale électrique. A Ghaza, l’électricité n’est disponible que quatre heures par jour. Ce qui empêche un fonctionnement normal des stations de traitement des eaux usées. Cela engendre bien entendu des risques de pollution marine, une dégradation des écosystèmes et des problèmes de santé publique.
 

L’autre menace grave est celle liée aux déchets hospitaliers dangereux qui sont déjà dans la nature, résultant en partie des nombreux blessés au cours des récentes bombardement ou tout simplement ceux générés par les activités de soins et qui auparavant posaient déjà problème, car jetés dans les décharges faute d’incinérateurs adaptés dans les structures hospitalières de Ghaza. 
 

Effondrement des services de ramassage  des déchets pendant les bombardements 
 

Selon le PNUE, la gestion des déchets constitue «un sérieux défi pour la durabilité environnementale de la Bande de Ghaza». Le PNUE préconisait la construction de nouvelles installations permettant de traiter ces déchets. En 2008, l’étendue des zones cultivées dans la Bande de Ghaza était estimée à 170 000 000 m2. Suite aux frappes aériennes israéliennes, des rapports internationaux estimaient que 17% de la zone cultivée ont été complètement détruits. La destruction du couvert végétal de la Bande de Ghaza et le tassement du sol du fait de ces frappes ont dégradé la terre et l’ont rendu vulnérable à la désertification ; ce qui les rendraient potentiellement difficiles à replanter. En outre, dans toutes les frappes aériennes, il y a quasiment toujours des déversements d’hydrocarbures à des degrés  différents, ne serait-ce que par le bombardement des stations d’essence ; Ghaza ne fait pas exception. Ces hydrocarbures s’infiltrent dans le sol et atteignent la nappe phréatique. C’était déjà le cas par le passé, c’est malheureusement encore le cas avec les derniers bombardements.   
 

Quel sens doit-on donner à la Déclaration politique sur l’utilisation d’armes explosives en zones peuplées, le premier accord international visant à limiter l’utilisation d’armes ayant des effets à grande échelle dans les villes ? Ghaza sera un cas d’école pour explorer et étudier les graves préjudices écologiques associés à la guerre. Oui, la Bande de Ghaza est l’une des régions les plus densément peuplées du monde, avec plus de 2 millions de personnes vivant sur un territoire de 360 kilomètres carrés. Les effets des bombardements sur Ghaza sont à analyser sous cet angle, où les guerres sont menées dans des zones à forte densité de population, avec des dégâts majeurs et durables pour les communautés locales. 
 

Ces bombardements sont en tout cas plus dévastateurs que la combinaison des effets du changement climatique, des activités anthropiques classiques et de la mauvaise gouvernance environnementale, tous réunis. Les organisations non gouvernementales ont mis au banc des accusés des pays pour moins que cela, oseront-elles faire un procès à Israël, ne serait-ce que dans les médias ? Quelle organisation osera dire : accusé, levez-vous pour tous les crimes commis contre la nature à Ghaza ? 


 

Par Samir Grimes , Expert en environnement et 
en changement climatique

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