La Gare de Lotfi Bouchouchi projeté en ouverture du festival du film arabe d’Oran : Un film superficiel, loin de la hauteur des attentes

07/10/2024 mis à jour: 03:30
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Photo : D. R.

Le film La Gare ou Ain Lahdjar a été choisi comme film d’ouverture de la douzième édition du Festival du film arabe d’Oran et a été projeté en avant-première samedi à la salle Mahgreb. S’exprimant juste avant, son réalisateur, l'Algérien Lotfi Bouchouchi, a sans doute bien fait d’avertir les spectateurs de ne pas s’attendre à voir un film dans le style de son premier coup d’essai, Le Puits.

Il s’est exprimé juste avant la projection en disant qu’il s’agit d’une comédie dramatique. Le résultat n’est malheureusement pas à la hauteur des attentes pour un film qui justement manque autant d’humour que de charge dramatique. Les scènes qui se déroulent dans des microcosmes sont légion dans le cinéma mais ces choix ont du sens, ce qui manque à La Gare avec ses clins d’œil à des situations puisées dans le réel politique algérien mais qui partent dans tous les sens, créant une confusion inextricable.

Dans La Gare tout fonctionne comme si tout est donné d’emblée (ou presque et heureusement sinon ce serait le bide total) mais dans ce cas, il aurait fallu faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour proposer au public une œuvre qui tienne debout. Dans aucune des séquences (ou presque), les concepteurs du film (inclus le scénariste) ne vont au bout de leurs idées. A commencer par la séquence sensée relater une petite histoire d’amour.

Le thème n’est pourtant pas clivant, mais dans La Gare, non seulement il semble tomber du ciel mais en plus les dialogues et, par extension, toute la relation frisent le ridicule. La scène finale représentant les deux amoureux qui partent sur une charrette tractée par des ânes rappelle la scène tout aussi finale du film Le Vent du Sud  de Mohamed Slim Riad (1932-2016), où les deux amoureux issus d’un village de l’intérieur du pays s’enfuient à dos d’âne pour rejoindre la route et prendre le bus pour la ville. Voilà une belle œuvre qui remonte à l’année 1976, mais elle est adaptée du célèbre roman éponyme de Abdelhamid Benhadouga, lequel évidemment ne rigole pas avec la cohérence du récit.

La scène finale de la fuite à deux rappelle, même si le contexte est totalement différent et toute proportion gardée, celle de The Graduate (Le Lauréat) de Mike Nichols (1931-2014). Dans l’adaptation de Slim Riad, la fuite consiste à échapper au poids de la tradition pour rejoindre la ville perçue comme un espace offrant plus de liberté, d’où l’idée avancée à l’époque au sujet de l’œuvre allant dans le sens de la nécessité de «libérer les esprits après la libération du pays». Une idée généreuse, mais dans le cas qui nous concerne, la fuite en question pose problème car on ne sait pas où ils vont aller du fait justement que La Gare et le village attenant symbolisent une totalité en soi. Ne sait-on pas faire mieux près de 50 ans après ?

Le film de Slim Riad peut-il passer aujourd’hui dans les salles dans sa version intégrale et originale ? Si les prix représentent la vitalité du cinéma, y a-t-il aujourd’hui encore une fierté à célébrer, mais surtout à être content que Lakhdar Hamina soit le «seul» dans le «monde arabe» à gagner la Palme d’Or (Cannes) ?

Ce n’est sans doute pas réjouissant ni pour l’Algérie ni pour les pays en question (si réellement on aime tout cela) de n’avoir pas eu cette distinction depuis tout ce temps-là et c’est valable pour l’Oscar du meilleur film étranger pour Z du réalisateur Costa Gavras, dont les films sont souvent centrés sur les notions de «pouvoir». De pouvoir, il est aussi un peu question dans La Gare, mais le contenu est diffus et improbable, à l’image du thème de l’amour et des autres questions sociales.

Le film ne relève pas du fantastique et n’est pas non plus anhistorique car il est d’emblée situé dans le temps : «trois mois avant le hirak», est-il écrit dès les premières images. Si le terme «hirak» est fortement connoté, renvoyant à des faits bien précis en Algérie, celui de «Barakat», scandé dans le film par des manifestants sortis de nulle part, l’est tout aussi bien, mais il renvoie à plus d’une dizaine d’années en arrière.

Personnage énigmatique ?

Comme toujours, il est d’abord porté antérieurement par un mouvement synonyme en Egypte «Kefaya», formé d’abord et avant tout par des activistes de la classe moyenne, terme plus générique pour éviter le concept de la petite bourgeoisie en usage dans les sociétés occidentales industrielles. A cet anachronisme, qui peut être justifié vu que le réalisateur ambitionnait de parler de l’Algérie couvrant une période des «20 à 30 dernières années», s’ajoutent d’autres hésitations, comme cette scène où on ne sait strictement rien du breuvage que des clients consomment dans des gobelets en terre cuite. Suite à cela on voit des gens qui dansent et qui ont parfois l’air d’être saouls mais on ne sait pas trop ni comment ni pourquoi.

Un jeu de devinettes qui s’applique aussi à la femme au chapeau qui débarque du train et dit se prénommer Aicha. Un personnage censé être énigmatique et dont le maquillage et les traits rappellent (mais juste à première vue et la comparaison ne peut pas aller loin) le visage émacié du personnage principal du film pour enfants Maleficent de Robert Stromberg, porté par l’actrice Angelina Jolie. Justement si Aicha est sensée être méchante, le résultat est raté, même si elle est venue convaincre une belle jeune fille du village de la suivre, un peu comme dans le conte, mais là on sort du contexte.

On sait qu’elle était compromise dans son passé (suggéré par des photos), mais on ne sait pas quel genre de «péché» on lui reproche. Il ne s’agit pas du tout d’enfreindre les règles de la morale et on sait que de grands cinéastes des pays du Sud ont su tirer leur épingle du jeu sans avoir à montrer crûment les choses.

C’est le cas notable de la scène de viol dans un film du grand cinéaste égyptien Youssef Chahine (1926-2008) suggéré par un simple vol soudain et bruyant de la volaille (le lieu du crime s’y prête), mais c’est la charge émotionnelle et le jeu des acteurs en amont qui en font un moment de cinéma. C’est ce qui manque à La Gare, où les rares purs moments de fiction sont noyés dans la superficialité des revois à une actualité que les auteurs ne semblent pas maîtriser dans sa profondeur. Les faits sont à la portée de tous mais c’est leur transformation par le prisme de la conscience et de l’art qui peut présenter un intérêt pour le public. 

 

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